Quand l’expérience physique et esthétique des ondes lumineuses passe par les faisceaux de cette artiste, le visiteur perd certains repères. Ses immersions auraient même des effets sur notre psychisme. Explications.
La matière travaillée par Nathalie Junod Ponsard (née en 1961) nous propose divers voyages. «La lumière est un flux. Elle glisse, est continue et transporte notre perception entre stabilité, instabilité et temporalité». Tantôt glissante, s’infiltrant en lignes serpentines des tubes leds très fins recouverts de filtres gélatine dans les cloisons du musée d’Art contemporain de Chengdu en Chine ; tantôt flottante, créant une ligne d’horizon en apesanteur sur les murs du MACRo à Rome ; tantôt dépliée, circulant sur les façades du nouveau bâtiment Austerlitz à Paris, conçu par l’architecte Jean Mas, «amenant le passant dans un jeu de regard au mouvement continu». Jouant avec l’élasticité des variations chromatiques, dédoublant les flux lumineux, créant des énergies spatiales, l’artiste nous pousse dans des paysages virtuels, géométriques, où l’horizon se dilue puis renaît selon les aléas de notre subconscient. Nathalie Junod Ponsard est formelle : «Certaines lumières peuvent avoir un effet psychotrope sur notre métabolisme. Il y a une douzaine d’années, j’ai effectué une série d’expériences sur quelques-unes d’entre elles dans diverses installations, comme à la Gaîté lyrique ou au centre d’art Passerelle à Brest (Vertigo en 2004 et Voyages hypnotiques en 2003, ndlr). J’ai créé une sorte de lumière hypnotique, qu’il est bien sûr possible de nuancer avec d’autres clartés plus naturelles, comme celle du jour.»
L’épaisseur de la lumière, matière et immersion
Nombre d’œuvres de l’artiste exigent une participation active du public, entraînant celui-ci dans une nouvelle perception de l’espace, aux perspectives modifiées, le plongeant dans un vertige visuel déstabilisant. Des espaces emplis d’énergie et de sérénité qu’elle provoque à l’aide d’un bain de lumière rouge et vert «le rouge étant une couleur stimulante et le vert, plutôt apaisante» dans la piscine de Pontoise à Paris, lors de la première Nuit blanche orchestrée par Jean Blaise (2002), des expérimentations entraînant éblouissements et phénomènes hallucinatoires dans la Grande Galerie du Forum des Halles (2005-2007), ou des sensations de flottement au Centre Pompidou à Paris (2004-2005). «Faite d’ondes et de particules, la lumière est une matière non palpable de par son mouvement, mais c’est aussi une énergie», souligne l’artiste. «L’épaisseur de la lumière», titre d’une exposition à l’espace Fondation EDF à Paris en 2013, invitait à entrer dans une installation lumineuse en mouvement, au rez-de-chaussée et en mezzanine. Le public baignait dans un orangé très chaud, pour se retrouver quelques pas plus loin dans un bleu profond. «Pourquoi j’ai choisi ce titre ? Parce que toute la fondation était emplie de lumière, comme une matière enveloppant le visiteur. Un espace que j’ai apaisé en repeignant les murs, le plafond et le sol en gris clair, de façon à absorber l’excédent lumineux pour mieux renvoyer les couleurs.» Passionnée par son sujet depuis l’enfance, Nathalie Junod Ponsard n’en demeure pas moins fascinée par les couleurs improbables des œuvres des grands maîtres italiens : le Caravage, les fresques de Véronèse à la villa Barbaro… «Je ne pense pas forcément à un peintre lorsque je monte une œuvre in situ. Il y a une influence, certes, mais la lumière est un tout autre domaine dans lequel plus vous additionnez des couleurs, plus vous en augmentez l’intensité… À l’inverse de la peinture, qui, elle, procède par soustraction lorsque vous mélangez deux teintes.» Nombreux sont les critiques à la voir toutefois comme un peintre de la lumière. Elle ne s’en offusque pas et comprend que l’on puisse interpréter son œuvre sous cet angle. «Je cherche avant tout à densifier l’espace que j’investis, à lui insuffler de nouvelles énergies. J’essaie de donner autre chose à voir…»
Science, biologie, physique et espaces capricieux
«Je m’entoure d’une équipe de techniciens, mais aussi de scientifiques, de physiciens, de chimistes ou de biologistes pouvant me conseiller sur quelques-unes de mes réflexions : comment gérer au mieux les variations chromatiques et les longueurs d’onde dans des espaces complexes et sur le comportement du visiteur ; comment apporter une sensation de légèreté et d’oubli de la pesanteur… Certains lieux m’ont posé de réels problèmes. La première fois, c’était au Centre Pompidou en 2004. On m’a contactée pour imaginer une installation dans l’espace-atelier, comprenant une partie multimédia mais ayant la particularité de ne pas recevoir de lumière du jour. Il y avait ce plafond de gaines électriques, de tuyaux d’écoulement et d’énormes conduites d’aération et de climatisation, qui donnait une véritable impression d’écrasement… au point que les employés travaillant dans cet espace un peu “carcéral” souhaitaient tous changer de service. J’ai commencé à prendre des photos, à esquisser quelques plans et suis repartie avec un dossier sur ce qu’il était interdit d’y faire. En fait, tout l’était : pire qu’un monument historique. De plus, je devais donner une réponse assez rapide. Les jours passaient, et aucune idée ne venait. Et puis un matin, une petite ampoule s’est allumée au-dessus de ma tête, au moment où j’ai pensé à utiliser ce plafond, seul endroit où les interdits n’étaient pas légion. J’ai inséré dans la partie atelier, devenant ainsi un laboratoire, des lignes de tubes fluorescents reliées à un tableau de commande permettant aux usagers du lieu de choisir leur propre immersion de lumière colorée, suivant les ateliers proposés. Dans la partie multimédia, j’ai créé une sensation de flottement avec un bleu-vert lié à un rouge, qui donnait un peu de chaleur.»
Les révélations multiples d’un médium
«J’ai été contactée par l’architecte Odile Decq pour un concours au sujet de la gare maritime de Tanger. Elle m’avait demandé d’imaginer une œuvre pérenne entre les abords du bâtiment et la mer, sur un kilomètre de long et trois cents mètres de large.» Un concours qu’elles ont d’ailleurs remporté, mais dont le projet n’a pas été réalisé. «J’avais dans l’idée d’incruster des œuvres dans le sol, qui s’allumeraient au moment du coucher du soleil. Hélas, le roi Mohammed VI n’a pas donné suite, et je n’en connais pas la raison». Les dessins préparatoires issus de sa collaboration avec Jean Mas pour l’habillage lumineux des façades du bâtiment Austerlitz longues feuilles de papier millimétré rectangulaires bardées de stries rouges, vertes, jaunes, magenta nous laissent deviner l’intensité et le filage des variations chromatiques sur les revêtements de cette nouvelle bâtisse. En réalité, les diverses immersions de Nathalie Junod Ponsard, aussi bien en France qu’à l’étranger, sont souvent, selon elle, «des invitations à entrer dans des lieux saturés de lumières intenses et de variations chromatiques déterminées par certaines longueurs d’ondes. La lumière est un révélateur. Elle nous entraîne, aspirés par son mouvement». Un voyage auquel nous sommes prêts à adhérer.