En 1880, Degas est surnommé le «peintre des danseuses». À ce passionné de ballet, profondément mélomane, l’univers de l’Opéra inspirera nombre de tableaux, dessins et sculptures, dont une seule sera exposée de son vivant.
Le corps légèrement cambré et les membres tendus en un équilibre instable, la jeune fille engage le premier pas de sa chorégraphie. Degas, en habitué des répétitions et des ballets, note comme titre «Préparation à la danse, pied droit en avant» : le poids du corps sur la jambe gauche, un bras levé, l’autre en prolongement de l’épaule. Le sujet exécute un mouvement entre les cinq positions classiques, dont les combinaisons formeront la danse ; la nudité du modèle en souligne l’exactitude. «La vérité vous ne l’obtiendrez qu’à l’aide du modelage, affirmait-il, parce qu’il exerce sur l’artiste une contrainte qui le force à ne rien négliger de ce qui compte». Comme ses dessins, ses sculptures tendent à reproduire l’équilibre magique des jeunes ballerines, et Degas semble s’y être intéressé avant même ses problèmes de vue. Il confiait en 1897 : «C’est pour ma seule satisfaction que j’ai modelé en cire bêtes et gens, non pour me délasser de la peinture ou du dessin, mais pour donner à mes peintures, à mes dessins, plus d’expression, plus d’ardeur et plus de vie. Ce sont des exercices pour me mettre en train ; du document, sans plus.» Hormis La Petite Danseuse de quatorze ans, exposée en 1881 et éreintée par la critique, aucune des quelque 150 cires ou terres glaises en mauvais état trouvées dans son atelier après sa mort, en 1917, n’avait encore été montrée. Certaines sont publiées l’année suivante, dans le numéro de décembre de La Renaissance de l’art français et des industries de luxe. Les héritiers du peintre décident de faire éditer en bronze soixante-douze de ces esquisses inconnues et La Petite Danseuse de quatorze ans, dont la préparation pour la fonte, confiée à Hébrard, est assurée par un sculpteur et ami du maître, Albert Bartholomé (1848-1928). Le contrat avec la fonderie, signé le 13 mai, stipule une édition limitée à vingt exemplaires, plus une pour les héritiers, marquée «HER D», et une autre pour Hébrard, inscrite «HER». Chaque épreuve porte le numéro lui étant attribué dans la liste des œuvres et une lettre indiquant son ordre de passage par exemple «A» pour la première fonte du modèle. Albino Palazzolo (1883-1973), chef d’atelier chez Hébrard, réussit à réaliser des maîtres modèles sans détériorer les œuvres originales, lesquelles réapparaissent en 1955, achetées par Paul Mellon, qui en fait don à la National Gallery of Art de Washington, moins trois offertes au Fitzwilliam Museum de l’université de Cambridge. La première série de bronzes (marqués «A») est exposée en 1921. L’état initial, respecté aussi scrupuleusement que possible, permet d’admirer le travail du sculpteur : «Ce qu’il me faut à moi, c’est exprimer la nature dans tout son caractère, le mouvement dans son exacte vérité, accentuer l’os et le muscle, et la fermeté compacte des chairs. Mon travail ne va pas plus loin que l’irréprochable dans la construction».