Les passionnés de design connaissent bien le Schaudepot, cet entrepôt-musée, signé Herzog & de Meuron, qui abrite l’immense collection de chaises iconiques du Vitra Design Museum, près de Bâle. À une centaine de kilomètres de là se trouve actuellement son antithèse : l’ensemble en la matière réuni par Thierry Barbier-Mueller, brutalement décédé le 24 janvier (voir page 19), exposé au Mudac. Pas d’anthologie officielle ici, le collectionneur ne cherchait pas à enseigner l’histoire du design à quatre pieds. D’ailleurs, ces 211 chaises, choisies parmi plus de 650 tout de même, sont restées bien cachées pendant des décennies. Certes, on reconnaît çà et là les noms de Tom Dixon, Michele De Lucchi, Jasper Morrison ou Alessandro Mendini, mais il ne s’agit guère d’une affaire de célébrité. Certains sont inconnus, d’autres sont artistes, tous ont en commun une vision décalée, innovante, tantôt sculpturale, tantôt minimaliste, parfois ludique, souvent inattendue de ladite chaise. Autant de variations autour d’un objet qui ont fait la curiosité de Thierry Barbier-Mueller depuis les années 1990, lorsqu’il a commencé à collectionner ces véritables œuvres d’art et à les regarder comme telles. La preuve, ce sont toutes des pièces uniques, des prototypes ou des éditions limitées. Rien d’étonnant à ce qu’il ait fait le choix d’un esthète du calibre de Robert Wilson pour les mettre en scène. L’allusion théâtrale n’est pas fortuite, tant la dramaturgie sert de fil rouge à une visite qui s’annonce spectaculaire, passant du jardin d’enfants multicolore à une rigueur nettement plus austère, avant de traverser la pénombre et d’aboutir à un épilogue en guise de surprise – dont on ne révèlera rien. Ce sont les quatre actes d’un spectacle tout en sons et lumière, où les chaises jouent leur partition à merveille, minutieusement disposées par familles stylistiques, volontairement contrastées. Si elles ne sont clairement pas là pour qu’on s’y assoie, elles invitent le visiteur à voyager dans un autre monde, au moins aussi jouissif que la passion que leur vouait leur regretté propriétaire.