Au rythme de deux expositions d’envergure par an, le fonds Hélène & Édouard Leclerc, créé en Bretagne en 2011, s’est vite implanté dans le paysage culturel. Une aventure à rebonds, signée Michel-Édouard Leclerc.
À Landerneau, qu’il soit l’un des maîtres du XXe siècle ou un plasticien d’aujourd’hui, qu’il se nomme Alberto Giacometti ou Lorenzo Mattotti, l’artiste est persona grata. Dans l’ancien couvent des Capucins, tout a été prévu pour le recevoir au mieux, le découvrir, comprendre son univers et le partager. Au cœur du Finistère, derrière ses murs de pierre de Logonna, le fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la culture est devenu, en cinq ans, le creuset d’expositions ambitieuses. Sous l’impulsion de Michel-Édouard Leclerc, son président, cette fondation privée, portée par une équipe de quinze personnes autour de Marie-Pierre Bathany, sa directrice, a relevé un à un les défis pour proposer des accrochages dignes d’institutions nationales. Les œuvres de Dubuffet, Monory, Miró, Chagall, sont venues habiter ses cimaises. Aujourd’hui, «Hans Hartung et les peintres lyriques», orchestré par Xavier Douroux, directeur du Consortium à Dijon, clame la gestualité et la fulgurante inspiration de générations d’artistes de l’après-guerre. Passion et rigueur, réflexion et expertise semblent à l’œuvre dans la conception de chaque exposition. Michel-Édouard Leclerc nous en dévoile les ressorts, les principes et l’élan.
Quelles intentions ont motivé la création du fonds Hélène & Édouard Leclerc (FHEL) ?
Dans ma jeunesse, je voulais être missionnaire. Si j’ai orienté différemment ma vie, le sens de l’engagement ne m’a pas quitté. L’aventure du FHEL en est le reflet, me donnant l’opportunité de conjuguer un projet artistique collectif à de profondes aspirations. Dès l’enfance, déjà féru de bandes dessinées, j’avais une passion égale pour la peinture. J’avais imaginé à l’école un petit musée où j’exposais des reproductions de toiles, découpées dans les magazines, soigneusement encadrées d’une marie-louise. À cette époque, mes parents créaient à Landerneau, où nous vivions, le tout premier supermarché Leclerc. Son site, le couvent des Capucins, dont ils firent l’acquisition, avait tour à tour abrité une école, une manufacture, une brasserie, une prison puis un entrepôt. Quand, devenu trop exigu, l’endroit retrouva son silence, l’idée de lui rendre une vocation culturelle a fait son chemin. Je crois beaucoup au rôle et à l’impulsion de l’art dans une société trop souvent apathique. Amener dans cette partie de la Bretagne des expositions d’envergure, faire découvrir aux publics des artistes majeurs, ont été les objectifs et les enjeux qui ont présidé à la création du FHEL. Ainsi, au début des années 2000, nous disposions d’un espace capable d’accueillir de vastes rétrospectives, alors que la région, malgré ses beaux musées, en était dépourvue.
Comment le FHEL se positionne-t-il en tant qu’acteur culturel ?
Ce fonds de dotation est un organisme privé qui assume, sans aide ni subvention, une mission de service public. Jamais, avant d’être présentés à Landerneau, Miró, Dubuffet et Giacometti, avec quelque trois cents œuvres, n’avaient fait dans l’Ouest l’objet d’expositions de cette ampleur. N’étant ni une fondation d’entreprise ni un fonds patrimonial doté d’une collection, mais une association régie par la loi de 1901, le FHEL s’appuie sur le mécénat et l’expérience de cinq cents chefs d’entreprise E. Leclerc volontaires, qui ont soutenu pendant deux décennies près de soixante manifestations culturelles en France, du Festival de la BD d’Angoulême à la Folle Journée à Nantes. Ces donateurs, ainsi qu’une demi-douzaine de partenaires bancaires et industriels, permettent l’organisation de deux à trois expositions par an. Cette indépendance favorise la souplesse de nos choix et une programmation qui égrène les très grands du siècle passé, conviant également artistes contemporains et maîtres de la bande dessinée. Notre ligne, caractérisée par son ouverture, facilite aussi nombre de partenariats et de mutualisations avec les acteurs culturels de la région, d’Océanopolis à l’abbaye de Daoulas, de «L’art dans les chapelles» au domaine de Kerguéhennec, qui présente en miroir de celle du FHEL une exposition consacrée à l’épouse de Hans Hartung, Anna-Eva Bergman, autre figure de l’abstraction.
Quel bilan peut-on tirer de cette expérience ?
Aujourd’hui, le FHEL a conquis sa légitimé artistique. Le choix de confier chaque exposition à un commissaire artistique différent, qui saura signer de sa vision une narration sensible, nourrit l’effet de surprise et l’intérêt du public. Le Fonds des Capucins est également devenu producteur d’expositions. La présentation de l’œuvre sculpté de Giacometti nous a engagés dans la restauration de plâtres majeurs, qui n’avaient jamais voyagé. Après Landerneau, ces œuvres sont parties à Shanghai et seront bientôt présentées à la Tate Modern, à Londres. De même, l’exposition Lorenzo Mattotti fait actuellement halte à la villa Manin, près de Trieste en Italie, et «Métal Hurlant, 1975-1997 : la bande dessinée fait sa révolution…» rejoindra Liège, au printemps, au musée de La Boverie. Désormais, grands collectionneurs et fondations qui n’ont pas la chance d’avoir de vitrine font appel à nous.
Comment entendez-vous maintenir cet élan ?
Après Hartung, nous préparons un grand projet Picasso ainsi qu’une exposition des représentants mondiaux des figurations libres, de Keith Haring à Robert Combas. Dans le futur, le FHEL insufflera à sa programmation davantage de contemporanéité et des artistes moins connus, proposant un équilibre tangible entre arts populaires, arts graphiques et arts plastiques.
Parallèlement, vous avez créé MEL Publisher, une société d’édition de monographies et d’estampes. Est-ce un prolongement de l’aventure des Capucins ?
Ça, c’est un projet personnel ! J’ai trois pôles d’activité : au sein du mouvement E. Leclerc, à la fondation à Landerneau et, depuis peu, dans un nouveau label d’édition d’art, MEL Publisher, créé avec Lucas Hureau, formé à l’estampe et ancien d’Artcurial. Chacune de ces activités a son propre objet et ses exigences, mais j’aime les mener de front et pouvoir exploiter toutes les correspondances. C’est en tant que distributeur, grâce notamment aux espaces culturels E. Leclerc, que nous sommes devenus un acteur majeur de la diffusion de produits culturels, le deuxième libraire et le troisième disquaire de France. C’est avec la créativité de ces mêmes entrepreneurs que nous pouvons focaliser l’activité du Fonds sur l’exposition et la médiation. Enfin, c’est parce qu’ils m’ont inculqué le sens de l’entrepreneuriat que ces mécènes m’ont donné l’idée de créer ma propre société d’édition. On y trouverades œuvres d’artistes issus de la bande dessinée comme Lorenzo Mattotti, Nicolas de Crécy, ou de Stéphane Blanquet dans une approche renouvelée du 9e art. Ce choix me vient de ma passion pour la BD. Actuellement, nous réunissons un ensemble d’estampes, produites dans les principaux ateliers de gravure français, signées Françoise Pétrovich, Damien Deroubaix, Agnès Thurnauer, Jérôme Zonder…
Est-ce la préfiguration d’un musée de la bande dessinée ?
Il y a un projet de cette nature dans mes cartons. Les politiques publiques d’acquisition d’œuvres de bande dessinée sont méprisantes pour les artistes. Heureusement, nous sommes quelques collectionneurs en Europe à pouvoir présenter des ensembles artistiquement cohérents. Il faut leur trouver un écrin. Ce sera donc une quatrième vie.