Brossé par Henri Epstein, voici le portrait d'une ex-vedette de cirque, que les hasards de la vie et de l'amour firent aussi fréquenter les grands artistes du début du XXe siècle.
Au premier regard jeté sur ce portrait, on devine que son modèle est une femme qui n’a pas froid aux yeux… Fixée sur la toile dans l’entre-deux-guerres par son ami le peintre Henri Epstein, auprès d’un piano et d’un violoncelle, la dame s’est pourtant assagie après une jeunesse tumultueuse passée sur les planches de la Belle Époque. De son vrai nom Anaïs-Mauricia Bétant, elle naît à Thiers le 20 juin 1880 dans une famille de ciseliers ; loin de ce cocon provincial étouffant, elle monte à Paris en 1900, et devient artiste de cirque. La jeune fille y rencontre le peintre Alonso Pérez et l’ingénieur Maurice Garanger, qui lui confient le volant de leur dernière invention : l’ «auto-bolide», un véhicule capable d’effectuer dans le vide un looping à 20 mètres de haut. Très vite, le numéro, extrêmement périlleux, rend célèbre celle qui se fait désormais appeler Mauricia de Thiers ou de Tiers. Triomphant aux Folies-Bergère en 1904, elle est engagée par le cirque Barnum & Bailey, et se couvre de gloire aux États-Unis. Enrichissant son répertoire, cette trompe-la-mort effectue également des sauts périlleux à cheval, avant de faire culminer sa carrière au Casino de Paris, transformée en «femme bilboquet», assise sur une énorme boule en osier propulsée en l’air ! Mais en 1910, date de sa rencontre avec Gustave Coquiot (1865-1926), s’ouvre pour Mauricia le deuxième chapitre de son existence, cette fois entièrement vouée à l’art.
Epstein, l’ami et le protégé
Coquiot est l’un des critiques artistiques les plus respectés de son temps. Très tôt, il a su reconnaître le génie de Van Gogh et celui d’Utrillo, avant d’organiser, en 1901, la première exposition de Picasso chez Ambroise Vollard. Ce découvreur de talents a par ailleurs été le secrétaire d’Auguste Rodin, et l’auteur de très nombreux ouvrages sur la peinture et la photographie de son temps. Avec Mauricia de Tiers, ils forment un couple solide, pivot d’un cercle grandissant d’artistes où se côtoient Marc Chagall, Suzanne Valadon, André Utter, Maurice De Vlaminck ou Raoul Dufy… Les deux passionnés d’avant-gardes constituent alors une collection remarquable d’art moderne, dont une grande partie sera dispersée à la mort de Gustave, survenue le 6 juin1926. Aujourd’hui, c’est le fonds de cet ensemble qui réapparaît à Saint-Étienne où, à côté lettres inédites d’Utrillo et de Chagall ou de tirages d’Atget et de Kertész, on ne dénombre pas moins de dix-sept œuvres signées Henri Epstein. Né à Lodz, en Pologne, l’artiste vit à Paris depuis 1913 ; toujours été soutenu par Gustave Coquiot, et après la disparition de ce dernier, par son énergique épouse. Affichant l’expressionnisme joyeux et rythmé par la couleur propre à son auteur, ce portrait garde le souvenir des liens d’amitié tissés entre Henri et Mauricia. Deux personnalités hors du commun qui connaîtront des destins bien différents : tragique pour le peintre, assassiné à Auschwitz début 1944, et politique pour l’ancienne casse-cou, l’une des premières femmes maires de France, Othis (Seine-et-Marne), de 1945 jusqu’à son décès en 1964.