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Matière et transparence

Publié le , par Anne Foster
Vente le 13 juin 2019 - 14:30 (CEST) - Salle 14 - Hôtel Drouot - 75009

Peintre qualifié d’informel, Jean Fautrier  même dans sa période figurative  fait émerger la lumière des objets, affleurant à la surface d’une matière épaisse et granuleuse.

Jean Fautrier (1898-1964), Nature morte à la carafe et aux pommes, 1939, huile sur... Matière et transparence
Jean Fautrier (1898-1964), Nature morte à la carafe et aux pommes, 1939, huile sur papier marouflé sur toile, 73 92 cm.
Estimation : 100 000/150 000 

Rouge, vert et jaune sur blanc. Quatre pommes sont posées sur une nappe recouvrant à peine une table. La perspective s’inverse : les objets sont vus posés, les plans les supportant se redressent. La carafe forme un axe vertical ; ses contours bleutés sont brossés de quelques coups de pinceau sinueux, afin de figurer les ombres. La panse répète le dessin des fruits, alignés comme des notes de musique, deux rouges, une verte et une jaune. La matière apparaît comme en transparence, dont la lumière émane et rayonne sur toute la composition. Cette toile est une œuvre charnière, entre les peintures des années de l’entre-deux-guerres et celles inspirées par la Résistance et les tortures des nazis  la série des «Otages». Tout jeune adolescent, lorsqu’il habitait Londres avec sa mère, il avait été admis à la Royal Academy, qu’il abandonna au bout de quelques années. Fautrier arrive à subvenir à ses besoins en vendant des dessins et des petites peintures. En 1917, il est appelé sous les drapeaux. «La guerre, le front, trois années perdues totalement, écrira-t-il à Jean Paulhan, en 1944, où chaque jour je rageais de ne pouvoir poursuivre  hostile à tous événements guerriers  rageant contre l’inhumanité de ces tueries.» Le succès est enfin au rendez-vous, notamment soutenu par Paul Guillaume et par Jeanne Castel, dans les années 1924-1925. Pendant presqu’une décennie, malgré la crise, il poursuit ses recherches en peinture ainsi qu’en sculpture. Arrivé au bout de ses ressources, il part en Savoie, pour gérer un dancing à Tignes, puis ouvrir une boîte de nuit à Val-d’Isère. Rentré à Paris pendant la drôle de guerre, il ne tarde pas à entrer dans la Résistance, son atelier servant de boîte aux lettres ; arrêté, il est libéré grâce à l’intervention d’Arno Breker, à la demande de son ami Jean Paulhan. Trouvant refuge à Chatenay-Malabry, il débute sa série des «Otages», un vague rond blanc strié d’un trait rouge, sur fond vert d’eau. Exposée à la Libération, elle assied sa réputation. Comme Jean Dubuffet, il est l’un des maîtres français de l’art informel et matiériste. Édith Boissonnas trouve «chez Fautrier, la qualité de transe transmise par ces tableaux épais et pourtant vaporeux, comme les roches absorbées par la lumière». Quatre pommes et une carafe sur une table couverte de blanc : des choses si simples, si évidentes, transformées par l’artiste en une révélation joyeuse, comme venant de naître sous notre regard. Avec une économie de moyens  du blanc d’Espagne en couches épaisses, des encres et des pigments opaques ou transparents , il atteint la majesté silencieuse de l’œuvre d’art.

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