À l’heure où s’ouvre la seconde édition dans la ville rouge de la foire d’art contemporain africain 1-54, les acteurs privés du domaine ont le feu vert pour renforcer les liens entre le marché et le monde de l’art en Afrique.
Dynamiser le commerce de l’art et la scène artistique marocains : c’est le défi que 1-54 compte bien relever une nouvelle fois. Le temps d’un week-end, la foire d’art contemporain africain et de sa diaspora réunira dix-huit galeries (dont trois marocaines) au sein de l’emblématique palace La Mamounia. Établie avec succès depuis 2013 à Londres, et respectée du public afro-américain grâce à son édition new-yorkaise donnée chaque année depuis 2015, «la foire de toutes les Afriques est, pour sa fondatrice et directrice Touria El Glaoui, devenue un événement culturel global et à part entière». Pendant ses deux jours d’ouverture au public (un peu plus pour les professionnels et les collectionneurs n’hésitant pas à faire le déplacement), Marrakech devient le centre de l’art contemporain africain. Un marché dont la stabilisation est à venir, alors que les institutions culturelles marocaines évoluent dans un environnement mouvant.
Dynamisme de la société civile
«Après la stabilisation du marché de l’art au Maroc, dans les années 1970, Marrakech s’est définie comme un point d’échange stratégique en Afrique du Nord ; elle est à la fois tournée vers l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique», explique Touria El Glaoui, petite-fille du célèbre pacha de cette ville et fille du peintre Hassan El Glaoui. «1-54 s’est naturellement installé à la même date que la Biennale de Marrakech, en février. Malheureusement, cette dernière est aujourd’hui arrêtée pour cause de problèmes de direction et de financement.» Le devenir incertain de cette initiative privée, portée par Vanessa Branson (sœur du fondateur du groupe Virgin), puis son annulation en 2018 ont laissé la place à l’émergence de nouveaux acteurs, toujours de la société civile. «Le public marocain s’est habitué à ce que la vie artistique se passe dans ces structures», observe Meryem Sebti, rédactrice en chef du magazine Diptyk, le premier titre de presse dédié à l’art contemporain du monde arabe. «Beaucoup d’artistes marocains reconnus dans le monde entier, tel Mounir Fatmi, n’ont pas de galerie au Maroc. Le collectionneur du pays n’a pas accès à leurs œuvres, hormis dans les foires internationales», analyse l’éditorialiste, récemment interrogée à ce sujet lors d’une conférence menée par Pauline Simons. Cette dernière est aussi la fondatrice du prix HYam, axé sur la scène méditerranéenne, qui a l’an dernier récompensé Abdelaziz Zerrou, plasticien vivant entre le Maroc et la Suisse. De son côté, le musée d’art contemporain africain Al Maaden (Macaal) symbolise l’essor et la richesse de la culture à Marrakech. Officiellement inauguré pendant la COP 22, en 2016, cet établissement privé rejoint l’action menée par les espaces d’exposition sans but lucratif de la ville, qui soutiennent la création dans toute sa diversité. Cette année, dans le programme «hors les murs» de la foire 1-54, le musée Yves Saint Laurent de Marrakech (4 000 mètres carrés livrés en 2017 par Bouygues pour accueillir le patrimoine du couturier) présente par exemple l’œuvre produite au Maroc par Brice Marden, peintre américain d’obédience minimale représenté par l’éminente galerie Gagosian. La fondation Montresso dix ans d’activité expose quant à elle des artistes ivoiriens majeurs, tel Armand Boua, soutenu par la galerie Cécile Fakhoury, exposant à 1-54.
Et le Macaal voit grand. Implanté à deux pas du parc de sculptures monumentales Al Maaden, ce lieu de 900 mètres carrés, fruit de la Fondation Alliances (créateur des programmes artistiques La Chambre claire et Passerelles), se donne pour mission de «démocratiser l’accès à l’art» selon son directeur, fils du PD-G du groupe immobilier éponyme, Othman Lazraq. «Notre objectif est d’offrir la meilleure plateforme d’exposition aux artistes locaux et étrangers, de mener une action éducative ouverte à tous et de contribuer au développement de la vie culturelle marocaine, pour la rendre attractive à l’échelle internationale.»
Un budget public quasi inexistant
La collection des Lazraq est un ensemble exceptionnel d’œuvres d’artistes africains importants et populaires, notamment Hassan Hajjaj, installé à Marrakech. Elle constitue le socle d’une institution qui joue un rôle dynamique dans la mise en valeur de la pluridisciplinarité, inhérente aux pratiques artistiques en Afrique aujourd’hui. Après s’être à ses débuts intéressée aux liens entre l’art africain et les enjeux écologiques du continent, le Macaal inaugure donc, en même temps que la foire 1-54, l’exposition «Material Insanity» (à voir jusqu’au 29 septembre 2019), qui rassemble peintures, photographies, vidéos, sculptures et installations créées artisanalement et, pour la plupart, à partir d’objets et de matériaux recyclés. Au Maroc, le budget public alloué à la culture est quasi inexistant. Les projets illustrant de manière concrète la volonté d’ouverture prônée par le pouvoir ne sont pas non plus légion exception faite du musée d’art moderne et contemporain de Rabat, livré au nom de Mohammed VI en 2014. Pour autant, la ville de Marrakech dispose de nombreux atouts pour porter les couleurs de la culture africaine et apporter une réponse aux défis du continent dans le domaine de l’art. Certes, les taxes sur l’importation des œuvres étrangères auxquelles elle est sujette, tout comme ses voisins, peuvent constituer un frein à son développement. Mais des événements tels que les ventes aux enchères organisées par la Marrakech Art Week depuis 2011, son titre de «capitale africaine de la culture 2020», ou encore sa francophonie un avantage pour séduire certains collectionneurs dans un marché de l’art globalisé , lui donnent toutes les clés pour s’affirmer au-delà d’une destination touristique de luxe, l’art en plus.