Galeriste spécialisée dans les pays d’Europe du Nord et la Corée, Maria Lund, dans son espace du Marais, revendique son engagement et défend la place des galeries défricheuses face à la financiarisation du marché.
Le plus frappant lorsque l’on entre dans votre galerie, c’est que vous venez accueillir personnellement tout visiteur. On saisit immédiatement l’esprit de la maison…
Il s’agit là de ma façon de travailler depuis plus de dix-huit ans maintenant, toujours à la même adresse, rue de Turenne, d’ailleurs. Je trouve qu’on s’éloigne de plus en plus de cet engagement et de cet accompagnement fondamental qui ont caractérisé le rôle des galeries pendant longtemps. Mais ce constat ne concerne pas uniquement le monde de l’art : nous sommes dans ce que je nommerais la «culture du tout mouvement» et du «pop up», sauf que cette dynamique n’est pas compatible avec le travail de fond d’une galerie. Dans ce contexte général de mutation, nous sommes confrontés à de nouveaux enjeux éthiques et déontologiques qui ne doivent pas nous empêcher de poser les bonnes questions pour éviter d’être emportés par les logiques de marché (où seul l’argent compte) ou par des logiques de survie guidées par des difficultés financières.
La conception du travail du galeriste a indéniablement changé, face à la montée en puissance d’Internet, la pression des foires qui imposent, pour certaines, les artistes qu’elles souhaitent, le besoin de nouveauté…
La problématique ne concerne pas uniquement les foires : ces dernières reflètent une tendance générale qui se traduit par un désir de mouvement devenu la nouvelle règle. Or, on ne peut pas s’appuyer sur cette instabilité et sur ce désir de nouveauté érigé comme une «qualité» sine qua non. Notre rôle de galeriste est comparable à celui du jardinier, qui prend le temps d’arroser ses graines une à une et sans en oublier aucune. Mais nous ne pouvons maintenir cette approche dans la durée si l’écosystème dans lequel nous évoluons est aussi bouleversé. Et puis, un artiste a besoin de temps pour construire un travail significatif et profond. On a besoin de réintroduire le facteur «temps».
Comment définiriez-vous votre rôle de galeriste, alors que les modèles en ligne se développent ?
Une galerie est une entreprise dans laquelle une personne s’engage avec des artistes dont elle fait la promotion, avec tout ce que cela implique : des investissements financiers, beaucoup de temps, le soutien de l’artiste s’il a des passages difficiles, mais aussi pour l’aider à gérer le succès, ce qui peut être compliqué ! Cet engagement-là est au cœur de mon métier, que je continue de défendre et qui est un vrai savoir-faire, impossible à remplacer par des sites où l’on fait miroiter des commissions moindres.
Un métier qui semble se diversifier avec Internet…
Il faut poser la question du mélange des genres : est-ce que ces sites sont des places de négoce ? Des médias ? Quel est leur rapport à l’artiste, la qualité de l’accompagnement de son travail ? On ne peut pas penser uniquement sur du court terme.
Comment, selon vous, réagir face à cette nouvelle donne ?
Il suffit de savoir si nous voulons d’un marché où seuls dominent des acteurs extrêmement puissants financièrement, qui vont décider de qui doit être sur le devant de la scène, ou si nous continuons à croire en des structures de petite ou moyenne taille, qui sont un territoire de découvertes. Les collectionneurs ont ici leur mot à dire : ils doivent continuer à s’engager, venir à notre rencontre dans les galeries et miser aussi sur les artistes moins établis.
Comment se positionnent vos collectionneurs par rapport à ces nouveaux outils ?
Les collectionneurs sont la plupart du temps inscrits dans une relation de fidélité envers les artistes et les galeries, une relation qui se cultive et qui ne se construit pas en deux minutes. Cette relation est fondamentale pour la survie de la galerie et des artistes. À titre d’exemple, j’accompagne Peter Martensen depuis 2000, et dix-sept ans après, le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne le consacre autour d’une exposition personnelle, «Ravage» (essentiellement constituée de prêts privés), la première de l’artiste en France. Il s’agit là de l’aboutissement d’un travail de longue haleine, où se conjuguent des expositions personnelles, des présentations en foires, l’accession à des collections privées et publiques…
Quels sont les artistes fidèles de votre galerie ?
Nombre de collaborations durent depuis bien plus de dix ans. Ensuite, je trouve important de ne jamais perdre le contact avec la très jeune création, d’où le groupe d’artistes que j’expose depuis deux ou trois ans.
Quelle est la fourchette des prix ?
De 450 € pour le dessin d’un jeune débutant jusqu’à 20 000/50 000 € pour des artistes établis.
Est-ce que la galerie est rentable aujourd’hui ?
Oui, mais le contexte est assez difficile depuis quatre ou cinq ans, et notre secteur souffre également du départ de gens aisés qui ont quitté la France pour des raisons fiscales. Cela se traduit par l’ouverture d’un certain nombre de succursales à l’étranger ou par la fermeture de certaines galeries qui partent elles aussi.
Vous n’êtes pas tentée par une ouverture en Belgique ?
Personnellement, cela ne me tente pas car je ne me vois pas décliner ce que je fais sur plusieurs espaces, c’est peut-être un défaut chez moi, mais j’aime être présente et impliquée directement !
Vous participez également à de nombreuses foires…
À Paris, j’ai participé cinq fois à Drawing Now car le dessin est un médium auquel je tiens plus spécifiquement, mais aussi à YIA et à Art Paris. Nous sommes allés à Londres et à Bruxelles à plusieurs occasions, et nous participons depuis 2008 à la KIAF, à Séoul. J’essaie petit à petit d’aller vers d’autres destinations pour agrandir nos possibilités de contacts. Prochaine étape : l’autre côté de l’Atlantique, histoire de toujours avancer sur de nouveaux fronts.
Quelle stratégie adoptez-vous selon que vous préparez Art Paris ou la KIAF à Séoul ?
J’essaie de varier en fonction de ma destination. Petit à petit, à force de mieux connaître le public, on sent sa réceptivité à certains artistes, à des préoccupations, des formes… Dans un contexte de mondialisation croissante, il faut toutefois reconnaître que certaines œuvres ont une portée universelle tandis que d’autre découlent d’un contexte plus spécifique ce qui n’enlève rien de la qualité de ces dernières.
Avez-vous des projets pour les prochaines semaines ?
Nous accueillons «Ce qui suit», la nouvelle exposition personnelle d’une sculptrice danoise, Lene Bødker, qui réalise des œuvres en verre autour des grandes questions existentielles. Je précise qu’il s’agit bien là de sculptures à part entière et non d’arts décoratifs, une catégorie dans laquelle on a encore tendance à enfermer certains artistes qui s’expriment à travers le verre ou la céramique.
Quels sont ses prix ?
Selon les œuvres, ils se situent entre 3 000 et 10 000 €. Lene Bødker a reçu de nombreux prix prestigieux dont le Kanazawa Glass Award The Grand Prize en 2007 et perçoit une bourse à vie de l’État danois reconnaissance institutionnelle exceptionnelle pour les artistes de son pays !