Peut-on nier, en lisant les journaux », que le secret de l’instruction « connaisse chaque jour davantage des exceptions plus nombreuses et sérieuses en faveur de la presse ?» Cette exclamation se retrouve dans les annales de La France judiciaire de l’année 1902. Charles Marcy, procureur général et auteur d’un manuel des juges d’instruction, constate une évidence : ces indiscrétions «tendent à se généraliser quand les procédures agitent ou simplement intéressent le public. De nos jours, les journalistes connaissent avec une facilité surprenante ce qui se passe dans le cabinet des officiers de police judiciaire et de certains juges d’instruction». «Surchargés d’affaires de toutes sortes», qui leur font perdre de vue les instructions du Code et de la chancellerie, les juges enfreignent la règle du silence plus souvent qu’à leur tour. Ils sont rejoints par les avocats, qui, depuis la loi du 8 décembre 1897, ont accès aux dossiers d’instruction. Mais «il est bien rare que l’avocat prenne l’initiative d’une infraction au code criminel. Et les reporters le savent si bien qu’ils s’adressent rarement à eux». Nous voici rassurés. Quel que soit le premier coupable, «les lecteurs sont tenus au courant de la marche des affaires pénales. Les journaux relatent les interrogatoires, les dépositions, les confrontations, les expertises, etc. Les journalistes précisent tout, à quelques variantes près, car leur imagination est plus fertile». Indéniablement, le «but de la presse est restreint au désir d’intéresser les lecteurs. Ses articles ne sauraient donc être marqués toujours au coin de l’impartialité et de l’exactitude les plus scrupuleuses.
Chaque journaliste prend ce qu’il veut et transforme comme il lui plaît. Il leur importe peu de montrer les affaires sous leur vrai jour, et les accusés sous leur véritable aspect. Cependant, leurs articles et leurs associations subsistent. La foule partage leurs opinions exagérées ou erronées, lesquelles suivront l’affaire jusqu’à la décision des juges, souvent après». Quelque cent vingt ans plus tard, combien de marchands d’art impliqués dans les maelströms médiatico-judiciaires seraient-ils enclins à reprendre cet énoncé ? Pour son auteur, ce «système bâtard qui, tout en conservant une forme secrète aux procédures, accorde cependant aux journalistes la facilité d’en donner, à leur gré, des comptes rendus plus ou moins exacts est incontestablement mauvais». Il reconnaît cependant que ces écarts pourraient être pris comme autant de compensations à «l’instruction secrète, un des débris des lois inquisitoriales de l’Ancien Régime», que cet homme de raison pense «appelée à disparaître prochainement». En attendant ce moment qui ne saurait tarder, il suggère de donner la faculté aux juges de divulguer eux-mêmes certains éléments à la presse, sans entraver la présomption d’innocence et l’avancée de l’enquête, plutôt que de laisser cours à ces dévoiements. Cette «ingérence du journal, préjudiciable à la fois à la société et à l’accusé», trouve un écho particulier sur le marché de l’art. Quand des maisons vénérables tombent sous le soupçon de ventes de faux et d’opérations de blanchiment, au-delà de sa validité aux yeux de la Justice, leur réputation est atteinte. Elles ont des bonnes raisons de soutenir que le prestige de leur nom se trouve au cœur de leur patrimoine. Mais il se trouve aussi associé à leur expertise, dont les clients sont en droit d’attendre un exercice sans défaut.
Les propos publiés dans cette page n’engagent que leur auteur.