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Marché de l’art : le casse-tête de la TVA

Publié le , par Vincent Noce

L’Union européenne impose une réforme fiscale qui concerne tout le secteur culturel et pourrait particulièrement affecter le marché de l’art.

© Conseil européen Marché de l’art : le casse-tête de la TVA
© Conseil européen

Un « suicide français » ? Un « sabordage » ? Manifestement, les acteurs du marché de l’art et les défenseurs du patrimoine ont été très émus par la possibilité d’une augmentation de la TVA à l’importation des œuvres d’art venant de l’extérieur de l’Union européenne. En cause, une directive du 5 avril 2022 du Conseil européen, destinée à harmoniser les régimes de la TVA mis en place dans l’Union en 2006. Martine Robert a levé le lièvre dans Les Échos. Les médias spécialisés ont suivi, sur le même ton alarmiste – erreurs et approximations à l’appui. Certains ont laissé entendre que la taxe sur la valeur ajoutée des importations de biens culturels allait quadrupler, ce qui n’a rien de certain, que la réforme affectait seulement la marge des marchands ou que les organismes professionnels n’avaient rien vu venir, ce qui est inexact. Depuis l’année dernière, la Confédération internationale des négociants en objets d’art (Cinao) a alerté ses branches nationales sur le sujet. Elle a eu un échange, en compagnie du Comité professionnel des galeries d’art, avec Bercy en décembre. Le 24 février, les représentants des antiquaires et des galeristes ont été reçus au ministère de la Culture. Dans les deux cas, les délégués ont eu le sentiment d’avoir été entendus, mais le gouvernement n’a pas encore arrêté sa position sur l’application de la directive.

Rapprochement des échéances
Il est vrai que la réforme est un véritable casse-tête. Pour qui prend la peine de lire ce texte et n’a pas eu la chance de suivre la filière technico-fiscaliste en faculté de droit – option interprétation simultanée de la langue bruxelloise –, elle est difficilement compréhensible. Cause de l’émoi : adoptée à l’unanimité des États membres et signée Bruno Le Maire, puisque la France assumait alors la présidence du Conseil —, elle supprime l’article 103 du texte de 2006 qui stipulait que « les États membres peuvent prévoir que le taux réduit s’applique aux importations d’objets d’art, de collection ou d’antiquité ». L’article posait la même liberté pour les artistes vendant leurs œuvres : « Les États membres peuvent également appliquer le taux réduit aux livraisons d’objets d’art effectuées par leur auteur ou par ses ayants droit. » À ce jour, il est de 5,5 % en France – contre 20 % pour le taux normal. Un avant-projet risquait même d’inscrire les œuvres d’art sur un liste dite « négative », interdisant tout taux réduit, mais l’idée d’une liste noire a été abandonnée. Tout le régime fiscal du marché de l’art est donc à reprendre à zéro. Néanmoins, la nouvelle directive conserve la faculté de recourir à cette dérogation du taux réduit pour les cessions d’artistes ou les importations de biens culturels, l’option revenant à chaque État. Les professionnels se sont donc alarmés du risque que la France puisse choisir d’imposer le taux normal, de 20 %, ce qui aurait selon eux un impact « dévastateur » sur leur activité. Déjà, ce droit douanier est une ineptie : aujourd’hui, si un collectionneur new-yorkais fait venir un Picasso valant 20 M€ pour l’accrocher dans son appartement parisien, il lui faut payer 1,1 M€ de TVA, même s’il n’a aucune intention de le vendre. Il y a une certaine schizophrénie dans la conduite d’un État qui excipe de « l’exception culturelle », dont la France se montre si fière, pour retenir les trésors nationaux en espérant qu’ils puissent enrichir les musées, tout en dissuadant avec tant d’allant leur entrée sur le territoire. Encore faudrait-il rappeler qu’il y a une trentaine d’années, c’est la France qui s’est battue pour imposer cette taxe absurde à l’Europe, contre l’avis des Britanniques, qui n’en voulaient pas. Les professionnels ont donc de bonnes raisons de dire qu’une aggravation à 20 % serait un très mauvais signal pour un marché de l’art qui a plutôt bien résisté ces dernières années et se retrouverait à la merci de la concurrence britannique, qui n’a pas, elle, à suivre les nouvelles règles européennes. Mais nous n’en sommes pas là. La question mérite cependant d’être posée, car même si la directive rend la réforme obligatoire en 2025, la France entend prendre les devants et pourrait l’introduire dès 2024, le débat s’ouvrant alors dans les mois à venir pour la prochaine loi de finances.
 

Premiers ennuis
Le parcours est semé d’embûches. Le premier changement est que l’Union, soucieuse d’atténuer les distorsions de concurrence, entend limiter à vingt-quatre le nombre de cas d’application des taux réduits d’un minimum de 5 %. Pour les taux « super-réduits », inférieurs à 5 %, le choix est limité à sept produits ou services. Pour le moment, dans le domaine de la culture, bénéficient d’une TVA réduite à 10 % — dite « intermédiaire » —, les droits d’entrée des musées, des foires et des salons ou des fêtes foraines ; de celle à 5,5 %, outre les importations des œuvres d’art ou cessions par des artistes, la fourniture de livres, la billetterie des cinémas et de certains spectacles ; d’un taux « super-réduit », à 2,1 %, les créations et premières mises en scène de théâtre, d’opéra, de danse, de musique ou de cirque, ainsi que les livraisons de périodiques ou les abonnements aux agences de presse. La réforme à venir implique donc tout le secteur culturel, qui sort meurtri d’une fermeture de près d’une année, suivie d’un affaissement de la fréquentation et de la montée des prix de l’énergie. S’il y avait des sacrifices à consentir, pour défendre le maintien d’un système de faveur, le marché de l’art aurait face à lui de redoutables concurrents bénéficiant eux aussi d’une réduction de taux favorable à la vente, comme l’industrie automobile, les syndicats agricoles ou la restauration, sans compter les baisses consenties aux produits alimentaires, aux médicaments et aux équipements hospitaliers, à la distribution d’eau, de gaz et d’électricité, aux fournitures et services pour handicapés, à la livraison de repas aux cantines scolaires, au logement social, aux panneaux solaires, aux chaudières à énergie renouvelable, à l’amélioration énergétique des logements, à l’accès à la propriété ou aux tampons hygiéniques. Dans le pays d’Astérix et Obélix, toujours prêt aux empoignades, la sélection pourrait être douloureuse.

Nouvelles complications
Deuxième écueil, l’application de la TVA sur les transactions d’œuvres d’art. Elle est aujourd’hui de 20 % sur la marge bénéficiaire. Mais un articulet glissé dans la directive interdit cette assiette réduite, si l’importation de l’œuvre ou sa remise par un artiste ou un intermédiaire a bénéficié d’un taux réduit. Autrement dit, si la France veut conserver dans ces cas un taux à 5,5 %, il faudrait en théorie imposer les 20 % de TVA à la totalité du prix de vente, ce qui affecterait les revenus des galeristes mais aussi des créateurs, tout en faisant monter leurs prix. La position de Bercy ne semble pas encore déterminée, une des options étant de supprimer purement et simplement le régime de la marge, pour appliquer alors un taux de 5,5 % sur le prix de vente. Vous avez suivi, j’espère. Une aspirine, peut-être ?
 

à savoir
Le texte de la directive européenne est disponible en ligne via
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX%3A32022L0542#d1e825-1-1
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