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Mairies cherchent mécènes

Publié le , par Sarah Hugounenq

Alors que les budgets alloués aux collectivités diminuent, le mécénat territorial connaît une évolution spectaculaire. Acteurs majeurs des politiques culturelles, les échelons locaux en recherche de financements signent-ils la fin d’une mission publique ?

Projet de six fontaines pour le rond-point des Champs-Élysées à Paris, conçu par... Mairies cherchent mécènes
Projet de six fontaines pour le rond-point des Champs-Élysées à Paris, conçu par les frères Bouroullec et financé par le Fonds pour Paris.
© Bouroullec

Le constat est accablant : 2016 a vu la contraction des budgets culturels des collectivités locales d’une moyenne de 4 % pour les régions, 5 % pour les départements et 7 % pour les grandes villes, selon une étude de l’Observatoire des politiques culturelles (OPC) parue en janvier. Alors que la culture est menacée de toute part par la fermeture de centres d’art  tel Le Quartier à Quimper en 2016, suite aux coupes budgétaires de la ville  et de musées  dont celui des beaux-arts de Chartres depuis le 1er janvier , on assiste au développement exponentiel du mécénat territorial. En 2015, 26 % des entreprises mécènes ont soutenu le secteur public, soit le double comparé à 2013, selon l’Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial).
Le frein psychologique est levé
Tandis qu’Orléans engageait son premier chargé de mécénat municipal début avril, Rennes lançait son fonds de dotation fin 2016, après Cannes et Poissy en 2015. Les typologies de la levée de fonds sont diverses : la ville du Havre a créé un plan mécénat au sein de ses services, la communauté de communes de Saint-Omer a lancé un cercle de mécènes, la formule du fonds de dotation est plébiscitée par les métropoles de Bordeaux ou de Nantes… tandis que quelques collectivités comme Belfort, Vernon ou Abbeville s’essaient à une structure plus lourde, la fondation abritée. «Là où, il y a encore quelques années, le discours était fermé, la volonté des collectivités, au premier rang desquelles les mairies, est aujourd’hui de développer les financements extérieurs», constate Sébastianne Fourreau, directrice du cabinet de conseil en mécénat Fourreau & Associés. «Si elles sont volontaires, poursuit-elle, elles ne sont pas encore structurées en interne pour avoir une démarche mécénat déterminée et cadrée. Beaucoup tentent de créer des fonds de dotation pour toutes leurs structures, aboutissant à un manque de visibilité.» Tel est le cas de Paris, qui dispose de deux outils de ce type à vocation culturelle, le Fonds pour Paris, versé dans le patrimoine, et Paris Création, connoté «mode». De son côté, Rennes a choisi de réunir sous un même fonds ses onze institutions culturelles. «Ce rapprochement n’équivaut pas à une perte d’identité des établissements, qui gardent leur indépendance», explique Caroline Resmond, administratrice du fonds de dotation Rennes, ville et métropole de culture. «Le fonds n’est qu’un outil pour gérer les dons.» Avec plus ou moins d’autonomie, toutes ces structures se confrontent au même enjeu, celui de la manœuvre politique. «La formule du fonds de dotation, structure privée, nous permet de ne pas être attaqués sur le fond politique. Son indépendance est aussi un gage de transparence sur les coûts et les dépenses. À l’inverse, les cellules de mécénat intégrées aux services municipaux ont tendance à susciter la méfiance des mécènes», déclare Anne-Céline Delvert, du Fonds pour Paris. «Même si certaines personnes au sein de la municipalité sont contre le fonds, le succès est là. De plus, le processus de validation des projets permis par celui-ci rend impossible de les remettre en cause», analyse pour sa part Caroline Resmond. Le recours  largement plébiscité par les collectivités  à l’autonomie du fonds de dotation permettrait donc plus d’étanchéité avec l’idéologie politique, dont l’action culturelle portée localement a toujours été la victime. Cela étant dit, cette structuration accrue ne menace-t-elle pas, à terme, de rendre l’action publique dépendante du financement privé ?

 

Saint Jude Thaddée de Jusepe de Ribera (1591-1652), acquis par le musée des beaux-arts de Rennes grâce à une souscription publique, initiant le fonds
Saint Jude Thaddée de Jusepe de Ribera (1591-1652), acquis par le musée des beaux-arts de Rennes grâce à une souscription publique, initiant le fonds de dotation Rennes, ville et métropole de culture.
© Musée des beaux-arts de Rennes

Un mécène pour financer la ville ?
La tentation est grande de s’interroger éthiquement sur la pratique de collectivités locales, traditionnellement pourvoyeuses de fonds, à faire la cour à des financeurs extérieurs pour mener à bien leurs prérogatives. «Il ne faut pas se voiler la face, admet Caroline Resmond : pour maintenir une politique culturelle dynamique, nous devons diversifier nos ressources. Toutefois, même si la somme escomptée en mécénat n’était pas atteinte, le projet ne serait pas mis en péril. Le mécénat permet d’alléger les budgets municipaux, que l’on peut ainsi rediriger sur des projets tout aussi nécessaires, mais parfois moins attractifs aux yeux du public.» Pour Jean-Pierre Saez, directeur de l’OPC, la vigilance reste de mise : «Le mécénat, qui doit mobiliser au profit d’un projet, ne résout pas le problème de fond de la préservation du réseau des infrastructures culturelles. L’État doit plus que jamais être garant de leur fonctionnement pour que les projets aboutissent. Le mécénat est une plus-value et non un système destiné à remplacer le financement public !» La limite est pourtant ténue : en 2015, le musée de Honfleur en appelait au privé pour financer l’achat d’ampoules LED… La question se pose de manière aigüe concernant le Fonds pour Paris, qui finance à 100 % par le mécénat les projets soutenus. «C’est bénéfique, car cela permet à la Ville de concentrer ses financements sur le fonctionnement et d’affirmer qu’il est encore possible, malgré le contexte, d’innover», déclare Anne-Céline Delvert. «Le mécénat n’est pas un dévoiement des missions publiques», proteste Jean-Marc Roze, adjoint délégué aux finances à la mairie de Reims, pionnière en 2010 en créant une cellule mécénat au sein de ses services. «Il permet la réunion de ceux qui veulent embellir notre ville, et l’appropriation du patrimoine par chacun, et non par la seule puissance publique.» C’est dans cette logique que celui-ci organise, une fois l’an, la réunion de l’ensemble des mécènes de la cité, pour les fidéliser, mais aussi pour créer du lien entre les entrepreneurs du territoire.

 

La cathédrale Saint-Christophe de Belfort, avant les travaux portés par la fondation abritée Belfort, ville patrimoine. © Belfort
La cathédrale Saint-Christophe de Belfort, avant les travaux portés par la fondation abritée Belfort, ville patrimoine.
© Belfort


Démocratie participative
En fédérant les particuliers et les entrepreneurs autour d’un projet commun, le mécénat territorial renforce la cohésion des membres d’une collectivité et ancre l’action localement. Il n’est pas anodin de noter que l’intitulé des postes de fundraisers (professionnels du mécénat et de la collecte de fonds) des collectivités associe le mot «partenariat» à celui de «mécénat». «Le mécénat territorial permet d’intégrer davantage la société civile à la ville, surenchérit Anne-Céline Delvert : on le constate, il y a un besoin de mécénat auquel nous répondons, tout en échappant à la lourdeur administrative française.» Selon le baromètre Admical 2016, 81 % des entreprises privilégient des projets de proximité, afin de contribuer pour 40 % d’entre elles à l’attractivité du territoire en redynamisant les économies locales. «En tant qu’ancien chef d’entreprise mécène, je peux dire que mon soutien était celui de l’engagement au service du rayonnement de la ville, qui impactait la notoriété de mon entreprise», poursuit l’adjoint au maire de Reims. «Il est sain que les collectivités mobilisent les entreprises autour du bien commun, analyse le directeur de l’OPC. Leur rôle est celui d’un travail d’entregent pour réunir le monde de la culture et celui de l’entreprise. Mais il faut veiller à ne pas confondre le renforcement de l’attractivité d’un territoire et l’accroissement du mieux-être ensemble. Le premier ne donne pas un sens plein et entier à l’action culturelle, car il n’intéresse pas la population locale. L’important est de créer une dynamique locale de décloisonnement.» Témoin de la volonté toujours plus forte d’engagement et d’implication des particuliers dans les décisions communes, ce bouleversement des économies locales ne doit pas faire oublier le risque que se crée un déséquilibre entre les régions. À trop miser sur un creuset industriel pour financer leur action culturelle, les collectivités les moins bien dotées en entreprises pourraient décrocher. Dans cette marche forcée vers plus de fédéralisme, l’État est plus que jamais le garant de l’égalité d’accès à la culture. Le mécénat territorial, la nouvelle ligne de fracture des politiques culturelles ?

À LIRE 
Guide du mécénat culturel territorial, diversifier les ressources pour l’art et la culture, sous la direction de Jean-Pascal Quilès, directeur adjoint de l’OPC, et Marianne Camus-Bouziane, consultante en mécénat, coéd. Observatoire des politiques culturelles/ Territorial éditions, 168 pp., 2012, 60 €.
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