Françoise Nyssen débarque. Béat, Libération annonce une «tempête réjouissante» rue de Valois. Il paraît qu’elle a «le sourire de ceux qui sont en mouvement» et «font avancer les choses».
Le sourire est toujours le bienvenu. Pour toute tempête, un mois après son arrivée au ministère de la Culture, où elle s’est consciencieusement livrée aux hommages journaliers aux artistes décédés dont ce ministère a fait une servitude absurde, elle a livré une interview assez consternante au Parisien, pour lequel elle se contente de répéter les bêtes propositions de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, dont l’intérêt pour la culture et l’éducation reste à démontrer. Ainsi de l’ouverture dominicale des bibliothèques qui ne sont pas de son ressort. On ne saurait mieux avouer l’impréparation de ce gouvernement aux dossiers culturels. Le plus surprenant est la reprise de l’idée stupide de distribuer 500 € à ceux qui fêtent leur dix-huitième anniversaire pour acheter des disques, des livres ou des places de concert (l’entrée des musées, rappelons-le à la ministre, est gratuite à cet âge). C’est cela, «la porte d’entrée de la culture pour les jeunes»? «Cette formule a été développée en Italie, où nous irons bientôt voir concrètement comment cela se passe», dit-elle. On peut déjà lui répondre : assez mal (voir Gazette n° 21, page 10 ). Escomptez la bagatelle de 385 millions d’euros de budget pour cette lubie, alors que les musées ne sont plus en mesure d’acquérir la moindre œuvre valant deux ou trois millions d’euros et que tant d’églises à travers le territoire menacent ruine. La mesure sera-t-elle pérenne ? Ou alors, le gouvernement fermera-t-il «la porte d’accès à la culture» aux jeunes quand il se sera rendu compte qu’il aura claqué près de 400 millions pour favoriser des achats sur Amazon ?
En réalité, ce n’est pas à 18 ans qu’il serait utile d’intéresser la jeune génération à la création et au patrimoine. Certes, la ministre évoque aussi la promotion de l’éducation artistique à l’école. Mais aucun semblant d’idée n’appuie la relance indispensable de ce programme, qui a toujours été saboté par l’Éducation nationale. La confusion reprend même de plus belle entre l’histoire des arts, pour laquelle il n’existe même pas de manuel, et les pratiques artistiques, déjà présentes de longue date, même si elles mériteraient d’être mieux soutenues. Parlant de sa propre expérience, la ministre dit sa foi dans les chorales à l’école... ce qui est passablement surprenant dans un pays où le chant est intégré à l’école publique depuis le XIXe siècle. Cela n’a pas empêché l’éducation musicale, ainsi que le relève Michèle Alten dans une étude parue dans la revue Vingtième siècle, de demeurer une annexe, plus ou moins bien traitée selon les périodes, de l’«universalisme abstrait» qui accable toujours l’école française. Contre le fanatisme, contre la montée des intolérances et des nationalismes, qui se nourrissent de l’ignorance, nous avons la faiblesse de penser que ce chantier est bien plus fondamental que les mesures sécuritaires de l’état d’urgence agitées par le nouvel exécutif. Décidément en panne de mots, l’éditrice d’Actes Sud nous ressort le cliché de la culture apte à «réenchanter le monde». Qu’attend-elle pour nous enchanter elle-même, en lui redonnant un souffle depuis longtemps perdu ?
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