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Lyon : au son de la biennale

Publié le , par Harry Kampianne

Pour sa 14e édition, la Biennale d’art contemporain de Lyon a décidé d’amarrer sa thématique aux «Mondes flottants». Une entreprise à la fois musicale, poétique et littéraire orchestrée par la commissaire invitée Emma Lavigne, directrice du Centre Pompidou Metz.

Céleste Boursier-Mougenot, clinamen v4, 2017, Courtesy de l’artiste, de la Biennale... Lyon : au son de la biennale
Céleste Boursier-Mougenot, clinamen v4, 2017, Courtesy de l’artiste, de la Biennale de Lyon 2017 et la galerie Xippas.

L’affiche peut paraître subliminale : un ciel et une chaîne de montagnes limpides comme de l’eau de roche, où scintillent un écrin de verdure et des poissons volants. Néanmoins, la première question à laquelle le visiteur risque d’être confronté est celle de la définition même d’un monde flottant. Selon Emma Lavigne, commissaire invitée par Thierry Raspail, directeur artistique de la Biennale, «les mondes flottants sous-tendent des révélateurs et des antidotes à l’instabilité du temps présent. Il est important que le visiteur parcoure cette Biennale comme un promeneur arpentant un paysage expérimental et sensoriel. L’omniprésence de l’eau due au Rhône et à la Saône permet d’alimenter cette ville en un territoire imaginaire ponctué de haltes modifiant notre perception du réel».

La modernité est un monde flottant
En vérité, tout part du mot «moderne», choisi par Thierry Raspail pour trois éditions. La Biennale de Lyon 2017 s’avère être le second volet de cette trilogie. Mais là aussi, une autre question se pose. N’y a-t-il pas une dimension désuète, voire ironique à évoquer la modernité en plein XXIe siècle ? De nos jours, la question même du «moderne» a tout d’une relique historique que l’on aurait dérobé aux Trente Glorieuses où tout était à reconstruire, à recréer. Le terme est souvent remplacé à notre époque par des néologismes et des anglicismes tels que tendance ou new look. «La modernité, écrivait Baudelaire, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable.»  Pour Emma Lavigne, la modernité est un monde flottant, un monde traversant les âges, un monde multiforme. Cette biennale en est imprégnée. Modernité évanescente et sensuelle au regard des œuvres d’Alexander Calder, d’Ernesto Neto et d’Hans Art réunies dans une même salle, au deuxième étage du MAC. Modernité historique avec La Pluie - Projet pour un texte (1969) de Marcel Broodthaers, Ghosts Before Breakfast (1928), un court-métrage expérimental et dadaïste de Hans Richter ou encore Les Boîtes de Marcel Duchamp, exposées sous vitrines, nous proposant une relecture de son œuvre, dont la fameuse Mariée mise à nu par ses célibataires, même (1934). Modernité christique au couvent de La Tourette avec le Sud-Coréen Lee Ufan, déclinant ce monument architectural du Corbusier en Chambres de silence, espaces traditionnels au Japon, où tout est sérénité, lumière et équilibre.  
 

Jorinde Voigt, The Shift I-VII, WV2016 - 107 to 114, 2017, Courtesy de l’artiste de la Biennale de Lyon 2017. Courtesy de l’artiste © Blaise Adilon
Jorinde Voigt, The Shift I-VII, WV2016 - 107 to 114, 2017, Courtesy de l’artiste de la Biennale de Lyon 2017.
Courtesy de l’artiste © Blaise Adilon

Une biennale à hauteur d’oreille
Au-delà de ce flux d’images et de sons réparti entre soixante-quinze artistes et six lieux clés, dont les deux vaisseaux phares restent avant tout le Musée d’art contemporain (MAC) et La Sucrière, le parcours reste fluide et permet à chaque visiteur d’explorer de nouveaux territoires. Il n’est pas fléché et encore moins chronologique. C’est une biennale à hauteur d’oreille. Le son se fait musique, poésie, couleur et donne libre cours à notre imaginaire. Emma Lavigne la considère comme une promenade «au sein d’un archipel d’îlots qui se métamorphosent en multiples plates-formes et havres de paix propices à l’apaisement pouvant générer selon chacun soit de l’émerveillement, prise de conscience, contemplation ou réflexion». Ces plates-formes sont au nombre de six : «Parcours, flux et reflux», «Ocean of sounds», «Circulation infinie», «Archipel de la sensation», «Corps électriques et Cosmogonies intérieures». Toutes sont liées au rêve, au besoin d’évasion que suscite le monde réel, conflictuel et tranchant. Le clinamen v4 de Céleste Boursier-Mougenot, un bassin rond à demi rempli d’eau sur lequel flottent et s’entrechoquent délicatement une quarantaine de bols en porcelaine, est l’exemple type du métissage de sonorités musicales et expérimentales. Placée sous le Radôme (1957) de Richard Buckminster Fuller, un dôme symbolisant par sa forme le design, la poésie et les sciences, l’installation invite à la méditation. Environnement sonore et apaisé que l’on retrouve également dans Sonic Fountain II (2013-2017), une œuvre de Doug Aitken : le son des gouttes d’eau, amplifié par un système de micros, et qui tombent de manière aléatoire dans une excavation remplie d’eau laiteuse. L’installation de Susanna Fritscher, Flügel, Klingen (2017), provoque, à elle seule, un ballet sonore et un flux de vibrations liées au mouvement des ailes se déplaçant de plus en plus vite dans l’espace. Deux belles pièces installées au rez-de-chaussée de La Sucrière.

La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent

Un laboratoire sensoriel sur partition
L’ambiance de cette biennale est marquée par la multiplicité des propositions sonores dont certaines sont liées à la calligraphie et à l’image ; cette dernière est souvent séquencée comme une note de musique si l’on s’attarde sur les peintures de Jorinde Voigt, dont certains tableaux, montés comme des partitions, sont destinés à être interprétés par des musiciens. L’artiste Ari Benjamin Meyers, également musicien et compositeur, explore les traces éphémères de la musique dans le lieu de passage obligé qu’est l’ascenseur du MAC. Terry Riley, fondateur de la musique minimaliste répétitive, nous fait découvrir dans In C Music Store (1964), une composition en lien avec les arts visuels. La partition Every Single Word Ever Used in this Room de Davide Balula, artiste polyvalent utilisant aussi bien la peinture, la sculpture, la photographie que la musique, est avant tout habitée par les mots mais elle n’en reste pas moins mélodieuse. La sensation, au même titre que le son, est l’une des figures de proue de cette biennale. Les perforations sur toile de Lucio Fontana, fondateur du spatialisme, offrent une nouvelle dimension artistique, axée en grande partie sur l’infini du cosmos. Les «structures dynamiques» de Heinz Mach, l’un des principaux représentants de l’art cinétique allemand avec Otto Piene, également présent au MAC, entremêlent jeux de lumière et mouvements créant une nouvelle vitalité de «forces pures» dans l’espace. Centraliser le public autour de La Sucrière et du MAC n’exclut pas pour autant l’énergie déployée dans les autres lieux satellites de la Biennale. L’artiste taiwanais Lee Mingwei nous dévoile, au sein de la fondation Bullukian, sept histoires en partie liées à son vécu, qu’il complète par un environnement sonore composé de cris nocturnes d’insectes et d’amphibiens natifs de Taiwan. Dans le cadre de Veduta, initiative axée sur la corrélation entre l’art, les habitants et le territoire, cet artiste a suggéré d’offrir la possibilité d’écouter une histoire grâce à un bus Bedtime Stories complètement futuriste, se déplaçant à travers toute la métropole de Lyon, et dans lequel un livre pour enfant est lu par un inconnu.
 

Ernesto Neto, Two Columns for one Bubble Light ; Minimal Surface of a Body Evolution on a Field, 2017. Courtesy de l’artiste © Blaise Adilon
Ernesto Neto, Two Columns for one Bubble Light ; Minimal Surface of a Body Evolution on a Field, 2017.
Courtesy de l’artiste © Blaise Adilon

Vers l’avenir
«Rendez-vous», autre initiative à ne pas sous-estimer, organisée par l’Institut d’art contemporain (IAC), expose vingt artistes émergents dont la moitié travaille en France, les dix autres ayant été choisis en concertation avec d’autres biennales internationales. On peut bien sûr contester le choix, ce qui au demeurant est flagrant dans cette sélection  que vient faire Hicham Berrada, artiste déjà plus que confirmé, dans cette exposition ?  mais reconnaissons qu’à travers cette vitrine de la jeune création internationale, la possibilité nous est offerte d’y repérer sans doute les prochaines pointures de ces vingt futures années. Le «Rendez-vous» est donné dans ce cas pour les biennales à venir. 
 

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