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L'urgence de faire la transparence

Publié le , par Sarah Hugounenq

Les langues se délient et les initiatives se multiplient. L’urgence de faire la transparence sur le sort des œuvres d’art sous l’Occupation et d’en établir la provenance est aujourd’hui communément acceptée. Sotheby’s en rendait compte dans une table ronde.

Emmanuelle Pollack lors de la table ronde «Les spoliations et le marché de l’art... L'urgence de faire la transparence
Emmanuelle Pollack lors de la table ronde «Les spoliations et le marché de l’art pendant la Seconde Guerre mondiale : la quête urgente de vérité», organisée le 27 juin à Paris par Sotheby’s.
© Sotheby’s / Micha Patault

La course contre la montre est lancée. «Les archives vont être de plus en plus difficiles à trouver. Il faut vite s’atteler à la recherche de provenance des œuvres», presse Pauline de Pérignon, arrière-petite-fille du collectionneur Jules Strauss, spolié durant l’Occupation. Dans un décor où les versos de tableaux de maîtres – photographiés par Philippe Gronon et exposés actuellement chez Sotheby’s – révélaient les indices de leur parcours passé, la phrase ne pouvait trouver meilleur écho. Soixante-dix ans après la politique nazie de razzia des œuvres d’art, l’actualité va dans le sens de la descendante. Cet hiver, la chercheuse Emmanuelle Pollack publiait sa thèse, Le Marché de l’art sous l’Occupation (éd. Tallandier), avant d’en extraire une exposition au mémorial de la Shoah (jusqu’au 3 novembre). En avril, le ministère de la Culture rentrait dans la danse et officialisait sa mission de recherche de provenance sous la houlette de David Zivie, ancien conseiller d’Audrey Azoulay, mise en place auprès du secrétariat général pour mieux dessaisir la Direction des musées de France de la prérogative de restitution. Première maison de ventes à s’être inscrite sur l’Art Lost Register, disposant d’un département de recherche de provenance à Londres et New York depuis vingt-deux ans, Sotheby’s a rebondi sur cette actualité chargée pour organiser, le 27 juin dans ses locaux parisiens, une rencontre sur la question.
Parcours du combattant
La maison de ventes n’en est pas à son coup d’essai. L’an passé, une conférence similaire était organisée à Los Angeles, mais l’assistance – judiciarisation américaine oblige – était davantage fournie en avocats onéreux qu’en chercheurs de provenance, comme cette fois rue du Faubourg-Saint-Honoré. «Il est difficile pour le petit esquif des familles spoliées de se faire un chemin entre les grands vaisseaux des musées, de l’administration, du marché de l’art», déplore avec poésie Alain Monteagle, descendant d’Anna Jaffé, dont il traque depuis vingt ans les restes de la collection dispersée en 1942 à Nice. Au regard des témoignages exprimés, qualifier de «parcours du combattant» les demandes de restitution d’œuvres spoliées est un doux euphémisme. Des silences obstinés de l’administration aux remarques antisémites, des demandes d’indemnisation pour les frais engagés de nettoyage de l’œuvre spoliée aux questions suspicieuses – du type «qu’est ce qui prouve que votre arrière-grand-père n’était pas très content de vendre son tableau ?» –, sans oublier des exigences farfelues – comme fournir un «certificat de spoliation» signé des autorités nazies –, faire valoir les droits de sa famille nécessite un mental d’acier. «Quand on se lance dans ce type de recherches, non seulement on ne sait pas par où commencer, mais on est vite confronté à l’absurde. Il est donc important de s’entourer et de comprendre qu’on n’est pas seul. J’aimerais aider d’autres familles maintenant», poursuit Pauline de Pérignon. C’est dans cette optique que Sotheby’s organise désormais des cours de recherche de provenances (cet été, du 22 au 26 juillet) à son Institute of Art de New York. Moins formelle, Doreen Carvajal, journaliste du New York Times a fondé Orphan Art Project pour aider les familles dans leur quête, parfois autant émotionnelle que matérielle. «On peut le faire seul, mais il faut connaître les grandes lignes, nous sommes là pour ça», explique-t-elle. La multiplicité des sources et leur accès souvent difficile, particulièrement en Suisse ou aux États-Unis où certains musées ne reculent pas devant la possibilité de faire disparaître certains documents, rendent la tâche périlleuse. «La recherche commence souvent par l’objet. Mais on se heurte vite aux noms, aux marchands, aux intermédiaires qu’on ne connaît pas. Avec le projet franco-allemand de Répertoire des acteurs du marché de l’art en France sous l’Occupation, porté par l’Institut national d’histoire de l’art, nous essayons de comprendre ce réseau : sourcer les archives, établir des notices biographiques, orienter les chercheurs en somme», explique Ines Rotermund-Reynard, cheffe du projet.
Le prix de la recherche
«On s’aperçoit que beaucoup d’associations et de personnes travaillent à la recherche de provenance, mais tout cela est très éclaté», regrette Claire Touchard, partie sur les traces de son grand-père, le marchand René Gimpel (voir l'article 
René Gimpel, gentleman marchand de la Gazette 2018, n° 33, page 32), au nom de qui elle a assigné l’État au tribunal fin juin pour obtenir la restitution de plusieurs œuvres conservées dans les musées hexagonaux, dont un Derain du legs Levy à Troyes. Et son cousin, René-Patrick Gimpel, d’enfoncer le clou : «Si je n’ai pas à déplorer d’escroquerie, je constate un chassé-croisé entre les chercheurs de provenance, les archivistes et autres, qui veulent souvent discuter longtemps avant de montrer les documents.» Se pose vite la question du financement de ces recherches, pour lesquelles certains ayants-droit sont réticents à l’idée de payer un chercheur pour retrouver un bien légitimement dû. Élisabeth Royer, chercheuse de provenance à la tête d’un important fonds d’archives de marchands et collectionneurs, l’avoue elle-même : «Il est compliqué pour les familles désargentées de récupérer leur tableau, surtout aux États-Unis. On attaque beaucoup le laxisme des musées et du ministère en matière de restitution, mais c’est l’État qui a spolié et qui continue à ne pas donner de budget.» Le projet de l’INHA est doté de deux personnes, la mission du ministère de sept, en sus d’une enveloppe de 200 000 € pour des aides ponctuelles extérieures (généalogistes, avocats, etc.)… à comparer aux 6 M€ alloués par l’État allemand. L’appel au mécénat ne s’est pas fait attendre, et il fut général.

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