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Louvre Abu Dhabi : un autre humanisme

Publié le , par Vincent Noce

Inaugurant le Louvre Abu Dhabi, mercredi 8 novembre, Emmanuel Macron a retrouvé l’énergie de ses meetings électoraux pour dénoncer les «obscurantistes» et les «menteurs» qui tournent l’islam en instrument de haine envers les autres religions. Contre ce fléau, il a voulu affirmer la valeur «universelle» de l’art, symbolisée...

  Louvre Abu Dhabi : un autre humanisme
 
© Louvre Abu Dhabi, Photo Roland Halbe

Inaugurant le Louvre Abu Dhabi, mercredi 8 novembre, Emmanuel Macron a retrouvé l’énergie de ses meetings électoraux pour dénoncer les «obscurantistes» et les «menteurs» qui tournent l’islam en instrument de haine envers les autres religions. Contre ce fléau, il a voulu affirmer la valeur «universelle» de l’art, symbolisée par la confrontation avec des œuvres d’autres continents, dont «la beauté est parfois tellement semblable à la nôtre». Ses bonnes intentions ne sont pas contestables, mais le postulat reste discutable. Il faut bien avouer que si, dans la culture de l’autre, on passait son temps à reconnaître la sienne propre, on s’emmerderait beaucoup… L’idée de faire du Louvre Abu Dhabi un musée «universel» a en fait été abandonnée au fil de la décennie qu’a traversée sa conception. Dans le projet culturel qui fut si péniblement esquissé, il était question d’axer la muséographie sur les Lumières. Le portrait de Voltaire se retrouve bien dans le parcours, mais aurait-il dû être placé en son centre ? La France se serait alors exposée au reproche d’avoir projeté un discours autocentré, dans cette région du monde et en ce début de XXIe siècle. Un autre choix a été retenu, proposé par le directeur scientifique Jean-François Charnier : jouer plutôt sur les évocations croisées entre des œuvres produites par des civilisations différentes à la même époque, tout en déplaçant l’intérêt vers l’Orient. Même dans les pierres taillées au néolithique, à des milliers de kilomètres de distance, perce une appréhension de la beauté. Les hommes usent de leur propre figure comme d’un charme protecteur, avant d’en faire un instrument de séduction ou de conquête. Mais, heureusement, la diversité reste irréductible. La création n’est pas «universelle».

Jouer sur les évocations croisées entre des œuvres de civilisations différentes et de même époque, tout en déplaçant l’intérêt vers l’Orient.

Au contraire, elle sert une affirmation propre, qui cherche à dépasser le moment historique. Elle est cette tour de Babel qui défie les dieux et qui demeure habitée, même devenue ruine frappée par la foudre. Toute la tension de l’accrochage repose sur ce paradoxe : reconnaître cette force d’identité, qui sépare les hommes, dont s’échappe une magie, qui les rassemble. Mais l’émotion ressentie naît justement de ce qui est «autre», et non de ce qui peut être assujetti à soi. La mondialisation, qui brouille tant de repères, rend cette perception encore plus précieuse. Toute la difficulté du Louvre Abu Dhabi réside dans ce défi. Lors de l’inauguration, le chef-d’œuvre de Jean Nouvel a suscité l’admiration, de même que la mise en scène spectaculaire des premières galeries. Quand le visiteur entre dans la période moderne, la démarche devient plus complexe. Dans ce jeu de correspondances et de contrastes entre les statues, les estampes, la calligraphie, les luminaires et les paravents, la peinture européenne joue le mauvais génie. L’objet se retrouve soudain aplati et renvoyé sur les murs. Il se fait image. Jean-Luc Martinez, président du Louvre, rappelle combien il est difficile d’insérer des tableaux dans un musée de civilisations. Ils trouvent plus aisément leur place s’ils revêtent un caractère anecdotique, mais les chefs-d’œuvre sont rares. La peinture s’érige en abstraction à nos yeux du moins. Car il sera intéressant de voir si des visiteurs chinois ou indiens partagent ce même sentiment. À ce titre, le Louvre Abu Dhabi aura réussi un premier pari : décentrer le regard. 

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