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Lianzhou, du festival au musée

Publié le , par Sophie Bernard

Treize ans après la création de son rendez-vous annuel Lianzhou Foto, la ville chinoise accueille le premier musée public national consacré à la photographie contemporaine. De Chine et du monde.

Le nouveau bâtiment, du Lianzhou Museum of Photography, signé O-office Architect... Lianzhou, du festival au musée
Le nouveau bâtiment, du Lianzhou Museum of Photography, signé O-office Architects.
© Chen Xiaotie Courtesy of Lianzhou Museum of Photography

Située à quelque deux cent cinquante kilomètres au nord de Canton, Lianzhou, ville de 500 000 habitants, s’est profondément transformée et modernisée au cours de la dernière décennie. Comme un peu partout en Chine, ses petites rues encombrées et sales sont devenues des avenues, les vélos ont fait place aux motos électriques et aux voitures, et de nombreux commerces familiaux à de grands magasins… Elle serait demeurée une ville chinoise parmi tant d’autres si elle ne s’était fait connaître grâce à son festival de photographie, qui a ouvert sa 13e édition en décembre dernier. En faisant de Lianzhou l’une des places fortes de la photographie en Chine, cet événement annuel d’envergure internationale a également contribué au développement d’une ville-district enclavée qui, il y a moins de quinze ans, était à onze heures de voiture de Canton contre trois aujourd’hui, et bientôt une heure trente grâce au train à grande vitesse. La construction d’un aéroport est également prévue. La fondatrice et directrice du festival, Duan Yuting, a toujours eu l’ambition de mener à bien un projet culturel porteur de l’avenir de la cité. Opération réussie donc, qui connaît cette année un prolongement avec une structure permanente, ayant ouvert ses portes le 2 décembre, soit le même jour que la manifestation. Ce musée constitue la première institution publique consacrée à la photographie contemporaine en Chine, le montant de son financement qui n’est pas communiqué étant assuré conjointement par la ville, l’État et la région.
 

Zhuang Hui (né en 1963), Boluozhuanjing County, Western Inner Mongolia, 2014.
Zhuang Hui (né en 1963), Boluozhuanjing County, Western Inner Mongolia, 2014.© Zhuang Hui

Un peu d’histoire
Pendant trois ans, le festival de Pingyao créé en 2001 a été le rendez-vous phare de la photographie artistique en Chine, avant que Lianzhou ne lui vole la vedette, autant pour la qualité des artistes sélectionnés que pour le nombre d’expositions présentées cinquante à soixante-dix en moyenne. Mêlant dès l’origine auteurs chinois en grande majorité et occidentaux, celui-ci s’est professionnalisé au fur et à mesure des années. Car si l’on pouvait reprocher aux premières éditions de montrer trop peu d’images par auteur, ce n’est plus le cas depuis longtemps. Ce savoir-faire a été apporté par Duan Yuting, une femme dont on peut saluer la force politique et la volonté, qui a su susciter des collaborations régulières avec des commissaires d’exposition étrangers. À commencer par le Français Alain Julien, l’initiateur du festival de Pingyao, qui a participé aux premières éditions de Lianzhou Foto, l’Américain Robert Pledge, fondateur de l’agence Contact Press Images en 1976, ou encore Christopher Phillips, commissaire d’exposition à l’International Center of Photography de New York depuis 2000. C’est cette formule gagnante, basée sur l’idée d’échange d’expériences, qui a incité la fondatrice à solliciter en 2012 François Cheval, alors directeur et conservateur en chef du musée Nicéphore-Niépce, à Chalon-sur-Saône. Il a été associé à la création du musée de Lianzhou dès le départ et en est aujourd’hui cofondateur et codirecteur. Comme il l’explique, «ce qui intéresse Duan Yuting, c’est la complémentarité de nos champs de connaissance du médium, elle en Chine et moi en Occident. Notre but est de faire de ce nouveau musée une zone de rencontres entre la photographie chinoise et celle du reste du monde, comme elle le fait depuis treize ans avec le festival.»

Un musée en trois ans
La gageure est d’avoir relevé le défi de créer une institution de 4 000 mètres carrés articulée en sept salles, en trois ans ! C’est-à-dire ériger un bâtiment, déterminer la nature du musée, concevoir une programmation et définir une politique d’acquisitions en vue de créer une collection. Autant de sujets sur lesquels Duan Yuting et François Cheval ont travaillé ensemble, avec les différences culturelles que l’on peut imaginer, mais qui n’ont pas été un obstacle : «Face aux événements, explique le codirecteur, nous ne réagissons pas de la même manière, mais avons en commun la passion pour la photographie et un grand investissement personnel.» Situé dans le cœur historique de Lianzhou, l’endroit a été conçu par un duo d’architectes chinois, formés en France et en Belgique, issu d’un cabinet basé à Canton. Marier l’ancien et l’actuel, telle est l’idée qui les a conduits à élaborer un espace constitué d’une construction nouvelle, reliée à une ancienne usine déjà reconvertie en espace d’exposition pour le festival. L’architecture est inspirée du style caractéristique des vieilles maisons de la ville, et les matériaux utilisés sont propres à la région. Une réflexion a également été menée pour que le bâtiment soit peu consommateur d’énergie, tout en répondant aux normes de conservation des œuvres. Un autre parti pris important a été de concevoir une architecture accueillante pour la population. Ainsi les expositions sont-elles en libre accès et le rez-de-chaussée, un espace ouvert et engageant. «La question du public est fondamentale», explique François Cheval, qui rappelle que le festival accueille chaque année en un mois 100 000 visiteurs, des professionnels du monde entier, mais surtout, majoritairement, les habitants de la ville. Si la gratuité y est pour beaucoup, reste que ces chiffres prouvent l’intérêt des Chinois pour la photographie et démontrent que la dimension pédagogique du festival a porté ses fruits. Comme dans n’importe quel musée, aux salles d’exposition sont par ailleurs associés un auditorium, un centre de documentation, une boutique, etc.

Albert Watson (né en 1942), The God Sign, Route 15, Las Vegas, 2001.
Albert Watson (né en 1942), The God Sign, Route 15, Las Vegas, 2001.© Albert Watson

Quatre expositions pour l’ouverture
Les événements inauguraux sont le reflet de la programmation future de l’établissement, «axée sur la photographie contemporaine chinoise et de tous les continents à partir des année 1970-1980 jusqu’à nos jours», explique encore le codirecteur, avec l’idée que les expositions et la collection se nourrissent du festival, mais restent indépendantes. «Le travail de défrichage effectué par Duan Yuting depuis une dizaine d’années a permis d’accueillir les meilleurs photographes du pays, prouvant que la manifestation peut servir d’atelier grandeur nature pour la collection du musée, qui sera, comme elle, internationale.» Les quatre auteurs choisis pour inaugurer cette politique en disent long sur son positionnement, qui privilégie une grande diversité d’approches : de Zhang Hai’er (né en 1957), qui, dans les années 1980, rompt avec le tabou de la sexualité dans sa série noir et blanc intitulée «Bad Girls», à Zhuang Hui (né en 1963), venu de la peinture et de la performance, à l’origine du renouveau du médium en Chine dans les années 1990. À ces grandes figures nationales s’ajoutent un jeune auteur français, Baptiste Rabichon (né en 1987), lauréat 2017 de la Résidence BMW, et une rétrospective de l’Écossais Albert Watson (né en 1942), connu pour ses portraits de personnalités publiés dans la presse, de Vogue pour lequel il a signé plus de cent couvertures à Time et Harper’s Bazaar. Représentative des différentes facettes de son travail, cette exposition comprend notamment des images qu’il a faites en Chine à la fin des années 1970. Que de chemin parcouru pour la photographie chinoise depuis le début des années 2000 ! Elle s’est fait connaître au-delà de ses frontières grâce à des événements internationaux comme l’exposition «Alors, la Chine ?» au Centre Pompidou à Paris en 2003, ou les Rencontres d’Arles le même été dans le cadre de l’Année de la Chine en France, des galeries comme Paris Beijing, installée à Pékin puis à Paris, et enfin et surtout grâce à des manifestations d’envergure dans le pays. Ce musée est comme une nouvelle étape de sa reconnaissance. 

Duan Yuting
en 5 dates
2005
Fondatrice du Lianzhou Foto Festival
2010
Nominatrice du prix Pictet
2012
Commissaire d’exposition invitée à la Biennale de photographie de Moscou
2016
Commissaire d’exposition invitée au festival Kyotographie, au Japon
2017
Nominatrice de l’exposition «International Discoveries VI» du FotoFest de Houston
À voir
Lianzhou Museum of Photography, 120, Zhongshan Nan Road, Lianzhou, Guangdong, Chine.
www.lianzhoufoto.com
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