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L’hôtel de Beauharnais

Publié le , par Anne Doridou-Heim

L’histoire de ce joyau de l’Empire français, facetté par deux siècles de possession allemande, raconte à sa manière celle de la construction de l’amitié franco-allemande.

  L’hôtel de Beauharnais
 
© Francis Hammond/Flammarion


Le 6 février 1818, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III achète à Eugène de Beauharnais, exilé à Munich, le palais dans lequel il a séjourné au moment du congrès de Vienne. Deux cents ans plus tard, l’hôtel n’a rien perdu de sa splendeur, entretenu et restauré avec soin par l’Allemagne. La première monographie dédiée à ce spectaculaire exemple des styles Consulat et premier Empire paraissait en octobre 2016. Le texte richement documenté  fruit de dix années de recherches, menées par Jörg Ebeling et Ulrich Leben pour le Centre allemand d’histoire de l’art à Paris  et les photographies de Francis Hammond invitent à parcourir l’ouvrage, et plus encore à plonger au cœur du passé et pousser les portes d’un lieu unique. L’hôtel de Beauharnais a vu se succéder dans ses antichambres un empereur de France, un roi et un chancelier prussiens et bien d’autres personnages importants de l’histoire. Si ses murs lambrissés et dorés pouvaient parler, on apprendrait beaucoup des conversations feutrées ou animées demeurées secrètes, qui ont contribué à la construction de l’Europe et de l’amitié franco-allemande.
 

Lit de parade de la chambre à coucher d’apparat, attribué à Jacob-Desmalter (détail).
Lit de parade de la chambre à coucher d’apparat, attribué à Jacob-Desmalter (détail). © Francis Hammond/Flammarion


Le destin d’un édifice
Monsieur l’ambassadeur Nikolaus Meyer-Landrut nous fait l’honneur de ses salons. Il insiste sur la fierté de l’Allemagne à posséder un tel exemple du patrimoine culturel français et sur sa responsabilité à le conserver avec respect. Si rien n’a changé  ou presque  depuis le début du XIXe siècle, c’est parce que tout a été parfaitement restauré dans l’esprit originel, afin que cet hôtel demeure un lieu d’exception. En 1803, Joséphine de Beauharnais, en quête pour son fils Eugène d’un établissement digne de son rang, l’incite à acquérir les bâtiments édifiés par Germain Boffrand en 1713, près de la Seine : jusqu’à la naissance du roi de Rome en 1811, il était en effet considéré comme le successeur naturel de l’Empereur. Aidé de sa mère et de sa sœur, Eugène de Beauharnais entreprend à grands frais d’aménager les intérieurs, d’ajouter un portique «à l’égyptienne» qui signe l’allure actuelle de la façade et d’en faire le plus beau palais parisien de l’époque. Le but inavoué est de contrer le pouvoir des Murat, installés à l’Élysée. Les débuts sont déjà marqués par la politique… On raconte que Napoléon, effrayé par tant de dépenses  le montant d’un million et demi de francs de l’époque est avancé , les stoppa net et confisqua l’hôtel mais, heureusement, seulement après que les plus talentueuses fées du monde de l’art du Consulat et de l’Empire se furent posées dans ses murs. Las, Eugène n’aura que peu profité de son palais. 1815 sonne le glas de l’épopée napoléonienne et le début pour l’hôtel d’une nouvelle ère à l’accent allemand. Le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III ne le conserve pas longtemps non plus : trop coûteux d’entretien, il le cède rapidement au ministère des Affaires étrangères. En homme avisé, Bismarck, ambassadeur en France avant de devenir le chancelier d’une Prusse conquérante, comprend l’intérêt de l’ensemble et s’emploie à le préserver, secondé par l’architecte originaire de Cologne, Jacques-Ignace Hittorff. Toutefois, ses ambitieux projets de modernisation se heurtent au sens prussien de l’économie. Alors que le palais des Tuileries voisin brûle, il est sauvé de peu au moment de la Commune car passé sous légation américaine, et aborde fièrement le XXe siècle. En 1944, la France le confisque au titre des dommages de guerre : il est alors géré par le Mobilier national, classé Monument historique en 1951 et restitué à l’Allemagne en 1962 par le général de Gaulle, avec la promesse de le conserver dans sa splendeur. Légation, puis ambassade et enfin résidence de l’ambassadeur d’Allemagne depuis 1968, l’hôtel de Beauharnais, aux bons soins d’un comité scientifique de haute valeur, reçoit depuis le début des années 2000 des attentions à la hauteur de ses mérites. Eu égard à son histoire aussi mouvementée que celle des relations franco-allemandes, la conservation du mobilier et des décors d’origine tient presque du miracle. Des objets exceptionnels concourent à la munificence de l’ensemble : la table à jouer utilisée par Napoléon Ier, le lit de la chambre de parade attribué à Jacob-Desmalter, le bureau de Bismarck lorsqu’il était ambassadeur à Paris, un piano sur lequel Wagner a joué, les peintures décoratives du salon de musique, et des pièces dans un état de conservation incroyable, comme la salle de bains aux murs tapissés de miroirs et le boudoir turc attenant. La plupart des grands noms de l’ébénisterie et de la bronzerie d’art du début du XIXe siècle ont déposé leur signature dans ce lieu  François-Honoré Jacob-Desmalter, Bernard Molitor, Pierre Marcion, Pierre-Philippe Thomire et Lucien-François Feuchère notamment. La bibliothèque sera la première à bénéficier de travaux d’embellissement. Elle est restituée dans ses couleurs d’origine et remeublée à l’identique, grâce à l’inventaire de 1817 qui la détaillait. Le XXe siècle avait précédemment connu des restaurations, menées dans l’idée que l’on se faisait alors de l’Empire. Le travail est désormais purement scientifique. Premier bouleversement : le retour des couleurs. Elles sont franches et frappantes, mais fidèles à celles d’origine. Vient ensuite le salon vert en 2003 : les traces des tissus d’origine n’ayant été retrouvées ni chez Prelle, ni chez Tassinari et Chatel, les restaurateurs ont tenté de s’en approcher au maximum. Réussite éclatante. Puis le jardin surplombant la Seine, remodelé en 2004 grâce au plan de 1817 conservé, et le salon rouge dont le tissu «cerise» a pu être restitué grâce à des échantillons. Cette pièce dispose d’un exceptionnel mobilier, dont une cheminée en micromosaïque de l’atelier Belloni, rapportée d’Italie par le prince, et une console ornée d’une soie peinte. Le grand salon sera terminé en 2016, après quatre années de travail et un budget colossal alloué par le ministère des Affaires étrangères allemand. Cette pièce, dont le programme a été fixé par Percier et Fontaine, est l’une des plus belles avec ses boiseries aux différents tons de gris, ses pilastres ornés de cygnes et son décor peint extraordinaire, symbolisant les quatre saisons ou les quatre âges de la vie, auquel la lumière des candélabres en bronze doré donne vie.

 

Banquette et sièges recouverts en «gros bleu» dans le salon des Quatre Saisons.
Banquette et sièges recouverts en «gros bleu» dans le salon des Quatre Saisons.© Francis Hammond/Flammarion


Aujourd’hui… et demain
L’hôtel, véritable chantier continu, est d’un intérêt évident pour les grandes maisons françaises du patrimoine vivant, qui fournissent soieries, brocarts, peintures, dorures, bronzes et autres merveilles de l’artisanat d’art. Il fallait célébrer dignement le bicentenaire de son acquisition par le roi de Prusse. Une nouvelle campagne de restauration a donc été lancée. Elle vient tout juste de prendre fin et concerne deux pièces du premier étage, l’anti-salon et la petite salle à manger. Si cette dernière retrouve ses décors de faux marbre jaune pour le soubassement et de faux granit pour les pilastres, inspirés de ceux de Malmaison et de Compiègne, la première, ouvrant l’enfilade des grands salons et connue sous le nom de «salle du trône» du roi de Prusse, avait conservé des traces de ses coloris d’époque. Il a donc été aisé de les lui redonner, notamment une tonalité terre d’Égypte des plus délicates en soie de Venaseta, rehaussée par une large bordure sur fond bleu à motifs de velours noir, tissée par Prelle. L’arrière-plan des six portraits des cheikhs orientaux, copiés d’après Michel Rigo, est restitué. Les alliés de Napoléon durant la campagne d’Égypte y retrouvent leur place tout naturellement, sans avoir pris une ride. Le trône des rois de Prusse livré en 1864 par Alexandre-Georges Fourdinois est parti vers d’autres lieux ; il appartient aux collections du musée d’histoire de France du château de Versailles, là même où l’Empire allemand a été proclamé le 18 janvier 1871…

 

Salon des Quatre Saisons
Salon des Quatre Saisons © Francis Hammond/Flammarion

À savoir
L’hôtel de Beauharnais se visite sur réservation :
www.allemagneenfrance.diplo.de

À lire
Le style Empire, l’hôtel de Beauharnais à Paris, sous la direction de Jörg Ebeling et Ulrich Leben,
photographies de Francis Hammond, éd. Flammarion, Paris, octobre 2016, 348 pages, 305 illustrations, 125 €. 
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