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Les yeux dans les yeux : les autoportraits

Publié le , par La Gazette Drouot

Genre le plus troublant de l’art européen, l’autoportrait occupe l’actualité culturelle, un face-à-face avec le public par le biais de livres et d’expositions... Et le marché ?

Jean Fautrier (1898-1964), L’Autoportrait au fond vert, vers 1916-1917, huile sur... Les yeux dans les yeux : les autoportraits
Jean Fautrier (1898-1964), L’Autoportrait au fond vert, vers 1916-1917, huile sur toile, 64 x 41 cm.
Paris, Drouot-Richelieu, 5 mai 2006. Pierre Bergé & Associés SVV.
73 767 euros frais compris

Cet autoportrait de Jean Fautrier date de 1916-1917, avant son engagement comme ambulancier dans le premier conflit mondial, avant surtout son engagement dans l’abstraction... Le père de la peinture informelle se représente ici sans complaisance et d’une manière très réaliste. L’oeuvre offre un autre attrait. Le peintre n’aimait pas se portraiturer. On ne connaît que deux autoportraits de lui. Le tableau est donc considéré comme majeur. Le 5 mai 2006 à Drouot, il n’est pourtant combattu qu’à hauteur de 61 000 euros. Seulement, oserait-on dire, quand les toiles de la fameuse série des «Otages» ou des «Partisans» se négocient généralement autour de 500 000 euros, soit un rapport de 1 à 10. «Regarde-moi et je te dirai qui je suis»… Étrange paradoxe que ce chef-d’oeuvre d’intimité, trop peu considéré par les acheteurs du marché. Car, comme aimait à le rappeler le collectionneur Gérald Schurr, l’autoportrait est bien une confidence, parfois une confession. L’artiste, en choisissant de se représenter, se dévoile, devient le sujet de lui-même, instaure un dialogue, souvent intime, avec le spectateur. Mais pas seulement. Le genre relève de notions complexes. On lui prête une multitude d’interprétations : quête d’identité, instrument d’expression politique ou sociale, enjeux esthétiques... Et il pose diverses questions, acte narcissique, angoisse face à la mort … Mais, au fait, qui regarde qui ? Un sujet difficile à coup sûr, peut-être celui qui, au final, fournit le moins de réponses. L’exercice le plus pérenne aussi. Il est en effet attesté dès le IVe siècle avant J.-C. Il réapparaît, après une éclipse, dans l’enluminure médiévale, et parce que le thème de la représentation de soi coïncide avec l’affirmation du statut de l’artiste, s’inscrira véritablement comme genre à compter de la Renaissance. Au XXe siècle, il connaît de nouveaux champs d’expérimentation, essentiellement plastiques. À travers son image, l’artiste donne à voir plus que lui-même. "Rien n’est plus révélateur du style et du travail d’un auteur que son autoportrait», remarque Pascal Bonafoux, commissaire de l’exposition organisée en 2004 au musée du Luxembourg (1). Le point culminant du genre est bien cette relation de l’artiste à son oeuvre. "Celui-ci peut se permettre toutes les audaces plastiques. C’est là le véritable enjeu de l’autoportrait au XXe siècle."

René Héron de Villefosse, La Rivière enchantée, eaux-fortes de Foujita,Paris, Klein, 1951, autoportrait de Foujita.Saint-Étienne, 25 janvier 2007,Hôte
René Héron de Villefosse, La Rivière enchantée, eaux-fortes de Foujita,
Paris, Klein, 1951, autoportrait de Foujita.
Saint-Étienne, 25 janvier 2007,Hôtel des ventes du Marais.

57 600 euros frais compris

"Ce que je suis, c’est mon oeuvre"
Approcher le saint des saints, telle est la motivation première du collectionneur d’autoportraits. L’objectif de ce dernier, avoué ou non, «est bien d’être au plus près de l’artiste, car dans l’autoportrait tout est lui», observe Pascal Bonafoux. C’est donc l’intimité avec le peintre que recherche l’amateur. Mais disons le tout net, l’espèce se fait rare et appartient plus volontiers à la famille des amateurs avertis, genre numismates ou phila­télistes. «Le collectionneur d’auto­portrait est pointu», avoue l’expert Roberto Perazzone. «C’est un domaine difficile, esthétiquement parlant.» Les artistes ne sont que trop rarement des jeunes filles aux traits gracieux, sujet ô combien plaisant dans un salon. «Il s’agit donc le plus souvent d’une clientèle de connaisseurs», précise notre expert. Dans ce domaine, l’histoire a retenu un nom, celui du cardinal Léopold de Médicis. Au XVIIe siècle il avait réuni un ensemble inédit d’autoportraits d’artistes, légué à sa mort à Côme III, puis complété de génération en génération et connu comme la fameuse collection des ducs de Toscane. Aujourd’hui, ce «panthéon de la peinture», conservé au musée des Offices de Florence, compte mille quarante-trois autoportraits. Depuis la fin 2005, elle a encore été enrichie d’un autre ensemble, celui du collectionneur Raimondo Rezzonico (1920-2001). La galerie des Offices a fait l’acquisition de deux cent quatre-vingt-dix-sept autoportraits de cet industriel suisse, qui fut longtemps le président du festival international du film de Locarno. Il avait constitué une belle collection, à laquelle, d’ailleurs, il avait donné une orientation moderne et nationale. Elle compte en effet de nombreux peintres italiens : De Pisis, De Chirico, Tozzi... Une sélection de cinquante de ces toiles était révélée au public d’octobre 2006 à février 2007. Rezzonico avait acheté quelques-uns de ses autoportraits sur la scène parisienne. L’histoire des ventes aux enchères retient quant à elle un seul nom : celui de Gérald Schurr, critique et auteur des Petits maîtres de la peinture. La dispersion de sa collection en 2000 à Paris est sans précédent.

Bram Van Velde (1895-1981), Autoportrait, huile sur toile de 1922-1924, 98 x 48 cm.Paris, Drouot-Richelieu, 9 octobre 2006.Lombrail - Teucquam SVV.35
Bram Van Velde (1895-1981), Autoportrait, huile sur toile de 1922-1924, 98 x 48 cm.
Paris, Drouot-Richelieu, 9 octobre 2006.
Lombrail - Teucquam SVV.

35 400 euros frais compris

Collection Gérald Schurr
Ce chineur infatigable a réuni durant plus de trente ans une collection singulière de deux cents autoportraits du XVIIe au XXe siècle. Elle faisait autorité, nombre de ses tableaux ayant figuré dans des expositions de référence. Le 23 mai 2000, la maison de ventes Binoche proposait l’ensemble à l’Hôtel Drouot, lequel remportait un vif succès. On pouvait y découvrir toutes les variantes du genre : de l’autoportrait dans l’atelier d’Adolphe La Lyre – archétype même du portrait d’atelier au XIXe –, adjugé 340 000 F, aux oeuvres plus intimes, comme Autoportrait aux chiens de 1895 de l’artiste symboliste Fernand Khnopff, bataillé à hauteur de 110 000 F. Celui de Giorgio De Chirico daté 1927 était pour sa part disputé jusqu’à 100 000 F. Lors de la vente étaient aussi proposées des pièces uniques, comme l’autoportrait de Charles Cros, annoncé comme le seul connu. Il était adjugé 43 000 F. Tous les artistes n’ont pas en effet développé un même rapport au genre. Certains, comme Dürer, Rembrandt, Van Gogh... ont souvent joué sur ce thème de la représentation de soi, de façon presque obsessionnelle. L’exposition organisée au musée d’Orsay sur l’oeuvre de Léon Spilliaert en dit long sur le sujet. Mais revenons à la fameuse collection Schurr, où il n’était pas seulement question d’enchères à six chiffres. Certains lots partaient aussi à 1 000 F. Pour notre collectionneur, pourtant, aucun autoportrait n’est mauvais. "Même les oeuvres hâtives et mineures présentent des qualités certaines, comme si l’artiste face à son miroir s’était appliqué à donner le meilleur de lui-même", indiquait-il comme pour se disculper d’avoir été l’un des rares à s’intéresser au sujet. Avec ses 2 783 600 F la vente était un succès, mais elle annonçait la fin d’une belle aventure. Qui a repris le flambeau aujourd’hui ? Aucun nouveau collectionneur ne semble s’être fait connaître sur la scène parisienne. Dans les coulisses on parle bien d’un amateur résidant au Mexique, même si aucun nom ne filtre. Secret d’alcôve. Les acheteurs occasionnels restent donc les maîtres du jeu : auteurs de catalogues raisonnés, ayants droit et familles d’artistes soucieuses de reconstituer leur patrimoine ou même les institutions. Ses acheteurs sont le plus souvent des collectionneurs d’un peintre en particulier. Le prix dépend alors de la célébrité de l’artiste, majeur ou de second plan. L’acquéreur de l’autoportrait de Jean Fautrier provenant de la collection Jean-Paul Ledeur était justement un amateur du peintre, comme ceux du Léonard Foujita ou du Bram Van Velde (voir photos). Les oeuvres de ces artistes se négocient aujourd’hui dans un tout autre rapport. L’autoportrait n’est donc pas encore le genre le plus lucratif ! Considéré comme l’oeuvre la plus intime de l’artiste, il devrait être inabordable...

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