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Les pieux mensonges du musée de Toulouse

Publié le , par Vincent Noce

Le musée de Toulouse a récupéré son grand Portement de Croix, de deux mètres vingt de haut, peint quelques années avant sa mort par Nicolas Tournier pour la chapelle locale des Pénitents noirs. Saisi parmi les biens de l’Église, il avait été confié au musée installé dans le monastère des Augustins, où il disparut des inventaires...

  Les pieux mensonges du musée de Toulouse
 

Le musée de Toulouse a récupéré son grand Portement de Croix, de deux mètres vingt de haut, peint quelques années avant sa mort par Nicolas Tournier pour la chapelle locale des Pénitents noirs. Saisi parmi les biens de l’Église, il avait été confié au musée installé dans le monastère des Augustins, où il disparut des inventaires au début du XIXe siècle. Il vient d’y être accroché aux côtés d’autres œuvres du peintre, qui finit ses jours dans la ville en 1639. Le récit de cette récupération est édifiant. Il a été, à l’occasion, soigneusement dissimulé par le musée et la municipalité. À les en croire, à leur demande, le tableau leur aurait été «remis volontairement» par une galerie londonienne soudain saisie par la grâce.

Le patrimoine public étant imprescriptible, le tableau aurait dû être restitué sans discussion. Le pire a été évité de peu, car il aurait pu disparaître à nouveau.

Le fabliau est ahurissant et la véritable histoire un peu plus embarrassante. Le tableau doit sa redécouverte à Hervé Aaron, qui l’a repéré en 2009 à Florence. Pour la modeste somme de 57 500 €, il lui fut adjugé par Sotheby’s comme production anonyme «caravagesque» (certes). Fin connaisseur, l’antiquaire parisien fit le lien avec Le Christ porté au tombeau que Tournier avait réalisé pour la même chapelle. La galerie a bien lu dans le catalogue Tournier, rédigé à Toulouse par Axel Hemery en 2001, que les deux œuvres avaient été remises au musée en 1794. Malheureusement, elle aurait manqué de voir la note concernant Le Portement : « disparu du musée après 1818 ». Comme n’a pas manqué de le relever Hervé Aaron, « il n’a jamais été déclaré volé par l’État ». Le marchand avait aussi appelé le conservateur Axel Hemery pour lui proposer l’œuvre. Ce dernier ne prit même pas la peine d’aller voir une peinture qu’il a toujours considérée, de son propre aveu, sans grand intérêt. Aucun signalement ne fut alors produit à la Justice, ni même à la Direction des musées de France. Or, en principe, le patrimoine public étant imprescriptible, le tableau aurait dû être restitué sans discussion. Le pire a été évité de peu, car il aurait pu disparaître à nouveau. Il a été présenté deux fois à la foire de Maastricht, sans que le comité d’experts n’y trouve à redire  et heureusement, sans être vendu. Il s’est retrouvé à la galerie Mark Weiss à Londres. Déconfit, le musée de Toulouse a alors tenté discrètement de l’acheter, mais le prix était passé de 400 000 à 670 000 €. En 2011, Mark Weiss l’a présenté au salon Paris Tableau. Au prévernissage, cette peinture monumentale a été remarquée par l’auteur de ces lignes, qui n’a pas manqué de consulter les notices du catalogue Tournier. Il a immédiatement alerté l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels, la direction du patrimoine, le service des musées de France et le musée de Toulouse, lequel n’était pas du tout favorable à une revendication. Deux jours plus tard, la nouvelle ayant été publiée dans Libération, l’OCBC, à la demande de la directrice des musées de France, venait sur le stand se saisir de l’œuvre. Les deux antiquaires concernés ont vigoureusement protesté et fait longuement pression pour obtenir une restitution. Entre-temps, déjà bien dégradée, la peinture s’est abîmée encore et il a fallu six années pour obtenir son retour dans le musée, enfin restaurée. L’adjoint au maire chargé des musées, Pierre Esplugas-Labatut, s’est félicité de l’efficacité des règles de protection du patrimoine. Il n’est pas sûr qu’on puisse en dire autant de sa ville et de son musée, lequel, pour faire oublier ses propres confusions, a, de plus, pris la responsabilité de déformer l’historique d’une de ses œuvres.

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