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Les paravents

Publié le , par Dimitri Joannides

Focus sur l’un des plus vieux meubles d’agrément du monde, qui a été conçu pour protéger des courants d’air et conserver la chaleur du feu.

Paravent à douze feuilles en bois recouvert à la feuille d’argent et de laque naturelle... Les paravents
Paravent à douze feuilles en bois recouvert à la feuille d’argent et de laque naturelle ambrée par Jean Dunand, vers 1930.
Paris, hôtel Marcel-Dassault, 8 juin 2010. Artcurial, Briest, Poulain, Tajan SVV. M. Marcilhac.
372 298 € frais compris.

Les paravents apparaissent vraisemblablement au IIIe siècle avant notre ère, en Chine, dans des familles nobles. À l’origine, ces meubles, qui n’avaient pas vocation à être déplacés, étaient composés de panneaux de bois massif peint, laqués et décorés, souvent enrichis d’incrustation de nacre et de pierres précieuses.

De la Chine au Japon
Les thèmes qu’offraient ces cloisons à la vue des spectateurs étaient assez variés : paysages, animaux, fleurs, personnages… Mais ils cachaient souvent bien plus que ce qu’ils pouvaient offrir aux regards indiscrets, par exemple une femme dissimulée par ces écrans de soie brodés. Déployés en ligne brisée, les panneaux verticaux articulés avaient également l’avantage de faire obstacle aux esprits qui, pensait-on, ne se mouvaient qu’en ligne droite. Autant de caractéristiques qui expliquent la place de choix que les paravents parvinrent à conquérir dans les intérieurs chinois. Au fil des siècles, les décors s’enrichirent de moult détails et représentations en relief. Dès le VIIIe siècle, les Japonais s’intéressèrent à cet artisanat jusqu’à en maîtriser parfaitement la technique. Et, comme souvent, le pays du Soleil-Levant s’inspira d’un art originaire de l’empire du Milieu pour le développer jusqu’à la perfection. Au-delà de l’esthétisme pur, les Japonais comprirent très vite l’intérêt pratique de ces boucliers de beauté qu’ils adoptèrent en guise de cloisons, particulièrement faciles à déplacer en cas d’incendie ou de tremblement de terre. Ainsi naquit le byôbu, un paravent léger, dont les panneaux furent remplacés par des feuilles de papier et les charnières par des cordes, des lanières de cuir ou des cordons de soie. Mais le véritable apport des artisans nippons est sans conteste la peinture, apanage de nombreuses écoles à travers tout le pays. Parmi les styles qui se sont développés au cours du temps, on peut citer le courant nanga, très lyrique, ou encore le kano, faisant écho à d’anciennes techniques à l’encre de Chine, en passant par le rimpa, classique et coloré, ou le soga, spécialisé dans la représentation de faucons. Autre caractéristique des panneaux japonais : la lecture de droite à gauche avec une répétition de personnages censée illustrer différentes phases du récit. Des mangas avant l’heure ! Malgré la diversité des réalisations et la créativité sans limite des Japonais, ce sont néanmoins les paravents coréens qui permirent véritablement à cette discipline d’entrer dans la catégorie des œuvres d’art, avec ses artistes et ses mécènes.

Paravent en bois laqué, Chine, fin XVIIIe-début XIXe siècle. Paris, Drouot, 10 décembre 2008. Pierre Bergé & Associés SVV. M. Portier1 860 € frais com
Paravent en bois laqué, Chine, fin XVIIIe-début XIXe siècle.
Paris, Drouot, 10 décembre 2008. Pierre Bergé & Associés SVV. M. Portier
1 860 € frais compris

La tentation de l’Occident
Au XVe siècle, la magnificence des décors, renforcée par l’apparition de la dorure à la feuille d’or, intrigue les cours européennes. Les premiers voyageurs britanniques rapportent en Europe des réalisations époustouflantes. Au XVIe siècle, des marchands hollandais convoient même des cargaisons entières de paravents, faisant partir les précieux chargements du golfe du Bengale. On dit que c’est Madame de Rambouillet qui, au XVIIe siècle, en lança la mode en France. C’est chez cette femme d’exception, alors l’une des meilleures clientes de la Compagnie des Indes, que se tenait le premier grand salon parisien où se rencontraient régulièrement Corneille, Madame de Sévigné et Malherbe. Revers de la médaille, c’est justement cette estimable assemblée que Molière raille dans ses Précieuses ridicules… Comme pour toute mode extrême-orientale adaptée aux mœurs occidentales (voir «Les pagodes chinoises», La Gazette no 7 du 19 février 2010), les artisans européens se livrèrent à une véritable compétition, poussant le zèle jusqu’à créer des paravents de vingt panneaux ! L’intégration aux mœurs aristocratiques du vieux continent fut une réussite totale : les gravures de l’époque témoignent de la présence de paravents dans tous les intérieurs et les écrivains en parlent dans leurs récits. Il faut dire que dans les vastes pièces de ces grands châteaux inchauffables de ce début de XVIIe siècle, ces meubles constituent une première étape décisive dans le cloisonnement des espaces. Marivaudages, intrigues, mystères et complots viennent compléter un tableau déjà aimablement esquissé par des artistes aussi illustres que François Boucher ou Antoine Watteau. En plein siècle des Lumières – tendance qui se confirmera au XIXe siècle –, au sein d’une société portant au pinacle le confort intérieur et le raffinement des décors, les paravents occupent définitivement le terrain, comme s’ils avaient toujours fait partie du paysage. Exit le japonisme et ses codes complexes. Cette cloison mobile se pose désormais devant la cheminée en guise de pare-feu, sépare les malades des valides ou protège pudiquement la femme s’habillant ou, mieux, se déshabillant… De petits modèles sont même destinés à être posés sur des guéridons. Dans les pièces d’Eugène Labiche, ils jouent même un rôle de tout premier plan en cachant l’amant ou la maîtresse qui, sans lui, aurait été surpris ! Avouons-le sans détours : certains auteurs lui doivent une fière chandelle, pour ne pas dire leur carrière et même leur postérité. Car quand ils ne participent pas à l’élaboration des intrigues des pièces de boulevard, on les retrouve sur scène comme partie prenante du décor d’un salon ou d’une salle à manger, permettant à ces dames de se protéger des courants d’air de la vie parisienne ou, plus simplement, en guise de fond de scène. Il n’y a pas que les dramaturges à avoir été conquis, loin de là. Les plasticiens sont rapidement séduits par l’originalité de ce support atypique. Au-delà du simple triptyque ou quadriptyque, c’est une œuvre multidimensionnelle qui se crée au gré des ouvertures et des choix de présentation. Au XXe siècle, outre les grands ensembliers des années 1920 et 1930, en tête desquels figurent Jean-Michel Frank, Albert Rateau, André Mare, Eileen Gray ou Jean Dunand, quasiment tous les artistes se sont penchés sur la question, de Mucha à Vallotton, en passant par Redon, Vuillard, Lurçat ou Riopelle. En la matière, la vogue du trompe-l’œil qui fit fureur dans les années 1950 fut du pain béni pour les vendeurs de paravents. Pensez donc ! Il y avait là deux fois plus de chance d’intéresser les acheteurs. Si l’amateur de mobilier ne peut résister au charme de trois panneaux peints embellissant un objet somme toute fonctionnel, le collectionneur de peintures fond quant à lui pour une création réalisée sur un support sans nul autre pareil.

Paravent en acajou de style Louis XVI, travail de Madeleine Castaing, XXe siècle. Paris, Drouot, 18 juin 2010. Beaussant - Lefevre SVV. MM Bacot et de
Paravent en acajou de style Louis XVI, travail de Madeleine Castaing, XXe siècle.
Paris, Drouot, 18 juin 2010. Beaussant - Lefevre SVV. MM Bacot et de Lencquesaing.
1 580 € frais compris
Paravent à trois panneaux de tapisseries au point par Jean Lurçat, titré Les Sirènes.Château de Cheverny, 6 juin 2005. Rouillac SVV.21 229 € frais com
Paravent à trois panneaux de tapisseries au point par Jean Lurçat, titré Les Sirènes.
Château de Cheverny, 6 juin 2005. Rouillac SVV.
21 229 € frais compris
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