Le contexte actuel du marché de l’art met l’accent sur ce mode de financement, qui représente une potentielle source de liquidité pour les collectionneurs comme pour les professionnels.
L’art et la finance semblent ne jamais avoir été si étroitement liés. L’essor des prêts d’argent garantis par des œuvres d’art ne fait plus aucun doute. Ce mode de financement représente un attrait certain pour une variété d’acteurs tels que les collectionneurs et les professionnels. De même, les institutions financières offrant ce type de service se sont multipliées, tout en diversifiant leur offre dans un marché segmenté. Cependant, on peut se demander si le ralentissement du marché de l’art international n’est pas source d’une baisse d’activité pour les institutions financières offrant ce type de prêts… Ou est-ce plutôt l’inverse ? Avec des taux d’intérêt historiquement bas et le prix des œuvres qui s’est stabilisé, voire qui a baissé, certains collectionneurs préfèrent emprunter en donnant en garantie les œuvres dont ils sont déjà propriétaires, au lieu de les vendre dans de mauvaises conditions. Quels sont donc les tenants et aboutissants de ces prêts garantis contre œuvres d’art ? Qui sont les principaux acteurs de ce marché ? Quels sont les produits mis en place pour satisfaire à la demande ? Et quels sont les facteurs pouvant avoir une incidence sur la pérennité de ce mode de financement ?
Le profil des emprunteurs
Le marché des prêts garantis par des œuvres d’art est essentiellement constitué de prêts consentis à des individus des collectionneurs aux motivations diverses. Certains empruntent pour acquérir de nouvelles œuvres d’art ou investir dans de nouveaux projets professionnels. D’autres possèdent une collection importante mais disposent de peu de liquidité ou sont touchés par une tragédie de la vie : décès, dettes ou divorce. D’autres, enfin, souhaitent opter pour le refinancement de leurs prêts existants. Ce mode de financement s’adresse encore principalement à la catégorie des HNWI (high net worth individuals) voire des UHNWI (ultra high net worth individuals), autrement dit des collectionneurs avec des patrimoines importants. Il est bien possible, cependant, que l’offre pour ce type de prêts s’ouvre aussi progressivement à des collectionneurs au patrimoine plus modeste. En dehors des collectionneurs, une population grandissante de professionnels tels que des galeries d’art ou même des artistes fait également appel à ce type de prêts. Les galeries peuvent en avoir besoin afin de financer leur fonds de roulement ou encore leur participation à une foire internationale. Les artistes, quant à eux, peuvent emprunter contre des garanties sur leurs propres œuvres afin de financer la production de nouvelles créations.
Trois catégories de prêteurs
Historiquement, l’offre était réservée aux clients de grandes banques ou de banques privées par exemple, Bank of America (US Trust), Citi Private Bank, aux États-Unis, ou Neuflize OBC en France et ce, dans le cadre de la gestion de leur patrimoine. Puis, loin derrière en seconde place, viennent les maisons de ventes aux enchères, principalement Sotheby’s et Christie’s. Ces dernières agissent de plus en plus comme des institutions financières. Elles prêtent généralement à des emprunteurs qui sont déjà des clients ou à des tiers, s’engageant alors à passer par elles pour vendre leurs œuvres. Enfin, le nombre de collectionneurs ne cessant d’augmenter et la demande pour ce mode de financement n’ayant jamais été aussi importante, s’est également formé un troisième segment. Il s’agit des institutions financières, n’étant pas soumises aux mêmes réglementations que les grandes banques. Depuis quelques années, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, ont donc été mises à disposition de nouvelles sources de financement, principalement par le biais de prêteurs spécialisés tels qu’Athena Art Finance Corp.(créé en 2015), ou Falcon Fine Art (fondé en 2014).
Les différents types de prêts
Pour bien comprendre les types de prêts consentis par ces différents prêteurs, il faut tout d’abord saisir une distinction fondamentale : celle qui existe entre les prêts avec recours et les prêts sans recours. Les premiers sont des prêts garantis non seulement par une œuvre d’art, mais également par le patrimoine de l’emprunteur. Les seconds sont des prêts pour lesquels le prêteur accepte de n’obtenir que l’œuvre d’art en garantie. Le type de prêteur variera en fonction de cette distinction. En effet, les grandes banques et les banques privées ne consentent généralement que des prêts avec recours. Tandis qu’auprès des maisons de ventes aux enchères et des prêteurs spécialisés, les prêts consentis sont des prêts sans recours. À cela s’ajoute une difficulté d’ordre réglementaire : dans certains pays tels que les États-Unis ou la France (depuis 2006), le prêteur sera à même d’obtenir en garantie l’œuvre d’art, et l’emprunteur pourra garder cette dernière accrochée à son mur. Dans d’autres pays, le prêteur devra obligatoirement prendre possession de l’œuvre prise en garantie. En pratique, cette dépossession est rarement appréciée des collectionneurs, qui souhaitent généralement conserver la jouissance de leur œuvre.
Les risques pour le prêteur
Au vu de ces deux premiers paramètres, le risque pris par un prêteur peut donc varier de manière significative d’un pays à un autre et d’une institution financière à une autre. Ce risque devant être rémunéré par l’emprunteur, il se répercutera par le biais notamment d’un taux d’intérêt plus élevé ou encore par la souscription d’une assurance complémentaire dont le coût sera à la charge du collectionneur. D’autres risques pour le prêteur ponctuent ce marché de niche : notamment des œuvres parfois difficiles à évaluer ou dont la valorisation peut fluctuer, des œuvres parfois difficiles à authentifier, un manque de liquidité possible de ces œuvres, un marché de l’art encore opaque et qui manque de réglementations spécifiques, ou encore des œuvres pas toujours à même d’être prises en garantie. Le potentiel du marché des prêts garantis par des œuvres d’art est délicat à quantifier et, de ce fait, difficile à réellement apprécier. Il fait actuellement l’objet d’estimations de croissance très différentes : un rapport établi par Deloitte et ArtTactic (2016) fait état d’un marché aux États-Unis de 15 à 19 milliards de dollars et d’une croissance annuelle de 15 à 20 %, tandis qu’un autre établi par Skate’s (2015), parle d’un marché aux États-Unis estimé à 3 milliards de dollars, avec un potentiel de 100 milliards. Il est également difficile d’obtenir des éléments chiffrés sur l’évolution de ce marché en Europe. Les nouveaux entrants, tels que Falcon Fine Art ou Athena Art Finance, pensent quant à eux que le climat actuel représente une opportunité. Selon eux, emprunter permet aux collectionneurs d’obtenir des liquidités tout en conservant la propriété de leur collection, ce qui leur évite de vendre à perte. Autrement dit, ce dispositif constitue une façon d’utiliser sa collection d’art comme un levier, ou comme un moyen de convertir ses actifs en liquidité et en revenus. Ces prêteurs spécialisés estiment que le développement de ce type de prêts amènera également davantage de transparence dans le marché de l’art. Il ne faut toutefois pas sous-estimer des facteurs usuels tels qu’une éventuelle hausse des taux d’intérêt, une crise systémique de liquidité, ou encore une baisse suffisamment importante du prix des œuvres d’art, qui pourraient faire que la pérennité de ce mode de financement soit mise à mal.
Silke Rochelois est avocat aux barreaux de paris et de new York.
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