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Les ombres et lumières de la vente des meubles de Teodor Obiang

Publié le , par Vincent Noce
Vente le 20 janvier 2023 - 14:00 (CET) - Salle 5-6 - Hôtel Drouot - 75009

La dispersion du mobilier « mal acquis » du fils du dictateur guinéen jette le trouble sur ses achats dispendieux au faubourg Saint-Honoré.

Une paire de cabinets, vendue par la galerie Aaron à Obiang comme meubles Louis XVI... Les ombres et lumières de la vente des meubles de Teodor Obiang
Une paire de cabinets, vendue par la galerie Aaron à Obiang comme meubles Louis XVI d’Adam Weisweiler pour 800 000 €.

Intérieur d’un hôtel particulier parisien, Drouot, le 20 janvier.» Il ne fallait pas être grand clerc pour deviner quel était le détenteur des 158 lots de cette vacation prononcée sur ordre de l’Agence de recouvrement des avoirs confisqués (Agrasc). Ils provenaient de la résidence du 42, avenue Foch, saisie à Teodor Obiang Nguema, fils du président de la Guinée équatoriale, condamné en 2020 pour le détournement d’au moins 150 M€ dépensés en France. Deux Ferrari, une McLaren et une Porsche devaient suivre une semaine plus tard à Annonay, chez Ardèche Enchères. La vacation de Drouot était la dernière du mobilier de l’hôtel particulier, dont l’achat et les travaux ont coûté près de 40 M€. Les goûts de luxe de leur possesseur en firent un client idéal du faubourg Saint-Honoré. Il a acquis, pour 18 M€, 106 des 651 lots de la collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, dispersés en 2009 par Christie’s. Comme l’ont révélé les enquêtes judiciaires (cf. Pilleurs d’Afrique, Gilles Gaetner, éditions du Cerf, 2018), il fut un temps le principal client de Jean Lupu, auquel il a acheté pour 5 M€ de meubles en un trimestre. Il en a dépensé près de trois autres à la galerie Aaron. Certaines de ses possessions, selon plusieurs experts, s’avèrent être des copies, voire des faux. D’autres étaient incontestables, comme celles ayant fait l’objet de préemptions. Le musée Fabre de Montpellier a acheté pour 18 285 € un tableau XVIIIe, La Toilette avant le bal de Jean Raoux, qu’Hervé Aaron avait vendu huit fois plus cher à Obiang en 2008. Fontainebleau a récupéré, pour 28 570 €, une paire de fauteuils Consulat «à l’étrusque», estampillés Jacob Frères et portant les marques d’inventaire du château, provenant de la galerie Aaron.
Prudence
Pour 194 275 €, le musée des Arts précieux Paul-Dupuy de Toulouse a emporté la plus belle pièce, quatre Grâces en marbre de presque 150 cm de haut, surmontées d’une horloge datée 1790 et signée Lepaute. Issu de la folie Beaujon, ce groupe avait été acquis pour 400 000 € par Lupu en 2015, chez Sotheby’s Paris. L’expert à Drouot considère néanmoins que la signature «grossière» prétendument du sculpteur Jacques Philippe Le Sueur, déjà signalée chez Sotheby’s, aurait été rajoutée. L’estimation (10 000/15 000€) était sans conteste fort basse. Volontairement, dit l’expert Morgan Blaise, car lui et le commissaire-priseur, Me David Kahn, avaient été appelés à la circonspection par l’Agrasc, consciente des démêlés de certains fournisseurs avec la Justice et attendant que tous les lots puissent être vendus. La vente a donné lieu à quelques articles critiquant cette pondération, distillant les commentaires d’antiquaires anonymes. Pourtant, dans le détail, cette prudence semblait bien s’imposer. Trois vases chinois d’époque Kangxi sont partis à 177 130 €, mais leur monture en bronze doré a été cataloguée comme probablement du XIXe siècle, d’après des modèles créés par Duplessis en 1757. Jean Lupu les avait achetés pour 180 000 € en 2005 chez Christie’s, qui les avait estimés entre 600 000 et 1 M€. Son catalogue reconnaissait implicitement la faiblesse de la ciselure en laissant entendre qu’elle aurait pu être l’œuvre d’un sous-traitant. Une console-desserte portant de fausses estampilles de Riesener a été adjugée 60 568 €. Elle avait été acquise chez Christie’s, à New York, pour 95 000 $ en 2003 par la galerie Aaron, qui a changé les marbres. Pour Morgan Blaise, la marqueterie serait entièrement moderne. Christie’s déjà avait noté que marqueterie et bronzes avaient été «largement rapportés» sur une caisse d’époque Louis XVI, «substantiellement replaquée». Achetée par Obiang à Lupu pour 2,8 M€ en 2008, une commode de style, « dans le goût de Charles Cressent », a été cédée pour 183 990 €. Ces deux meubles sont introuvables dans les catalogues raisonnés d’Alexandre Pradère, lesquels font autorité, et leur prix d’adjudication est sans comparaison avec la cote de ces ébénistes : une commode Cressent a ainsi fait 1 M€ chez Christie’s en 2008… L’expert n’a trouvé aucun modèle pour un lourd meuble de style Empire plaqué d’acajou arborant une fausse estampille Jacob, adjugé pour un modeste 19 428 €. Un bureau plat imitant un modèle de Boulle a atteint 52 569 €. Il provenait de chez Lupu, où son cartonnier a été saisi quand celui-ci a été mis en examen pour faux et escroquerie. À titre de comparaison, le même modèle, mais d’époque Louis XIV, a été vendu pour près de 2 M$ en 2020 par Sotheby’s New York.
Fabrications
Le cas le plus saillant est une paire de cabinets plaqués d’ébène aux panneaux en pierres dures, adjugée 97 138 €. La galerie Aaron l’avait vendue 800 000 € à Obiang comme étant d’Adam Weisweiler et provenant, sans explication, de la fille du tsar Nicolas Ier. Ce meuble ne figure pas non plus au catalogue raisonné de Patricia Lemonnier. Pour Morgan Blaise, les bronzes sont modernes, ainsi que les plateaux en marbre. Il a demandé une expertise des pierres à Hervé Obligi, qui considère les panneaux comme des réemplois ou des «fabrications». Il note sur certains «des marqueteries très mal assemblées, des découpes grossières, un manque de qualité dans le choix des pierres» et un dessin simpliste, contrastant avec l’opulence des panneaux sous l’Ancien Régime. Deux d’entre eux emploient de la pâte de verre. La vente a totalisé 1,7 M€, quadruplant les estimations mais bien loin cependant des folles dépenses du fils du dictateur. Ce contraste peut aussi être attribué à une désaffection pour ce genre de mobilier, mais il est loisible de penser que certains antiquaires n’aient pas apprécié le miroir qui leur était ainsi tendu.

vendredi 20 janvier 2023 - 14:00 (CET) - Live
Salle 5-6 - Hôtel Drouot - 75009
David Kahn , Kahn & Associés
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