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Les joies de la vanité

Publié le , par Caroline Legrand
Vente le 18 décembre 2010 - 10:00 (CET) - -

L’artiste contemporain Philippe Pasqua nous plonge dans un monde étrange et provocant, mais revisite aussi une tradition artistique séculaire. Approchez, approchez...

Philippe Pasqua (né en 1965), Vanité, tête aux papillons, résine recouverte de feuilles... Les joies de la vanité

Philippe Pasqua (né en 1965), Vanité, tête aux papillons, résine recouverte de feuilles d’argent et papillons, Plexiglas, 196 x 50 x 40 cm.
Estimation : 10 000/12 000 €

Quitte à voir quelque papillon grignoter ses orbites, autant qu’il s’agisse de magnifiques lépidoptères aux ailes voilées d’une troublante couleur azur. Et s’il faut être exposé aux yeux de tous dans son ultime apparence osseuse, soyons élégamment parés d’argent... Philippe Pasqua traite finalement avec bien des égards ses crânes, devenus au fil du temps de fidèles compagnons. Celui-ci, présenté lors d’une prochaine vente cannoise, est fait de résine ; d’autres oeuvres sont de véritables têtes humaines décharnées, parfois pourvues de quelques dents... Vous l’aurez compris, l’artiste ne néglige pas les détails croustillants. Quant aux réalisations les plus récentes, elles sont sculptées dans le plus blanc des marbres de Carrare. Autodidacte, Philippe Pasqua mar- que les esprits par une vision du monde sans concessions et une manière unique de décrire avec réalisme et expressivité la figure humaine. Depuis sa première exposition à Paris, en 1990, ses peintures d’opérations chirurgicales, de transsexuels ou encore de fétiches vaudous interpellent la critique et les amateurs du monde entier. Son travail est désormais exposé dans les galeries les plus courues, de New York à Hong-Kong, en passant par Moscou. Rappelons néanmoins que si cette série des crânes le hante, elle obsède des générations d’artistes depuis l’Antiquité. “Vanité des vanités, tout est vanité, s’exclamait l’Ecclésiaste avant de poursuivre, j’ai élevé des ouvrages magnifiques, j’ai bâti des maisons et j’ai planté des vignes [...] J’ai entassé l’argent et l’or [...] En tout cela je n’ai vu que vanité, affliction de l’esprit ; rien de stable sous le soleil.” Une pensée qui a fait son chemin.

Si les artistes contemporains ont abandonné le sens religieux prôné dans les oeuvres d’art du Moyen Âge ou dans les natures mortes du XVIIe siècle, ils remettent au goût du jour ces représentations en axant leur travail sur les thèmes de la mort et des futilités de la vie. Ainsi, l’exposition “C’est la vie ! Vanités” présentée par la fondation Maillol, à Paris début 2010, montrait combien les memento mori sont nombreux dans l’art contemporain. On pouvait aussi y constater que les vanités du XXe siècle, plus morbides et privées de l’espoir d’un au-delà, se recentrent sur l’image du crâne humain en décomposition. Rappelons que l’origine remonte à l’époque byzantine, avec la représentation du crâne d’Adam, le premier homme sur Terre, au pied de la Croix. Relayée en Occident, l’image rappelle le péché originel, mais aussi la possibilité d’une rédemption. Aujourd’hui, Yan Pei Ming focalise le regard sur son propre sort et la condition humaine dans une toile en camaïeu gris réalisée à partir d’une radiographie de sa propre tête, tandis que Damien Hirst, dans son célèbre Love of God, rappelle l’impuissance de l’argent face à la mort avec l’image d’un crâne en platine modestement serti de 8 601 diamants.

Cependant, l’art de Philippe Pasqua est sans doute plus proche de celui du flamand Jan Fabre, chez qui la vanité renoue avec la nature. Passionné d’insectes, Fabre habille ainsi un crâne humain de coléoptères, tout en lui faisant croquer L’Oisillon de Dieu... Cependant, si le comique affleure dans beaucoup d’oeuvres contemporaines, il n’en est rien chez Philippe Pasqua, où le sacré domine. La preuve par le Plexiglas, qui toujours sépare l’oeuvre du spectateur, le socle ajoutant une dimension précieuse à cet objet intouchable... que l’on tentera de saisir tant qu’il y a de la vie.

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