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Les enchères au grand air

Publié le , par Dimitri Joannides

Mise à la mode à la fin des années 1980 par les maisons de ventes britanniques, la sculpture d’extérieur fait désormais pleinement partie du paysage.

Mathurin Moreau (1822-1912), Nymphe, XIXe, fonte relaquée blanc par Val d’Osne, h.... Les enchères au grand air
Mathurin Moreau (1822-1912), Nymphe, XIXe, fonte relaquée blanc par Val d’Osne, h. 200 cm. Paris, Drouot-Richelieu, 25 mai 2011, Coutau-Bégarie OVV.
Adjugé : 15 500 €


Les Rouillac se seraient-ils secrètement rêvés en Le Vau ou Le Nôtre lorsqu’en 2013 année de la vente de leur fameux coffre de Mazarin , les 17 tonnes cumulées de sculptures d’Alfred Janniot leur ont été livrées ? Leur mise en scène, au cœur des jardins du château de Cheverny, s’est révélée payante malgré les contraintes logistiques puisque 35 lots sur 37 trouvaient preneur. Six sculptures dépassaient les 100 000 € et un grand bronze représentant les Trois Grâces atteignait même 370 000 €. Le marché compterait-il donc tant de Médicis en herbe ?

Difficile de ne pas remarquer la montée en puissance de l’art contemporain dans la sculpture de jardin
Niki de Saint Phalle (1930-1922), Adam et Ève, sculpture en résine polyester polychrome, cachet de la signature, marque de R. Haligon et numéroté 1/3.
Niki de Saint Phalle (1930-1922), Adam et Ève, sculpture en résine polyester polychrome, cachet de la signature, marque de R. Haligon et numéroté 1/3. Environ 190 x 165 cm.
Paris, Drouot-Richelieu, 10 décembre 2012, Gros & Delettrez OVV.

Adjugé : 600 000 €

La sculpture côté jardin
Les premiers jardins ornementés remontent au Quattrocento, à une époque où l’homme s’est fait une affaire de principe de dominer son environnement. En mêlant éléments végétaux et minéraux aux massifs floraux, les jardins de la Renaissance sont des œuvres d’art à part entière. À l’image de ceux de la villa d’Este, à Tivoli… qui ont accueilli en mai 2015 Sotheby’s et RM Auctions pour la vente de dix-sept Ferrari ! Les voitures d’exception, nouveaux accessoires de jardin ? Et que dire des squelettes de dinosaures, vedettes intouchables des ventes d’histoire naturelle, qu’on retrouve posés au bord des piscines de magnats du pétrole au Moyen-Orient ? Bref, revenons aux rondes-bosses et autres haut-reliefs qui apportent leur supplément d’âme aux jardins de Vaux-le-Vicomte ou de Buckingham. La mode en a été lancée par les Médicis, à Florence, autour de 1550. À l’époque, les jardins de Boboli, chef-d’œuvre paysager du palazzo Pitti, qu’ils commandent à Niccolò dei Pericoli, font parler d’eux dans toutes les cours d’Europe.

 

Bernar Venet, né en 1941, Deux lignes indéterminées, sculpture en acier, 38 x 48 x 38 cm,Cannes, Besch Cannes Auction OVV, 15 août 2015. Adjugé : 52 7
Bernar Venet, né en 1941, Deux lignes indéterminées, sculpture en acier, 38 x 48 x 38 cm,
Cannes, Besch Cannes Auction OVV, 15 août 2015.

Adjugé : 52 710 €
Carla Lavatelli (1928-2006), Growing Energy, marbre rose du Portugal, 300 x 236 x 192 cm. Drouot-Richelieu, Paris, le 24 octobre 2014, Auction Art Rém
Carla Lavatelli (1928-2006), Growing Energy, marbre rose du Portugal, 300 x 236 x 192 cm. Drouot-Richelieu, Paris, le 24 octobre 2014, Auction Art Rémy le Fur & Associés OVV.
Adjugé : 45 000 €


Au paradis de la décoration
Sotheby’s, pionnière de la spécialité, organise chaque année des ventes entièrement dédiées aux agréments de jardin, mêlant sculptures, fontaines et grilles monumentales. Car au XVIIIe siècle, l’aura de Palladio a en effet permis aux parcs à l’italienne de franchir la Manche et de séduire les aristocrates anglais. Guère étonnant, dès lors, que cette passion so british ait connu un très vif regain d’intérêt sous l’impulsion des décorateurs arty et des paysagistes new age. La première vente aux enchères entièrement dédiée à la statuaire de jardins au sens large s’est tenue à Londres en 1986 et est devenue, dès sa deuxième édition, un rendez-vous bisannuel incontournable. Trente ans plus tard, les amateurs d’arts décoratifs et de design se montrent toujours très actifs, au gré des modes et des goûts. De notre côté de la Manche, la statuaire de jardin n’a pas laissé de marbre les commissaires-priseurs. Artcurial a montré la voie en octobre 2003 avec la dispersion des «antiquités architecturales» du domaine de Houdan, cumulant un peu plus de 2 M€ sur deux jours de vente. Rebelote en 2007 avec une vente de 1 200 lots brassant pêle-mêle 60 fontaines et bassins, 40 piliers et grilles d’entrée et autant de sculptures et statues du XVIIe au XXe siècle. Peu d’envolées spectaculaires mais des adjudications nombreuses et régulières, allant de quelques centaines d’euros pour des corbeilles de fruits en terre cuite émaillée à près de 40 000 € pour un marbre blanc d’André César Vermare. Bien des études se sont ensuite engouffrées dans la brèche, avec des succès variés. Soit en s’intéressant, comme Christophe Joron-Derem en mai 2015 à Naintré (Vienne), à la «décoration de parc» (bornes, bacs et bassins, colonnes, imposantes cheminées en pierre…), essentiellement prisée des restaurateurs de vieilles bâtisses que les ensembles monumentaux n’effraient pas. Soit en adoptant une approche plus décorative, avec des sculptures plus faciles à transporter et à installer, que les amateurs s’offrent pour orner leurs jardins, cours et autres terrasses. Et en France, terre historique de la fonte et du bronze, ce n’est pas l’offre qui manque ! Il est d’ailleurs intéressant de constater que le prix de ces créations en série s’apprécie désormais plus sensiblement que celui des statues originales en pierre. Celles de beau format du fondeur Val d’Osne se négocient très difficilement à moins de 5 000 €, un relaquage blanc à l’imitation du marbre permettant d’ailleurs de dépasser allégrement les 15 000 €, à l’exemple d’une Nymphe vendue chez Coutau-Bégarie en 2011. Pour un collectionneur, voilà l’une des rares occasions de voir grand, en veillant à l’état de conservation de la pièce convoitée. Mais attention : les restaurations déprécient considérablement la valeur d’une sculpture d’extérieur. De leurs côtés, les Britanniques n’ont jamais hésité à user et abuser du plomb, en pionniers visionnaires des célèbres jardins dits «à l’anglaise».

 

Alfred Auguste Janniot (1889-1969), Les Trois Grâces, bronze patiné signé, 252 x 144 x 78 cm. Château de Cheverny, le 9 juin 2013, Rouillac OVV. Adjug
Alfred Auguste Janniot (1889-1969), Les Trois Grâces, bronze patiné signé, 252 x 144 x 78 cm. Château de Cheverny, le 9 juin 2013, Rouillac OVV.
Adjugé : 370 000 €

La prime à l’art contemporain
Sous le règne des sculptures en acier et des résines, les ornements traditionnels, qu’ils soient m’as-tu-vu ou épurés, tiennent encore le haut du pavé et continuent à s’intégrer dans l’architecture, nageant au milieu des bassins ou ponctuant des prés taillés à la serpe. L’heure du marbre, noble et tout-puissant, semble en revanche avoir bel et bien sonné. Place à la pierre, plus résistante aux intempéries, ou aux substituts de reconstitution, souvent réalisés sur une armature métallique, mais aux résultats deux fois inférieurs aux enchères. Difficile toutefois de ne pas remarquer la montée en puissance de l’art contemporain dans la statuaire de jardin, que les nouveaux amateurs s’arrachent à plusieurs centaines de milliers voire de millions d’euros. Les créations de Bernar Venet, Jean-Claude Farhi, Xavier Veilhan, Jean-Pierre Raynaud, Niki de Saint Phalle ou Jean Tinguely peuplent désormais les espaces publics comme les jardins privés. Dans le Var, l’extraordinaire parc de sculptures qu’Enrico Navarra ouvre à quelques privilégiés l’été, non loin de celui de Jean-Gabriel Mitterrand, des 40 hectares de Patrick Seguin et de la fondation Bernar Venet, prouve que cette discipline, loin de péricliter, se renouvelle avec délice et… bourgeonne plus que jamais à l’arrivée du printemps !

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C’est le nombre de statues
installées au jardin du Luxembourg à Paris.
France, fin XVIIe-début XVIIIe siècle. Deux bustes allégoriques (l’un reproduit), plomb, 66 x 67 x 24 cm.Paris, Drouot-Richelieu, 15 mars 2013. Agutte
France, fin XVIIe-début XVIIIe siècle. Deux bustes allégoriques (l’un reproduit), plomb, 66 x 67 x 24 cm.
Paris, Drouot-Richelieu, 15 mars 2013. Aguttes OVV.

Adjugé : 104 550 € (les deux)

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