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Les bronzes de Luristan énigmatiques et graphiques

Publié le , par Sophie Reyssat

Animaux affrontés, idoles cornues... Les collectionneurs sont tombés sous le charme de l’étrange vocabulaire esthétique du Luristan. Aujourd’hui, la passion reste intacte.

VIIIe-VIIe siècle av. J.-C. Mors aux bouquetins ailés passant sur une barre flanquée... Les bronzes de Luristan énigmatiques et graphiques
VIIIe-VIIe siècle av. J.-C. Mors aux bouquetins ailés passant sur une barre flanquée de deux têtes animales, plaques 14,3 x 13 cm.
Paris, Drouot-Richelieu, 16 décembre 2006. Boisgirard & Associés SVV.
18 744 € frais compris

En matière de découvertes archéologiques, l’histoire bégaie souvent. En 1928, un paysan aurait ainsi découvert, en labourant son champ, le premier de toute une série de bronzes ensevelis depuis près de trois mille ans dans le sol du Luristan. Par leurs formes inédites et le mystère de leur origine, les trésors que recèle cette région montagneuse de l’Ouest iranien attisent immédiatement la curiosité des Occidentaux. Alors que les musées, d’abord prudents, regardent du coin de l’œil ces pièces n’appartenant à aucune famille stylistique connue, les collectionneurs sont les premiers à succomber. À une époque où l’on se passionne pour les arts premiers, ils sont suivis par de nombreux artistes comme Derain ou Breton, séduits par leur esthétique étrange. Ces collections constitueront une précieuse source d’information pour les chercheurs, les fouilles archéologiques n’étant intervenues que plusieurs années après ces premières découvertes. Les archéologues n’ont réussi à lever qu’un petit coin du voile. Semi-nomade, la population du Luristan a laissé peu de vestiges, essentiellement des sépultures. Les plus anciens bronzes retrouvés dans ces tombes datent du milieu du IIIe millénaire avant J.-C. Réalisés par fonte à la cire perdue et martelage, ils cesseront d’être produits au VIIe siècle avant notre ère. Leur style, sans doute fondé sur des croyances dont nous ne détenons pas les clés, s’affirme progressivement et passe des simples figurations naturalistes aux formes les plus élaborées. Dans une horreur du vide, les figures animales et humaines s’entremêlent pour former un décor exubérant. Si les œuvres du Luristan enflamment très vite le marché de l’art, l’engouement se manifeste avec éclat dans les décennies 70 et 80, avec la dispersion d’importantes collections. En 1970, Jean-Paul Barbier se sépare à Drouot d’une partie de ses pièces, afin de se recentrer sur les plus belles œuvres (Mes Ader et Picard). Amateur de la première heure, David David-Weill disperse, deux ans plus tard, une collection exceptionnelle (Mes Ader, Picard, Tajan), qui fera l’objet d’une publication de Pierre Amiet, conservateur en chef des Antiquités orientales du musée du Louvre.

IXe-VIIIe siècle av. J.-C. Personnage à large tête coiffée de cornes incurvées, art de Piravend, h. 9 cm. Paris, Drouot-Richelieu, 16 novembre 2007.Bo
IXe-VIIIe siècle av. J.-C. Personnage à large tête coiffée de cornes incurvées, art de Piravend, h. 9 cm.
Paris, Drouot-Richelieu, 16 novembre 2007.
Boisgirard & Associés SVV.

 

Déjà, les pièces les plus rares dépassent allègrement la barre des 100 000 F. Une autre collection, comptant près de trois mille cinq cents bronzes, nécessitera quinze vacations, dont le coup d’envoi est lancé en 1980 (Boisgirard & de Heeckeren). Depuis ces ventes évènements, le marché se maintient, mais l’œil des acheteurs s’est aiguisé pour devenir plus sélectif. Annie Kervorkian, expert, indique qu’il existe «une énorme différence entre les pièces de très grande qualité, qui font de très grands prix – mais pas plus que dans les années 1980 – et les pièces moyennes. Autrefois, même lorsque les bronzes étaient assez moyens, on les considérait comme des pièces absolument exceptionnelles». Attrait de la nouveauté oblige, chacune semblait bonne à collectionner. Il est vrai que la production du Luristan, pléthorique, offre aux amateurs un large choix. Les premiers prix commencent autour de 500 €, pour des poignards ornés de nervures, des têtes de masses d’armes ou encore des coupes décorées au repoussé. Mais l’art du Luristan est avant tout le royaume de la figuration, qu’elle soit animale, humaine ou hybride. Ce décor vivant suscite d’ailleurs souvent les enchères les plus élevées. Comme le précise notre expert, entre deux pièces similaires, «selon l’exécution, la valeur sera du simple au double, si ce n’est au triple». Les haches illustrent sans doute le mieux cette diversité. Si certains amateurs sont attirés principalement par la sobriété de leur découpe sculpturale, les collectionneurs les plus avertis apprécient la richesse et l’originalité de leur iconographie. De multiples ornements figuratifs peuvent se greffer sur la forme initiale, faisant grimper les enchères. Les nervures ornant fréquemment la douille se prolongent alors en digitations (1) terminées par des têtes animales ou humaines, tandis qu’un fauve crache la lame en éventail. Une hache de ce type, datant de la fin du IIe millénaire avant J.-C., s’envolait ainsi à 42 326 € le 19 mars 2004 chez Boisgirard & Associés. Le riche bestiaire du Luristan, dont les félins, les capridés, les chevaux, les taureaux, les oiseaux et les serpents sont les acteurs fétiches, s’affiche avec ostentation sur les plaques des mors. Associés aux pendentifs, aux anneaux et aux grelots, les mors composent de prestigieux harnachements pour chevaux. Parfois dotées d’ailes ou d’une tête humaine cornue, les représentations animales basculent dans le fantastique, pour le plus grand bonheur des esthètes. Thème récurrent apparenté à l’iconographie mésopotamienne, le «maître des animaux» intrigue. Ce personnage, parfois doté d’un visage double ou cornu, est encadré par deux animaux menaçants qu’il domine. Réalisé avec un soin et des variations infinis, il orne aussi bien les mors ou l’extrémité des d’épingles que les bronzes appelés idoles. Sur ces derniers, le groupe qu’il forme avec ses attaquants est fixé par une épingle insérée dans un tube et un support en forme de bouteille, souvent manquant. Le maître laisse parfois la place aux seuls animaux, essentiellement des bouquetins ou des lions, qui se retrouvent alors en position affrontée. Cet ensemble est désigné sous le nom d’«étendards» dans les ventes publiques. Figurés seuls, des personnages sont représentés en entier avec un corps tubulaire, ou simplement évoqués par une tête anthropomorphe. Parmi eux, les idoles de Piravend constituent un genre spécifique. Leur physionomie schématique et leur tête surdimensionnée, stylisée telle une sculpture moderne, attisent particulièrement les convoitises. Annie Kevorkian nous confie que les plus belles atteignent facilement 45 000 à 75 000 €. Que l’on soit attiré par le pur esthétisme des œuvres ou par la complexité de leurs détails insolites et uniques, la question de leur symbolique reste en suspens. De leur simple rôle d’ornementation à leur usage votif ou magique, toutes sortes de réponses sont avancées, qui ne demeurent qu’hypothèses. Ce mystère n’est sans doute pas étranger au magnétisme qu’excercent les bronzes du Luristan.

IXe-VIIe siècle av. J.-C. Sommet d’épingle représentant un personnage dans l’attitude du maître des animaux, h. 16 cm. Paris, Drouot-Richelieu, 1er dé
IXe-VIIe siècle av. J.-C. Sommet d’épingle représentant un personnage dans l’attitude du maître des animaux, h. 16 cm.
Paris, Drouot-Richelieu, 1er décembre 2007. Pierre Bergé & Associés SVV.
3 682 € frais compris
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