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Les bons coups du bambou

Publié le , par Anne Doridou-Heim

À la fois matériau et motif, la plante participe à l’écriture du vocabulaire artistique de l’est comme de l’ouest, séduisant l’imagination des artisans… et suscitant la convoitise des collectionneurs.

Yufu Shöhaku (né en 1941), panier en vannerie de lamelles de bambou de forme ovale,... Les bons coups du bambou
Yufu Shöhaku (né en 1941), panier en vannerie de lamelles de bambou de forme ovale, pour arrangement de fleur ikebana, 40 57 45 cm. Paris, Drouot, 21 juin 2018. Boisgirard-Antonini OVV.
Adjugé : 15 950 €

Pour la première fois en France, l’art japonais de la vannerie en bambou est à l’honneur dans l’une des plus prestigieuses institutions, le Quai Branly. «Fendre l’air  Art du bambou au Japon» relate son évolution avec une profusion de détails et de documents (voir Gazette n° 3, page 133 Fendre l'air Art du bambou au Japon). Cette technique ancestrale invite à une réflexion plus globale sur un matériau largement usité dans toute l’Asie, car apprécié pour ses vertus, mais aussi pour ses tiges si esthétiques qu’elles sont devenues support de nombreux décors. Là-bas et ici. L’exposition nous fournit aussi prétexte à vérifier que lorsque le bambou se décline à la manière occidentale, cela donne également des petits chefs-d’œuvre très recherchés.
 

Édouard Lièvre (1829-1886) pour la maison Christofle. Cache-pot «bambou», vers 1877, bronze à patines dorée et brun-rouge, couvercle ajouré à décor de
Édouard Lièvre (1829-1886) pour la maison Christofle. Cache-pot «bambou», vers 1877, bronze à patines dorée et brun-rouge, couvercle ajouré à décor de branches de bambou feuillues, 18 28 20 cm.
Paris, Drouot, 19 décembre 2011. Millon OVV.
Adjugé : 8 000 €



Les mérites du bambou
Le 21 juin 2018, la maison de ventes parisienne Boisgirard-Antonini proposait des paniers en vannerie pour arrangement de fleurs  ikebana  confectionnés par de célèbres maîtres artisans contemporains de la ville de Beppu, un centre devenu célèbre dans cette technique. Celui réalisé par Yufu Shöhaku  (né en 1941) tissait allègrement 15 950 €, un résultat des plus honorables. Les anonymes  par ailleurs assez fréquents aux enchères  séduisent plus modestement, partant à de nouveaux bras pour quelques centaines à quelques milliers d’euros. Le mérite de cette dispersion  comme celui de l’exposition  est de mettre en lumière un matériau simple et discret, qui n’a jamais cherché à faire de vagues à la différence d’autres supports, tels l’ivoire, le corail, la corne de rhinocéros et autre écaille de tortue, tout aussi dépaysants mais beaucoup moins consensuels. Et pourtant, le bambou pourrait être fier. Sur le site Internet de la Gazette, par exemple, il est tout de même référencé plus de 4 700 fois ! Difficile de passer à côté de cette tige droite et souple, qui plie mais ne rompt pas. Impossible aussi de se montrer exhaustif sur le sujet : sans avoir à réfléchir longtemps, à l’évocation de son nom, on a tous en tête un mobilier de chambre à coucher dans une maison familiale, un miroir qui reflétait nos états d’âme de jeunesse, ou encore une jardinière hâtivement jugée kitsch, pour plante forcément exotique. Le bambou mérite mieux que ces souvenirs au parfum nostalgique. En Asie, il est nourri d’histoire et de légendes, et se fait sujet et support de création. Le Japon le découpe en lamelles pour ses vanneries ou le tisse pour réaliser des panneaux décoratifs et diverses boîtes, parfois laquées de décors floraux soutenus par… des tuteurs de bambou (4 000 €, une écritoire du XIXe siècle conservée dans sa boîte, chez Boisgirard-Antonini le 23 juin 2016). Quant à la Chine, elle le vénère, et ce depuis l’époque des premières dynasties.

 

Jacques Adnet (1900-1984), commode, vers 1950, gainée de cuir noir à piqûre sellier, plateau mélaminé imitant l’ébène de Macassar, huit montants forma
Jacques Adnet (1900-1984), commode, vers 1950, gainée de cuir noir à piqûre sellier, plateau mélaminé imitant l’ébène de Macassar, huit montants formant «V» en laiton doré façon bambou, 83 146 46 cm.
Paris, Drouot, 17 juin 2015. Aguttes OVV. M. 
Plaisance.
Adjugé : 31 875 €



L’ami de l’hiver
Le caractère chinois du bambou est l’un des plus anciens idéogrammes de l’écriture. Il illustre le thème des sept lettrés, mélange de faits historiques et de légende. Au IIIe siècle de notre ère, en pleine période de troubles, sept sages, rejetant l’enseignement du confucianisme et l’autorité des gouvernants, se réfugient dans la solitude d’une forêt de bambous afin de tendre vers la sérénité procurée par la pratique de diverses activités : la calligraphie, la poésie, la peinture, les échanges philosophiques et le jeu de go. Ce récit est souvent illustré sur des œuvres d’art et sur les peintures. Il était aussi sculpté en haut relief sur un porte-pinceaux bitong en bambou, datant du règne de Kangxi (1662-1722), porté au sublime degré de 1 260 000 €, le 19 avril 2017 chez Beaussant-Lefèvre. Ne dépérissant pas lorsque la saison froide pointe son manteau blanc, il est encore considéré, avec le pin et le prunus, comme étant l’un des trois amis de l’hiver. Parée des vertus de persévérance, de modestie et d’intégrité, on comprend plus aisément pourquoi sa canne est régulièrement utilisée pour fabriquer des objets, à nouveau liés aux lettrés : porte-encens  17 000 € un modèle du XVIIe-XVIIIe siècle chez Daguerre, le 14 décembre 2013 , rouleaux à herbes odorantes 390 € un exemplaire du XVIIIe chez Jean-Marc Delvaux, le 15 décembre 2017 , sans oublier le porte-pinceaux. Ce dernier est l’un des attributs les plus usités dans le cabinet des doctes personnages, et des plus fréquents aussi aux enchères, où il se décline du plus simple au plus travaillé à partir de quelques centaines et jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Ce chaume est également décliné en décor ou en trompe l’œil sur les porcelaines. Le Victoria and Albert Museum de Londres possède une magnifique paire de vases en porcelaine céladon simulant un tronçon de bambou, enrichis en France, au milieu du XVIIIe siècle, d’une riche monture d’orfèvrerie  sans doute pour répondre à une commande d’un marchand-mercier. Détail amusant : le fameux «bleu poudré» était obtenu en projetant le bleu de cobalt à l’aide… d’un tube de bambou !

 

Maison Alphonse Giroux, Paris. Paire de candélabres en bronze doré à décor japonisant de vases ajourés, surmontés de branches à l’imitation du bambou,
Maison Alphonse Giroux, Paris. Paire de candélabres en bronze doré à décor japonisant de vases ajourés, surmontés de branches à l’imitation du bambou, h. 36 cm. Marseille, 6 mars 2015. Leclere Maison de ventes OVV. M. Roche.
Adjugé : 3 774 



En route pour l’Occident
La plante a bien sûr fait le voyage au fond des cales pour venir essaimer ses bienfaits en Occident. En pleine croissance de la «chinoiserie», les créateurs ont compris tout l’intérêt qu’ils pouvaient en extraire : ils se sont mis à peindre la tige et ses délicates feuilles sur les flancs de leurs céramiques, à la sculpter en trompe l’œil comme poignée de leurs verseuses en porcelaine ou en argent, ou encore à la reproduire en bronze doré comme montants de meubles précieux. Les exemples arrivés de Chine ne pouvaient que les inspirer. Les plus grands ébénistes du XVIIIe siècle, Riesener en tête, l’ont inscrit à leur répertoire. Mais c’est véritablement dans la seconde moitié du XIXe, avec l’engouement pour le japonisme  magistralement célébré tout au long de l’année 2018 en France par une belle salve d’expositions , que le bambou s’insère dans le mobilier. Deux noms se démarquent, ceux d’Édouard Lièvre (1828-1886) et de la maison Alphonse Giroux, fondée sous le Consulat et portée au plus haut lors des expositions universelles. Tous deux vont surfer sur cette vague venue de l’empire du Soleil-Levant et imaginer des jardinières, des montures, des candélabres, des cages à oiseaux 270 € un modèle en bronze doré et verre gravé, attribué à Giroux (Briscadieux, Bordeaux, 26 novembre 2016) , ou encore des guéridons, empruntant à la tige de bambou son armature caractéristique pour devenir support esthétique de leurs créations ; on retient ici les 15 000 € d’une table circulaire en bronze doré de Giroux (Ader, Paris, 17 décembre 2014). La paire de vases en porcelaine bleu poudré d’or et agrémentée d’une monture attribuée à Lièvre, présentée chez Marc-Arthur Kohn le 10 septembre 2014, en offrait   pour 106 000 € tout de même  un beau modèle. Luxe et technicité parfaitement maîtrisée définissent ces créations. En 1879, Alfred Perret fonde une maison spécialisée dans la réalisation de meubles en bambou et de décors pour les vérandas et autres jardins d’hiver. Après l’association en 1886 avec Ernest Vibert, elle devient la Maison des Bambous et, contrairement à ce que son nom laisse entendre, s’ouvre au bois sculpté et à la laque sans pour autant abandonner les chaises longues, confidents, indiscrets et jardinières qui ont fait son succès. Une paire de chaises au dossier ajouré et incrusté de cabochons émaillés bleu, portant leur étiquette en métal, retenait 750 € chez l’Huillier & Associés à Drouot, le 17 juin 2016. On le voit, le goût traverse le siècle sans prendre un fel, pour aborder gaillardement le XXe. Avec le cuir, le bambou devient l’autre signature de l’artiste décorateur Jacques Adnet (1900-1984), qui le décline en poignées, montants, supports et piétements de son mobilier aux lignes fonctionnelles 200 € une paire de bouts de canapé et 10 500 € une commode, chez Cornette de Saint Cyr le 27 juin 2017. Et puis, comme un juste retour des choses, il inspire les designers japonais des années 1930, Ubunji Kidokoro en tête. Un fauteuil en lamelles de bambou réalisé par cet ébéniste retenait 16 775 € chez Pierre Bergé & Associés (Bruxelles, 11 décembre 2017). Une passerelle végétale qui autorise les allers et retours entre l’Orient et l’Occident.

 

Chine, époque Kangxi (1662-1722). Porte-pinceaux bitong en bambou sculpté en haut relief de scènes de la légende des sept lettrés dans la forêt de bam
Chine, époque Kangxi (1662-1722). Porte-pinceaux bitong en bambou sculpté en haut relief de scènes de la légende des sept lettrés dans la forêt de bambou, signé Gu Jue, cachet Zong Yu, h. 17 cm, diam. 16,5 cm. Paris Drouot, 19 avril 2017. Beaussant Lefèvre OVV. Cabinet Portier & Associés.
Adjugé : 1 260 000 




 

1688
C’est l’année de publication de Miroir des fleurs du lettré Chen Haozi, le plus célèbre des traités d’horticulture chinoise, où un important chapitre est consacré au bambou.


 

Paire de vases «aux bambous» en porcelaine de Chine du XVIIIe siècle bleue poudrée d’or, monture en bronze doré attribuée à Édouard Lièvre (1828-1886)
Paire de vases «aux bambous» en porcelaine de Chine du XVIIIe siècle bleue poudrée d’or, monture en bronze doré attribuée à Édouard Lièvre (1828-1886), Paris, vers 1870, 78 33 33 cm (l’un reproduit). Paris, Hôtel Le Bristol, 10 septembre 2014. Kohn OVV.
Adjugé : 106 000 

Ubunji Kidokoro, fauteuil en bambou, laiton et lamelles de bambou, vers 1937, 74 x 74 x 70 cm. Bruxelles, Cercle de Lorraine, 11 décembre 2017. Pierre
Ubunji Kidokoro, fauteuil en bambou, laiton et lamelles de bambou, vers 1937, 74 74 70 cm. Bruxelles, Cercle de Lorraine, 11 décembre 2017. Pierre Bergé & Associés OVV.
Adjugé : 16 775 
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