Le 10 mars, le berceau de l’Europe va vivre au rythme soutenu de la 30e édition de la plus importante foire d’art du monde, l’année même où elle se décline en deux versions new-yorkaises.
À Maastricht, la paisible capitale de la province du Limbourg, les rencontres fructueuses entre galeristes internationaux, collectionneurs passionnés et directeurs des grands musées vont bientôt reprendre leurs droits. Un ballet fiévreux et minuté, qui ne devrait pas être trop perturbé par la création des deux versions new-yorkaises de la manifestation, même si à n’en pas douter, ces éditions constitueront cette année le sujet de bien des conversations. En octobre dernier, la première de ces foires a déjà investi outre-Atlantique le bâtiment historique de la Park Avenue Armory, consacrée aux arts de l’antiquité à 1920, alors que la seconde, dédiée à l’art moderne et contemporain ainsi qu’au design, s’y déroulera du 4 au 8 mai prochain. Michael Plummer, le directeur général de Tefaf New York, explique ce choix : «Les États-Unis sont un pays connu pour la vigueur de son marché de l’art, et l’on considère généralement que New York en est la capitale, le cœur battant.» Et le président de Tefaf, Patrick van Maris, de surenchérir : «Nous sommes impatients de faire honneur aux arts de notre temps à une plus grande échelle sur le territoire américain.» Il y a donc, clairement affirmée, cette volonté de développer une vitrine dévolue aux artistes contemporains, plus en adéquation avec une clientèle qui ne se déplace guère à Maastricht… En attendant, la manifestation européenne demeure le centre de la planète art, avec de fidèles exposants, au nombre de deux cent soixante-dix cette année, dont quarante venant de l’Hexagone. Parmi ces derniers, les grands défenseurs de la peinture ancienne sont bien au rendez-vous, fourbissant leurs plus belles pièces, à l’image de La Vierge et l’Enfant avec saint Jean-Baptiste et saint François, une œuvre exceptionnelle de Jacques Stella en majesté sur le stand de Didier Aaron & Cie. Chez Florence de Voldère, c’est Abel Grimmer et l’un de ses fameux tondo, le mois d’Août qui triompheront sans aucun doute. De Jonckheere défendra bien sûr les Flandres, avec en première ligne des paysages de Jan et Pieter Brueghel, tandis que chez Eric Coatalem, une effigie royale nous observera de tout son haut : c’est celle de Louis XIV peinte par Hyacinthe Rigaud, une étude préparatoire à la célèbre toile officielle. «Une représentation assez emblématique de ce que recherchent aujourd’hui tous les acheteurs : les pièces les plus rares, avec les origines les plus prestigieuses», souligne le marchand parisien. Quant à la galerie Aveline, elle exposera un étonnant secrétaire d’époque Louis XVI marqueté d’une vue de la Monnaie, ainsi qu’une merveilleuse commode Louis XV du premier quart du XVIIIe siècle, en collaboration avec Christophe de Quénetain. Celui-ci nous rappelle que «depuis peu est apparue une catégorie de jeunes collectionneurs d’une quarantaine d’années, venue de toute l’Europe comme du Moyen-Orient, et fins connaisseurs, tant de l’ébénisterie du XVIIIe siècle que de l’art contemporain»… Ce dernier domaine, s’il doit se renforcer dans la version américaine de la Tefaf, demeure ici encore discret, cédant la vedette à la peinture de la première moitié du XXe siècle.
Une scène pour les avant-gardes d’hier et d’aujourd’hui
Comme à chaque édition, on pourra en revisiter toutes les avant-gardes, grâce aux véritables chefs-d’œuvre ponctuant les allées de la section moderne. À commencer par un jalon de la peinture d’après-guerre, avec L’Atelier, une toile peinte par Jean Hélion en 1953, qui ornera les cimaises de la galerie Applicat-Prazan. Une autre pièce s’affirme incontournable : la sculpture en bronze poli de Louise Bourgeois intitulée Femme enceinte II, présentée par la maison Karsten Greve AG de Saint-Moritz. C’est encore le cas avec Peinture 73 x 54 cm, 28 mai 1954 de Pierre Soulages, toile témoignant de ses recherches précoces autour de l’«outrenoir» et révélée par la galerie Brame & Lorenceau. Au chapitre du mobilier, la Tefaf nous réserve l’une de ces redécouvertes dont elle a le secret : celle du mouvement de la «grâce suédoise» qui fleurit de 1917 à 1930, ici mis en scène par Éric Philippe autour d’une pièce maîtresse, le cabinet dit Le Paradis terrestre. Certains privilégieront l’un de ces téléscopages stylistiques toujours appréciés, à l’image de Flore de Brantes, qui, à côté de pièces plus historiques, va exposer quatre créations d’Hervé van der Straeten, dont une luxueuse armoire Fusion, aux panneaux de laque de Coromandel. Des participants confirmés donc, mais aussi des nouveaux venus qui apportent à leur tour leurs plus belles pépites. Cette année, ils sont dix-huit à avoir été sélectionnés, sur des dossiers passés au crible par un comité d’experts internationaux. Cocorico, cinq galeries françaises ont ainsi été adoubées : Bernard Dulon se fera l’ambassadeur de l’Océanie et de l’Afrique, d’où provient une rarissime harpe fang, tandis que la galerie Delalande révélera une sphère armillaire faite à Paris vers 1740-1750, «au décor de l’abbé Nollet». Théodore Géricault pour sa part s’invitera, avec une Étude de torse d’homme, chez le Lyonnais Michel Descours, spécialisé dans les peintures et les dessins anciens (voir page Rencontre page 22). Un buste d’époque Bakheng, à l’apogée de l’art khmer, dominera la galerie Jacques Barrère, spécialisée dans les arts asiatiques. Quant à la cinquième lauréate, elle illustre la volonté récente de la Tefaf de s’ouvrir à la création contemporaine, puisqu’il s’agit de la galerie Kreo : «Avec l’édition de designers actuels, les frères Bouroullec en tête, nous sommes ancrés dans le temps présent. Cette spécificité a clairement influencé les organisateurs, décidés à faire entrer l’art d’aujourd’hui dans la foire» explique Didier Krzentowski, qui, à côté d’un focus sur le jeune design néerlandais, propose plus «classiquement» un hommage à l’Italien Gino Sarfatti. Pour certains des exposants de l’espace principal, l’étape probatoire du Showcase aura été décisive, comme pour Xavier Eeckhout (voir ci-contre). Créée en 2008, cette section permet aux visiteurs de découvrir des enseignes montantes, venues de tous les horizons. Le Parisien Renaud Montméat est l’un de ces élus : «C’est pour moi une belle occasion d’aller vers un marché plus européen, plus stable, composé de grands collectionneurs belges, hollandais et allemands», se réjouit le spécialiste de l’art asiatique. Nul doute qu’il marquera fortement les esprits avec deux pièces impressionnantes : un bodhisattva de schiste, typique de l’art gréco-bouddhique du Gandhara, et une paire de figures féminines indiennes en bois sculpté du Xe siècle, aux courbes parfaites.