Aucune interview, sur aucun sujet. À la fois plein d’humour et d’une discrétion extrême, le tout nouveau président des Amis du musée national d’Art moderne s’exprime aujourd’hui pour les seuls lecteurs de la Gazette.
L’exercice n’est vraiment pas naturel pour lui. Se livrer ne serait-ce qu’un peu, libérer sa pensée, on le sent, lui est difficile. L’homme, pétillant par ailleurs, veut toujours rester maître de ses mots, de ses idées. Lorsqu’on l’interroge sur ses goûts personnels, il avoue du bout des lèvres collectionner le design, l’art contemporain et les œuvres qui l’ont marqué enfant… en ne citant aucun créateur. Tant pis ! À défaut de percer le mystère Léopold Meyer, nous en apprendrons un peu plus sur son nouveau rôle au sein de la Société des amis du musée national d’Art moderne (MNAM).
Qu’est-ce qui vous a poussé dans les bras des Amis du MNAM ?
En 2008, je rentrais des États-Unis, où j’avais étudié à l’université Columbia et eu la chance de rejoindre certains clubs d’institutions new-yorkaises. J’avais pu y rencontrer les artistes, les commissaires, les conservateurs, les collectionneurs. À mon retour en France, j’avais envie de retrouver cette atmosphère. Et le Centre Pompidou était pour moi une évidence : c’est la plus belle collection ! J’ai commencé par rejoindre le groupe Perspective.
En quoi consiste précisément celui-ci ?
Ce groupe est vraiment pour moi quelque chose d’unique en France. Il est réservé aux «jeunes» de moins de 40 ans et propose des activités tard le soir ou pendant le week-end, adaptées à la vie professionnelle des gens de cette génération. Nous avons aujourd’hui cent quarante membres. Une fois par an, ceux-ci se réunissent autour d’un conservateur du Centre pour discuter et acheter une ou plusieurs œuvres avec le montant des cotisations. Cela offre la possibilité à de jeunes amateurs ou collectionneurs de réaliser ce que font les grands groupes d’acquisition à travers le monde : créer une interaction entre les «sachants» du musée et un groupe de passionnés, et, ensemble, choisir des œuvres d’art qui auront vocation à entrer dans des collections nationales. Cela donne parfois lieu à de belles découvertes, comme lorsque Perspective a sélectionné une pièce de Christodoulos Panayiotou et que, trois ans plus tard, l’artiste a fait l’objet d’une acquisition à l’occasion du dîner des Amis. L’œuvre sera installée en début d’année au sein du musée.
Ces échanges avec les professionnels de l’établissement sont-ils importants pour les Amis ?
Je le pense. Une grande partie de nos activités, si ce n’est toutes, est organisée autour d’eux : entre mécènes et personnels du musée, mais aussi entre les collectionneurs. L’exemple du GAAC, notre Groupe d’acquisition pour l’art contemporain, constitué d’une soixantaine de membres payant une cotisation
individuelle de 500 €, et participant à l’achat d’œuvres à hauteur de 5 000 € chacun, témoigne bien de ce véritable dialogue avec les conservateurs : le Groupe propose une liste d’artistes, les conservateurs en sélectionnent six, puis les Amis et le Centre vont travailler de concert pour sélectionner les pièces qui seront soumises au vote final. Nous avons d’autres groupes d’acquisition, comme celui pour la photo ou, plus récent, un autre pour le design. Tous sont construits autour de ces interactions avec les professionnels du Centre Pompidou. Sans oublier les autres catégories d’adhésion, où chaque membre a la possibilité de s’investir véritablement dans la vie du musée et de découvrir les coulisses d’une institution fascinante. Autant de moments privilégiés pour rencontrer les différents acteurs du monde de l’art moderne et contemporain.
Comment séparer son goût propre de celui que l’on met à disposition de l’institution ?
Le fait de savoir que les œuvres que l’on choisit le seront pour une collection inaliénable donne une certaine gravité aux prises de décision. Elles sont par ailleurs réalisées collectivement, et sous l’auspice des professionnels du musée. Encore une fois, nous échangeons ensemble sur l’intégration des futures acquisitions à la collection existante et sur leur pertinence par rapport à celle-ci. Lorsqu’une œuvre est acquise par le musée national d’Art moderne, elle ne doit pas seulement faire sens de manière isolée, mais doit entrer dans la cohérence scientifique des collections. C’est une démarche complètement différente de celle d’un collectionneur privé. En revanche, je trouve extrêmement intéressant pour un privé de comprendre comment réfléchit une institution. Cela nous aide à devenir de meilleurs collectionneurs.
Comment est structurée l’association ?
Les Amis du musée emploient aujourd’hui cinq permanents, alors qu’ils étaient deux il y a seulement six ans, dirigés par Marie-Stéfane de Sercey et qui veillent aux différentes activités des neuf cents membres. À titre personnel, j’y consacre autant de temps que possible. Nous avons également un bureau, élargi mis en place par Didier Grumbach, mon prédécesseur, ainsi qu’un conseil d’administration, très actifs et volontaires pour aider le Centre Pompidou.
Au-delà de son soutien aux acquisitions, la Société des amis a-t-elle d’autres rôles ?
Nous n’avons qu’un seul objectif vis-à-vis du musée et c’est bien celui-là : faire croître ses collections. Chaque année, ce sont entre trente et quarante acquisitions qui sont portées ou rendues possibles par notre association. Cela représente plus de 1,5 M€, en progression de 20 % par an sur les dernières années. Autour de cela, nous développons des activités pour nos membres, afin de les remercier de leur générosité : faire vivre une communauté d’amateurs et de collectionneurs, les faire progresser dans leur connaissance et leur compréhension de l’art et du design, créer un lien fort entre ces membres et l’institution et faire découvrir le musée.
Que pensez-vous du développement du Centre en régions et à l’international ?
Nous sommes évidemment très fiers lorsque le musée s’exporte à Metz ou à l’étranger. Cela montre le plein rayonnement de l’institution. Notre rôle à nous est, et sera, de créer des ponts entre ces antennes et des collectionneurs locaux et internationaux. Nous le faisons d’ailleurs déjà à travers notre Cercle international. Créé en 2013 par Jacques Boissonnas, puis développé par Didier Grumbach, il représente aujourd’hui une centaine de collectionneurs, provenant de vingt et un pays. Il permet aux mécènes étrangers de découvrir ou d’approfondir leur connaissance de la richesse de l’institution, et pour celle-ci de bénéficier de l’intelligence et de la générosité de collectionneurs au-delà de nos contrées.
Certains de vos adhérents sont parfois de véritables experts. L’institution profite-
t-elle de la compétence de ses Amis ?
Nous essayons au maximum de faciliter les liens entre nos membres et le musée. Si l’on peut réussir à faire correspondre un besoin du Centre avec les compétences de l’un d’entre eux, c’est parfait ! L’une de nos administratrices, Denyse Durand-Ruel, est par exemple en charge des catalogues raisonnés de César et d’Arman. L’institution l’a naturellement contactée pour son exposition «César», qui aura lieu en décembre… même si, dans ce cas précis, le musée n’avait pas spécialement besoin de nous pour connaître Denyse Durand-Ruel !
Dans votre nouvelle responsabilité, y a-t-il des projets ou des sujets qui vous tiennent particulièrement à cœur ?
Je suis très attaché à la diversité d’âges et de parcours de nos membres. Nous nous devons de refléter les collections du musée : un monde pluriel et globalisé dans le bon sens du terme. Nous lançons par ailleurs cette année une offre «Grands donateurs», à destination des professionnels du monde de l’art. En reflet de ma situation actuelle de jeune père, je suis par ailleurs très fier de notre nouvelle offre «Famille», afin que les membres puissent venir profiter du musée avec leurs enfants et petits-enfants. Cela fonctionne très bien. L’institution est vraiment aimée par le jeune public, notamment parce que l’art contemporain est finalement très abordable pour un petit. Je suis enfin très attaché à l’idée de collection nationale. Elle appartient en effet à tout le monde et constitue le socle de notre culture.