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Le tirage photographique en question

Publié le , par Krystelle Biondi

Quels sont les critères à respecter pour authentifier des tirages photographiques et quelle responsabilité les professionnels du marché de l’art ont à leur égard ? Éléments de réponse. 

  Le tirage photographique en question

 

Le marché de la photographie, devenu de plus en plus dynamique ces dernières années, a atteint des records en 2022 avec, par exemple, la vente à New York (Christie’s) d’une photographie iconique de Man Ray, Le Violon d’Ingres (1924), pour 12,41 M$. La valeur du tirage mis en vente résidait notamment dans sa rareté (il n’en existerait que deux exemplaires), mais également et surtout son authenticité. Il était en effet signé et daté à l’encre par Man Ray, estampillé du terme « ORIGINAL » et sa provenance dûment établie. Ce n’est évidemment pas le cas de l’ensemble des épreuves écoulées sur le marché. Dans les années 1990, plusieurs tirages attribués à Man Ray se sont par exemple révélés être des faux, étant des retirages non autorisés, présentés comme d’époque alors que réalisés plusieurs années après leur prise de vue. Ces pratiques illicites érodent la confiance des acheteurs et portent atteinte à la cote des photographes. Elles rendent alors d’autant plus crucial le travail des acteurs du marché de l’art s’agissant de l’expertise de l’authenticité des tirages, dont la spécificité réside dans leur caractère facilement multipliable et la difficulté à retracer leur provenance. Pour les œuvres multiples, le critère de la notion d’« œuvre originale » s’impose. Pour les photographies, il faut se référer à l’article 98 A du code général des impôts, qui définit comme tirage original les « photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus ». Un tirage original est donc authentique, mais qu’en est-il des autres types de tirage ne remplissant pas les critères d’originalité ? Peuvent-ils être authentiques, et comment dégager cette authenticité ? En l’absence de critère légal, il faut se référer aux usages professionnels, couplés à une très rare jurisprudence.
Les critères de l’authenticité
Établir l’authenticité d’une œuvre revient à en certifier la parenté, l’endroit, l’époque, la source (« Dire l’authenticité d’une œuvre d’art », F. Labarthe, Recueil Dalloz 2014, p. 1047). En matière de photographie, la jurisprudence a pu retenir qu’un tirage est authentique lorsqu’il émane du photographe et qu’il a été réalisé sous son contrôle (TJ Paris, 29 janvier 2021, n° 17/011118) ; la décision est actuellement en cour d'appel. Un tirage authentique serait donc un tirage d’époque ou « vintage » que les usages définissent comme tiré par le photographe, ou sous son contrôle, et contemporain de la prise de vue. Cela exclurait donc les autres types, tels les retirages réalisés sans le contrôle du photographe ou tirages posthumes (réalisés à partir du négatif original), les contretypes (reproductions obtenues à partir d’une épreuve existante) ou encore les épreuves de lecture (tirages intermédiaires retravaillés par le photographe en vue du tirage final, tel un brouillon). Une ambiguïté réside toutefois sur le terme « vintage », parfois utilisé pour désigner un tirage qui semble suffisamment ancien pour apparaître comme concomitant à la prise de vue, tels certains tirages de presse. Initialement destinés à leur seule publication dans des revues ou magazines et sans valeur marchande, ils ont suscité l’intérêt dans les années 1980-1990 avec Newton, Bourdin, Klein, Ronis… ce qui a favorisé leur reproduction tardive et en dehors de tout contrôle. La plupart des tirages (originaux ou non) devraient comporter le plus souvent des mentions au dos attestant de leur authenticité (signature, tampon de l’artiste, de ses ayants droit ou d’un éditeur de presse, numéro, date, etc.) Ils sont parfois accompagnés d’un certificat d’authenticité. Certains sont quant à eux vierges de toute information et présentés en salle de vente comme des vintages authentiques. Comment s’assurer de cette authenticité lorsqu’ils sont anciens et que leur support est fragile et parfois en mauvais état ? À défaut de preuve incontestable, telle la signature du photographe au dos, il faudrait a minima respecter quatre critères. Le premier est que les opérateurs de ventes puissent s’assurer que l’attribution de paternité est avérée (à l’aide du catalogue raisonné, en consultant les ayants droit, les sources imprimées, les experts de l’œuvre du photographe, en faisant état des réserves émises par la famille, etc.). Il faut ensuite que les mentions du catalogue précisent leur provenance, sans se contenter d’indiquer, comme il est fréquent, « don manuel de l’auteur » sauf à ce que le vendeur puisse le cas échéant rapporter la preuve dudit don lors de vérifications préalables à la vente. Troisièmement, vérifier les références exactes de publication des tirages, notamment lorsqu’il s’agit de tirages de presse, afin de pouvoir prouver qu’il ne s’agit pas d’une variante du choix final du photographe. En effet, se retrouvent parfois sur le marché des œuvres qui ressemblent, à quelques détails près, au tirage publié, de sorte que ce n’est pas celui du choix définitif du photographe mais un de la série, le plus souvent tiré par des tiers non autorisés et sans que cela ne soit précisé. Il faut aussi éviter les approximations telles « circa, vers + date ». Enfin, le type de papier sur lequel ils sont tirés doit être précisé, afin d’éviter des anachronismes ; par exemple des papiers comprenant des composants chimiques qui n’existaient pas à la date présumée des tirages. On peut pour cela se rapprocher des collections de références de papier photographique, comme celle de Messier.

Comment s’assurer de l'authenticité de ces tirages lorsqu’ils sont anciens ?

La responsabilité des acteurs du marché de l’art
En cas de doute, l’opérateur de vente et l’expert qu’il s’est éventuellement adjoint doivent émettre des réserves sous peine de voir leur responsabilité engagée. Les professionnels doivent se plier à un examen méticuleux des lots et procéder à de véritables vérifications, dont ils ont tout intérêt à se ménager la preuve. Une maison de ventes a ainsi vu sa responsabilité engagée pour ne pas avoir vérifié ni pu établir avec certitude l’authenticité de plusieurs tirages mis en vente et attribués à Guy Bourdin (1928-1991). La paternité de deux des lots était fausse et plusieurs mentions du catalogue étaient approximatives ou erronées, dont les dates, ne permettant alors pas de s’assurer des conditions de réalisation des tirages. Le tribunal a dès lors considéré qu’il existait un doute sérieux sur l’authenticité des tirages, la maison de ventes ayant seule la possibilité et les moyens de vérifier leur provenance, ce à quoi elle avait renoncé. La responsabilité des experts mandatés par l’OVV a également été engagée dès lors que la paternité de deux tirages était faussement attribuée à Bourdin et qu’ils n’avaient pas assorti leur avis de réserve « faute de preuve incontestable de leur attribution » pour les autres lots. Il est donc fortement recommandé à l’ensemble des acteurs du marché de l’art d’établir a minima et avec certitude l’attribution de paternité des tirages mis en vente, mais également la preuve qu’ils ont été réalisés sous le contrôle du photographe, au besoin avec le concours des ayants droit. À défaut, il est plus prudent d’émettre des réserves. Il serait utile et également rassurant tant pour l’ensemble des professionnels que pour le marché qu’une convention unique soit adoptée pour déterminer les qualités exigées pour déclarer authentique un tirage.

Les propos publiés dans ces pages n’engagent que leur auteur.

Krystelle Biondi est membre de l’Institut Art & Droit,
avocat au barreau de Paris et médiateur. 
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