Discipline exigeante, la philatélie montre les dents grâce à ses adeptes, véritables passionnés qui cherchent, aux enchères notamment, la rareté. Et une petite part de rêve…
Depuis le 1er janvier 2023, le timbre rouge est officiellement supprimé, nouvelle étape dans une histoire longue de plus de cent-soixante-dix ans, démarrée en France sous Louis-Napoléon Bonaparte. Nous sommes alors le 1er janvier 1849 et le premier timbre-poste français, le 20 centimes noir, fait sa grande apparition, prêt à affranchir la lettre simple envoyée sur tout le territoire. C’est une petite révolution, qui a pris du temps : cela fait alors déjà neuf ans que l’Angleterre dispose du sien. Le système y est pratiqué depuis 1840, grâce à l’invention d’un petit morceau de papier gommé, à l’effigie de la reine Victoria, le black penny, collé en haut et à droite sur l’enveloppe, qui affranchit la lettre de moins de 15 grammes d’une façon suffisamment apparente pour que, de son dépôt jusqu’à sa distribution, les postiers puissent constater d’un seul coup d’œil la preuve du paiement. Personne n’imaginait alors que des amateurs s’y intéresseraient, qu’une nouvelle discipline – la philatélie – allait voir le jour, et que le timbre allait devenir un objet de collection ! Les histoires du courrier et de l’écriture sont liées. En effet, tablettes cunéiformes assyriennes retrouvées en Cappadoce mentionnent l’adresse du destinataire et le sceau de l’expéditeur. Le service le mieux organisé de toute l’Antiquité est romain, ce qui ne surprendra guère. Des relais de coureurs chargés officiellement de transporter le courrier de station en station ont été mis en place par l’empereur Auguste. Au Moyen Âge, la poste des couvents fonctionnait à pleins rouleaux ! Les rotulae mortuorum, annonçant le décès d’un père abbé ou d’une abbesse, circulaient dans tout le royaume. À chaque étape, un sceau était apposé, ce qui fait d’eux les premiers courriers avec accusé de réception. Les siècles vont défiler et le transport des courriers de mieux en mieux rouler. La «Poste aux lettres» naît en 1603, sous le règne du bon roi Henri IV, et en 1627 des tarifs d’envoi vers les principales villes sont définis, proportionnels au poids et à la distance. À l’époque, c’est le destinataire qui paye le coût relatif au transport. Financier avisé, le marquis de Louvois achète en 1668 la charge de surintendant des Postes. L’argent rapporté est une manne pour sa fortune personnelle et celle du Roi-Soleil. De fait, les coût s’avèrent souvent exorbitants. Au regard de ce long passé, l’histoire du timbre est toute récente. Elle débute lorsque l’Écossais sir Rowland Hill, après avoir été témoin d’un subterfuge amoureux – deux fiancés avaient convenu d’un code pour se donner des nouvelles sans avoir à régler les frais de port –, a l’idée d’inverser le système et de faire payer l’expéditeur grâce à une vignette collée sur la lettre.
Dentelures impériales
L’exemple britannique fut suivi par différents cantons suisses – Zurich, Genève, Bâle… –, le Brésil en 1843, les États-Unis d’Amérique en 1845, puis par la France qui, enfin, en août 1848, signe sa grande réforme postale. Il faut faire vite, les timbres devant être dans les bureaux le 1er janvier suivant, mais l’affaire n’est pas simple. Car ils doivent évoquer en un regard la République, mais sans rappeler des souvenirs trop sanglants. Jacques-Jean Barre, graveur général de la Commission des monnaies et des médailles, en a la charge. Admirateur de la statuaire grecque, il choisit le visage de Cérès, la déesse antique de la fécondité et des moissons, et le décline en noir. Très rapidement arrive le timbre à 1 franc, pour les lettres dont le poids va de 15 à 100 g. La dentelure s’impose : elle permet la séparation facile des vignettes. Très vite, Napoléon III impose son portrait, et le timbre, comme la pièce de monnaie, devient un outil de propagande. C’est le 1 franc carmin, que sa couleur va rendre fameux. 900 000 exemplaires en seront imprimés jusqu’en juillet 1854. Ce timbre sera alors retiré de la vente pour éviter une confusion de couleur avec le 80 centimes. Une paire neuve avec – détails d’importance car en ce domaine la rareté et souvent l’erreur font le prix – sa gomme d’origine et son coin de feuille avec filet d’encadrement était adjugée 33 150 € chez Copages Auction (Drouot, 21 mai 2021). Le timbre le plus cher au monde n’est pas le premier : le dernier black penny présenté – l’un des trois provenant de la première planche imprimée, la 1A, qui auraient survécu – chez Sotheby’s, à Londres le 7 décembre 2021, n’a pas été vendu. Le record est détenu par le 1 cent magenta, créé en 1856 par les services postaux de la Guyane britannique, que les collectionneurs comparent aux joyaux de la Couronne ! Le seul exemplaire connu a atteint la somme de 8,3 M$, soit 6,3 M€ (Sotheby’s New York, 8 juin 2021). Ces vignettes pionnières sont des météorites dans le ciel de la philatélie. En France, les dernières apparues dans ces hauteurs l’ont été lors de la fameuse vente Lafayette du 17 novembre 2003 (Spink & Sons, hôtel Continental), une collection qui collait à l’histoire de la philatélie française. Des 1 franc vermillon vif, tête-bêche dans un bloc de quatre, 1849-1850, y oblitéraient 924 052 €.
De l’utilitaire à l’œuvre d’art
Ces résultats stratosphériques ne rendent pas compte de la réalité d’un marché très actif, qui fonctionne plutôt avec les ventes d’ensembles et d’albums. Le 10 avril 2019, à La Salle, Normandy Auction dispersait une importante collection dont, pour 38 000 €, un ensemble présenté en un album réunissant la quasi-totalité des timbres des premières émissions entre 1849 et 1872. Pour 29 000 €, on s’offrait la même chose mais pour l’Océanie. Le 24 janvier 2020, à Drouot, chez Tessier & Sarrou et Associés, une autre collection, presque complète en neufs et oblitérés de 1849 à 1944, retenait 19 050 €. La fourchette de 15 000 à 20 000 € est assez régulière pour les séries de toutes provenances – ou destinations. Chaque timbre émis est un témoignage de la richesse des territoires et du patrimoine, reflétant au fil du temps les événements qui ont marqué l’histoire. Depuis 1944, à l’initiative du général de Gaulle, c’est une Marianne qui illustre les timbres courants, son visage changeant à chaque mandat présidentiel. Cheveux tressés ou dénoués, coiffée du bonnet phrygien ou couronnée de lauriers, cette fille des Lumières, laïque et protectrice, personnifie depuis 1792 la République, témoignant de l’histoire mouvementée de la France. Des artistes sont conviés pour lui rendre hommage. Jean Cocteau fixa ainsi la belle effigie sur un timbre de 20 centimes qui fut en usage de 1961 à 1965 puis de 1966 à 1967. Un projet aux feutres de cette participation est parti à 3 648 € chez Audap & Mirabaud en juin 2018. Fruit d’une belle collaboration d’un artiste avec La Poste, le projet à la gouache de l’Oiseau bleu de Juan Miró s’envolait littéralement, en atteignant 486 400 € en juin 2022 à Drouot chez Beaussant Lefèvre & Associés. Sur les sites spécialisés, ce timbre tiré à 6,8 millions d’exemplaires cote autour de 1,20 €. Miró a su tout réunir, l’oiseau stylisé étant le symbole du messager et de la conquête des airs, mais aussi une image de la liberté.