Épargné par les flammes, cette création unique de La Savonnerie est en cours de restauration dans les ateliers du Mobilier national, entre des mains expertes.
Face à l’immense vitre d’une salle surnommée «l’aquarium», deux restauratrices sont penchées sur un large tapis, posé à cheval sur une table, à l’envers. D’un geste vif, l’une frotte son fil de lin sur un morceau de cire et enfonce une aiguille courbe dans l’épaisse armure, pour consolider la trame horizontale. L’autre s’applique à restituer une chaîne verticale en coton dans un fond couleur lilas. À leurs pieds, roulée, patiente la partie déjà soignée. Depuis juillet, les restauratrices du Mobilier national travaillent sur le tapis de chœur de Notre-Dame de Paris. Chef-d’œuvre du XIXesiècle méconnu du grand public, cette pièce est unique dans l’histoire de La Savonnerie par sa taille (23,8 x 7,38 mètres, soit 186 mètres carrés), sa destination, son décor néogothique, ses attributs liturgiques et ses stigmates historiques. «Nous sommes dans la partie haute», précise Julienne Tsang, responsable adjointe de l’atelier de restauration (le tapis avait été tissé en quatre morceaux, rentrayés deux à deux puis en seul, ndlr). Nous avons fait à peu près 4,60 mètres, en travaillant à deux ou trois selon les besoins, ajoute-t-elle. Hormis quelques dégâts de mites, ce tapis est peu usé. La plus grande difficulté pour nous est la manutention : cette partie pèse 500 kilos. Lorsque nous avons fini de restaurer une section d’une trentaine de centimètres, nous devons solliciter les services du magasin et faire déplacer à chaque fois une dizaine de personnes, pour la soulever délicatement et tirer une nouvelle bande.»
Au chevet d'un miraculé Protégé par des coffres en bois dans lesquels ses deux moitiés étaient rangées, roulées, contre les murs de la cathédrale, le tapis de chœur a presque été épargné par l’incendie du 16 avril 2019 et l’eau déversée par les lances des pompiers. «Il n’était plus dans nos inventaires depuis longtemps, explique Antonin Macé de Lépinay, l’inspecteur des collections du Mobilier national responsable des tapis anciens. Après l’incendie, Hervé Lemoine (directeur du même établissement ainsi que des manufactures des Gobelins, de Beauvais et de La Savonnerie, ndlr) a proposé à la DRAC de l’accueillir, d’abord dans nos réserves extérieures puis ici, aux Gobelins. Le tapis n’était qu’humide, mais l’on pouvait craindre le développement de moisissures. La restauration est financée par les dons gérés par l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale, et la DRAC d'Ile-de-France reste le donneur d’ordre. Seul tapis conçu pour Notre-Dame, il n’avait pas été fait pour être utilisé souvent. Sa fraîcheur, son dégradé de couleurs, sont exceptionnels. La technique des tapis de La Savonnerie, à points très serrés, et l’utilisation dans certains motifs de quatre fils de couleurs différentes dans chaque point permettent un fondu extraordinaire sur l’endroit, sans aucun effet de pixellisation.
À la préciosité des motifs, on reconnaît tout de suite le dessin de Saint-Ange.» Jacques-Louis de La Hamayde de Saint-Ange, dessinateur du Garde-Meuble de la Couronne, avait en effet été sollicité afin de réaliser le dessin du tapis de chœur, commandé en mars 1825 pour les jours où Charles X assistait aux offices de Notre-Dame en grande cérémonie. Il avait proposé pour la partie haute une grande croix à fond blanc, surmontée d’un semis de fleurs de lys, bordée de diamants et d’or ainsi que d’arabesques au couleurs éclatantes. Au centre de la croix figuraient les armes de France, surmontées du chiffre royal, et au-dessous un entrelacs de feuilles de vigne et des cornes d’abondance débordant de fruits et d’épis. Dans la partie basse, l’artiste avait placé une châsse dans le style néogothique à la mode du temps. Entre une mitre, une tiare papale et les différents attributs liturgiques se dressait à l’intérieur un tétramorphe, cette représentation des quatre Évangélistes sous leur forme allégorique, comme il en existe tant dans la statuaire des cathédrales. De bas en haut, on reconnaît ainsi le taureau de saint Luc, le lion de saint Marc, l’ange de saint Matthieu et, les ailes déployées, l’aigle de saint Jean. Le 15 septembre 1825, les lissiers s’attellent à la fabrication du tapis de velours sur le plus grand métier de La Savonnerie, installée depuis deux cents ans sur la colline de Chaillot, dans les bâtiments d’une ancienne fabrique de savon. Mais le 15 janvier 1826, l’atelier déménage pour rejoindre les autres manufactures royales aux Gobelins, au bord de la Bièvre. Le métier est démonté et le tissage de l’ouvrage reprend à la fin du printemps, sur deux puis trois métiers, et même un quatrième à partir de janvier 1828.
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