À l’occasion de la parution d’un ouvrage de référence sur l’hôtel des Invalides, entrons dans ce temple de l’architecture, symbole des gloires françaises.
Gigantesque vaisseau de pierre reposant majestueusement à l’extrémité d’une solennelle esplanade, l’hôtel des Invalides ne peut passer inaperçu dans le paysage parisien au dense tissu urbain. Pour autant, combien connaissent véritablement le prestigieux édifice, servant d’écrin au dynamique musée de l’Armée et abritant le tombeau de Napoléon Ier ? Exceptionnelles, son architecture et son histoire méritent que l’on s’attarde en ce lieu, souvent trop rapidement traversé. Un ouvrage lui rend hommage, sobrement titré L’Hôtel des Invalides. Première publication d’envergure consacrée au monument depuis 1974, il fait le point sur nos connaissances. Des photographies inédites de Philippe Abergel, associées aux plans, documents d’archives et tableaux anciens, dévoilent toutes les facettes de ce lieu de mémoire à travers les siècles.
Une architecture symbolique
Pour l’anecdote, le photographe a exceptionnellement pu prendre position à l’aplomb de la coupole, autrement dit sur le tombeaude Napoléon, afin d’obtenir l’image du dôme et des fresques de Charles de La Fosse tels qu’on pouvait les voir au temps de Louis XIV. Un cliché à ne pas manquer, mis en valeur par une planche dépliante. Afin d’apprécier toute la richesse du complexe architectural, à la fois sanctuaire des vieux soldats, symbole royal et divin, emblème du patrimoine militaire, nécropole et haut lieu cérémoniel, rien de tel que de suivre l’axe voulu par son commanditaire, le Roi-Soleil. Accompagné par l’historien Alexandre Gady, le général de division Christian Baptiste, gardien du lieu et directeur du musée de l’Armée, nous a invités à le suivre dans cette découverte, jusque dans les endroits les plus inaccessibles. Il nous a ainsi ouvert son bureau, dont le plafond conserve un modello de la fresque du dôme par de La Fosse, montrant Saint Louis en manteau de sacre remettant ses armes au Christ. Tout est résumé dans cette alliance du trône et de l’autel : la construction des Invalides est à la fois une œuvre royale et chrétienne. Après vingt-neuf années de guerre, mobilisant quelque 300 000 hommes rémunérés pour une population de 16 millions de personnes contre environ 200 000 soldats aujourd’hui pour 66 millions d’habitants , Louis XIV se devait de rendre hommage à ses troupes. En 1670, il choisit l’architecte Libéral Bruand pour édifier des bâtiments livrés seulement cinq ans plus tard. Une prouesse. Sobriété et solennité s’associent avec un équilibre parfait pour mettre en scène une progression symbolique, de la royauté vers le divin. Depuis la Seine, les 600 mètres d’esplanade donnent le recul nécessaire pour apprécier le grandiose de la façade. Son pavillon central en arc de triomphe s’ouvre en portail au-dessous des trois baies du grand salon monumental et couvert de voussures à l’italienne , lui-même surmonté par l’effigie de Louis le Grand, chevauchant tel un imperator.
Deux architectes
On accède ainsi à la cour royale. Puissante, mais sobre, l’architecture témoigne de l’aspect fonctionnel de cet espace, où évoluaient les pensionnaires de l’hôtel à vocation militaire, sociale et hospitalière : arcades et balustrades soulignent les façades, seuls les oculi des toitures recevant un décor de trophées. Dans ce «cloître militaire», comme le qualifie Châteaubriand, seule l’église des soldats rompt ce bel ordonnancement, avec son avant-corps rythmé par les ordres antiques. Elle n’est pas due à Libéral Bruand, confronté aux atermoiements du roi, mais à Jules Hardouin-Mansart. En 1676, à tout juste 30 ans, il a su emporter la décision du monarque avec sa proposition d’église dédoublée. L’ambigüité de ce choix a longtemps dérouté les historiens de l’architecture, tant les édifices brouillent les pistes, disposant chacun d’une façade, semblant séparés et se raccordant mal, vus de l’extérieur. Autonomes, ils fonctionnent cependant de concert, comme ont permis de le comprendre les archives détaillées du chantier, conservées à l’Institut de France. Mansart a pour ainsi dire renversé le plan de Saint Louis des Invalides : depuis la façade donnant sur la plaine de Grenelle, on accède à la nef de l’église à plan centré du dôme royal, alors séparée du «chœur des soldats» aujourd’hui église des soldats par un autel à double face.
Un dôme pour emblème
Deux architectures pour deux fonctions. Édifié en priorité, le lieu de culte des vétérans accueillant la crypte des gouverneurs voit son dépouillement compensé par son admirable stéréotomie, mise en valeur par la douceur de la pierre jaune de Saint-Leu. Des pilastres ponctuent sa triple élévation, soutenant sa longue voûte en plein cintre à lunettes, et ses tribunes couvertes en anses de panier. Bien que Louis XIV soit présent à travers ses fleurs de lys, la royauté s’incarne véritablement dans le dôme. Complexe et dispendieux, pas plus nécessaire aux Invalides qu’une cinquième roue à un chariot selon Vauban, l’édifice est une démonstration de puissance à l’échelle de l’Europe. Chaque pays rêve alors d’une église à dôme. Si Saint-Pierre de Rome reste la référence, on pense pouvoir surpasser Saint-Paul de Londres, dont le chantier se déroule en parallèle. Les Français termineront effectivement les premiers, en 1706, mais les Anglais en profiteront pour dépasser de trois mètres notre flèche fleurdelisée faisant référence à la Sainte-Chapelle, culminant tout de même à 107 mètres. Une autre raison est avancée pour expliquer ce caprice royal : Louis XIV aurait souhaité faire de l’église du dôme le nouveau sépulcre de la dynastie. Des documents anciens parlent d’ailleurs de «chapelle pour les morts». Si le débat reste ouvert, l’église est bel et bien devenue un tombeau avec le retour des cendres de Napoléon Ier en 1840, à la demande de Louis-Philippe. Pour placer son sarcophage, un concours d’architectes est lancé, réunissant 82 projets. Moins interventionniste et destructeur que les autres, celui de Visconti est retenu. Il place le tombeau dans la crypte, par respect pour Mansart, mais doit tout de même détruire le pavement de Louis XIV, empêchant désormais de se tenir idéalement au centre de l’édifice.
Entre terre et ciel
On admire malgré tout la mise en scène des difficultés architecturales par Mansart : le plan en croix grecque inscrit dans un carré, auquel se superpose la croix de saint André, formée par les chapelles s’ouvrant derrière les piles soutenant le dôme. Celles-ci sont percées malgré leur épaisseur, et allégées par une perspective née de l’ajout de deux colonnes décoratives, sous un entablement servant de tribune aux musiciens. La première coupole s’ouvre sur la seconde, accueillant la fresque de Charles de La Fosse éclairée par des fenêtres invisibles depuis le sol, elle-même couverte par un troisième dôme. L’extérieur est tout aussi impressionnant. Depuis le toit dallé de pierre de l’église, non loin du graffiti d’un pilote de la RAF caché ici-même à la barbe des Allemands par le résistant Georges Morin, on prend toute l’ampleur du chantier des Invalides. Son architecture «en grille» a été édifiée dans une plaine maraîchère de 15 hectares en bordure de Paris, stratégiquement placée entre la Seine acheminant matériaux et denrées, et le bois de châtaignier de l’actuelle avenue de Breteuil. Leur forêt de troncs anime désormais, notamment, la charpente en coque de bateau renversée de l’église des soldats. Les Invalides sont décidément pavés de surprises…