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Le Salon du dessin, un nouveau souffle

Publié le , par Vanessa Schmitz-Grucker

Référence mondiale pour les amateurs de belles feuilles, le Salon du dessin revient à ses dates de printemps, avec une 31e édition placée sous les auspices, entre autres, de l’Italie et de la Suède.

Simon Vouet (1590-1649), Étude pour une figure d’Hercule filant, pierre noire et... Le Salon du dessin, un nouveau souffle
Simon Vouet (1590-1649), Étude pour une figure d’Hercule filant, pierre noire et rehauts de craie blanche sur papier beige, 40 26 cm (détail). Galerie De Bayser. © Galerie de Bayser, Paris

L’an passé, c’était La Chouette effraie par Nicolas Robert (1614-1685), provenant de la collection Rosenberg, qui fixait droit dans les yeux les visiteurs venus nombreux au palais Brongniart. Tout aussi hypnotique est son Papaver somniferum sur l’affiche de cette 31e édition du Salon du dessin de retour à ses dates historiques, du 22 au 27 mars. Il faut dire que le fonds de la bibliothèque du Muséum national d’histoire naturelle – dont l’œuvre est issue – regorge de vélins plus enlevés les uns que les autres de ce graveur naturaliste. Son trait d’une déconcertante modernité réconcilie deux tendances qu’on croirait opposées, celles du dessin ancien et du moderne. Au Salon, il n’en est rien. Si le goût des Anciens continue de mener la danse, profitant même d’un certain regain d’intérêt de la part des collectionneurs, le dessin moderne s’y fait une place toujours plus influente. Cette évolution n’est pas étrangère à l’acception du médium comme art protéiforme et autonome, une approche notamment permise par les seize éditions de la foire Drawing Now et par des lieux pionniers comme le Drawing Center de New York, l’un des premiers à faire dialoguer dessins historiques et contemporains. Les feuilles du XIXe, de la période moderne et contemporaine représentent désormais – grâce à l’arrivée de la Suisse Bailly Gallery et des Français Alexis Pentcheff, Dina Vierny, Françoise Livinec et Fabienne Fiacre – un tiers des marchands. Avec un nombre inchangé de trente-neuf exposants, dont une importante proportion de galeries étrangères (dix-huit venant de huit pays différents), cette édition 2023 se singularise aussi par l’entrée de neuf nouveaux noms, dont la moitié sont étrangers. La venue de deux galeries milanaises, Bottegantica et Cortona, porte à cinq le nombre d’exposants italiens. La new-yorkaise Zeit Contemporary Art rejoint les trois autres enseignes américaines qui feront le déplacement après une absence très remarquée pour cause de pandémie : l’occasion pour le Salon du dessin de réaffirmer sa dimension internationale.
 

Luca Giordano (1634-1705), Le Repas chez Simon avec sainte Marie-Madeleine, plume et lavis d’encre brune sur esquisse à la pierre noire, m
Luca Giordano (1634-1705), Le Repas chez Simon avec sainte Marie-Madeleine, plume et lavis d’encre brune sur esquisse à la pierre noire, mise au carreau, 43,1 43,1 cm. Galerie Tarantino. © Galerie Tarantino, Paris

Le dessin ancien, toujours plébiscité
Si cette dernière décennie a été marquée par l’explosion du marché du dessin contemporain, et de celui du XIXe et des modernes, l’ancien n’a rien perdu de son prestige et semble même amorcer un retour en grâce : « Un phénomène est en train de se produire : il y a dix ans, lorsque je disais que je vendais des dessins anciens, les gens tournaient la tête, aujourd’hui ils me demandent l’adresse de ma galerie », remarque Nathalie Motte Masselink qui présentera notamment un Jeune homme vu à mi-corps regardant au-dessus de son épaule droite par Giovanni Francesco Barbieri, dit le Guerchin (1591-1666). Des modelés, des dégradés et des lumières qui, selon la galeriste de la rue Jacob, séduisent désormais jusqu’aux amateurs d’art moderne qui les incluent, de plus en plus, dans des intérieurs contemporains. « Alors que les collectionneurs d’antan conservaient les feuilles dans des cartons, ceux d’aujourd’hui les accrochent au mur », enchérit Hervé Aaron, l’un des fondateurs de l’événement et son président pendant quatorze ans. Il est vrai qu’avec un nombre fini – et limité – de pièces en circulation, conjugué au fort appétit de grands musées comme le Metropolitan ou le Getty Museum, le dessin ancien n’est pas toujours facile à approcher. Mais ne nous y trompons pas, il y a non seulement encore des découvertes à faire et des feuilles à identifier, mais aussi, selon Daniel Thierry, président des Amateurs de dessin des beaux-arts de Paris, des « petits maîtres provinciaux » qui méritent toute l’attention des jeunes collectionneurs : « Il vaut mieux acheter un très beau dessin d’un petit maître confidentiel, qu’un dessin moyen d’un grand nom », conseille-t-il. Le Salon du dessin est justement l’occasion de remettre en lumière ces artistes oubliés. Benjamin Peronnet montre l’exemple avec une sanguine de Charles-Alphonse Dufresnoy, un artiste de l’entourage de Poussin redécouvert récemment. L’Adoration des mages qu’il présentera a été trouvée sous une autre attribution, puis identifiée grâce à deux dessins dans des musées et un tableau perdu de l’artiste, connu par une illustration en noir et blanc publiée dans un catalogue de vente du début du XXe siècle. Plus grande et d’une facture plus achevée que les deux autres, cette feuille permet d’aborder une nouvelle facette de l’œuvre dessiné de Dufresnoy.
 

© Photo Alain Delorme
© Photo Alain Delorme
Trois questions À
Hélène Mouradian


Historienne de l’art, à la tête de l’organisation du Salon du dessin depuis 2006.

Quels sont les enjeux de cette édition 2023 ?
En revenant à nos dates historiques de mars, nous espérons renouer avec le visitorat de 2019, soit 14 000 visiteurs, mais aussi avec les collectionneurs et conservateurs américains. L’absence de ces derniers, en raison des aléas de la pandémie, a été fortement remarquée. Pour cette édition, près de la moitié de nos marchands viennent de l’étranger, ce qui est une très bonne nouvelle. En réinstallant l’événement sur ses dates, on relance sa dimension internationale et le statut, pour Paris, de capitale du dessin.

Quelles évolutions notables y percevez-vous ?
Lors des premières éditions, il y avait une présence forte des galeries anglaises. Mais avec le Brexit, le marché a glissé progressivement vers l’Italie, du simple fait, parfois, que ses acteurs ont déplacé leur activité de Londres vers d’autres pays, notamment par-delà les Alpes, à l’image de Jean-Luc Baroni, pilier du salon. Du reste, on ne change pas une recette qui marche. On ne cherche pas à transformer ce salon, on est plutôt, d’année en année, dans une évolution subtile. Les visiteurs viennent chercher une âme, une ambiance intimiste qu’on essaye de faire perdurer.

Que révèlent les feuilles présentées cette année sur les tendances actuelles et le marché ?
On note un regain d’intérêt pour le dessin ancien, mais le moderne a aussi le vent en poupe. Ce médium correspond à la sensibilité de notre époque, où l’image occupe une place fondamentale. Par ailleurs, le salon regorge de grands noms, ce qui rassure le collectionneur. C’est aussi un support prometteur depuis qu’il s’est détaché de son image d’œuvre secondaire, non finie, d’ébauche, d’études préparatoires. C’est très évident dans le dessin italien, qui témoigne d’une grande maîtrise du geste. Je pense notamment au Giordano emmené par la galerie Tarantino ou au Parmigianino  de chez Baroni. Cette maîtrise du dessin, on la retrouve aussi chez les Français, par exemple dans le Simon Vouet présenté par De Bayser. Nous avons aussi de belles feuilles venues de Suède chez Benjamin Peronnet et la galerie Grand-Rue, notamment un Carl Larsson dans l’air du temps. D’une manière générale, la proposition en dessins modernes reste assez stable. Pour 2023, ce sont surtout les artistes italiens qui s’imposent et se démarquent.


Des greniers à dessins
L’importance des donations aux musées – le fonds de dessins de la National Gallery à Washington, par exemple, repose essentiellement sur dix grandes collections qui lui ont été généreusement cédées ces dernières années –, au détriment de leur dispersion aux enchères, a probablement joué un rôle dans l’apparente désaffection des collectionneurs. Mais pour Daniel Thierry, il y a également un changement de goût, voire une nouvelle approche. « Il y a vingt ans, c’était très facile de mobiliser sur une feuille d’Hubert Robert. C’est aujourd’hui beaucoup plus compliqué, notamment aux États-Unis où le XVIIIe siècle français est quelque peu délaissé. Nombreux sont ceux partis à la recherche du nouvel Andy Warhol dans le dessin contemporain, dans une logique d’investissement spéculatif », observe celui qui est aussi un grand collectionneur. Existent pourtant encore de beaux « greniers à dessins », pour reprendre son expression. La France est probablement, avec l’Italie, le plus grand de ces réservoirs et le Salon perdure aussi grâce à ses trouvailles parfois inattendues. C’est le cas de celle du Courbet présenté par Ambroise Duchemin, qui concède aussi que nombre de dessins « dorment pendant des années » en attente d’éléments nouveaux permettant d’étayer une attribution : « Pour cette œuvre de Courbet, j’avais étudié les dessins préparatoires du Louvre et j’ai reconnu la technique, le style et le format absolument identiques. » Reste qu’il est aujourd’hui délicat de présenter un ensemble exclusivement ancien, une difficulté qu’a bien identifiée Benjamin Peronnet, lequel, faisant le constat que « ce ne sont pas les acheteurs qui manquent mais bien les œuvres », est allé chercher une bouffée d’air frais du côté du dessin suédois autour de 1900. Il défend également cette spécialité dans sa galerie de la rue Louvois pendant le salon, où il présente entre autres une encre et mine de plomb de Gustaf Tenggren, connu pour sa production, entre 1936 et 1939, pour Walt Disney. « Dans le dessin ancien, on est tributaire de ce qu’on trouve, alors que là, tout est à construire. Les amateurs de feuilles anciennes ne sont pas fermés, Pierre Rosenberg lui-même a acquis le premier dessin suédois que j’avais acheté. » Marie-Laure Rondeau, de la galerie Grand-Rue, a choisi une scène intimiste du Suédois Carl Larsson, célèbre pour ses aquarelles inspirées de sa vie quotidienne et familiale dans une campagne scandinave bucolique, rythmée par les saisons. La galerie Michel Descours, qui défend principalement des artistes lyonnais, vient présenter un Paysage de neige Ljusterö (1909) d’Oskar Bergman. Albert Marquet (1875-1947) avait aussi cédé à l’appel du Nord. Il laisse, exécutée lors de son séjour en Norvège en 1925, une aquarelle du Port de Tromso, à retrouver sur le stand de la galerie Berès. Pour tous les professionnels, la place et le succès grandissant de ce médium témoignent indéniablement de la grande diversité du public du Salon du dessin et de la remarquable curiosité des collectionneurs, sensibles à la nouveauté.
 

Giovanni Francesco Barbieri, dit le Guerchin (1591-1666), Jeune Homme vu à mi-corps regardant au-dessus de son épaule droite, plume et enc
Giovanni Francesco Barbieri, dit le Guerchin (1591-1666), Jeune Homme vu à mi-corps regardant au-dessus de son épaule droite, plume et encre brune, 22,2 x 18,5 cm. Galerie Nathalie Motte Masselink. © Galerie Nathalie Motte Masselink, Paris
Carl Olof Larsson (1853-1919), Jeune Fille assise, aquarelle sur trait de crayon, rehauts de gouache, monogrammée, 35,5 x 25,4 cm. Galerie
Carl Olof Larsson (1853-1919), Jeune Fille assise, aquarelle sur trait de crayon, rehauts de gouache, monogrammée, 35,5 25,4 cm. Galerie Grand-Rue, Marie-Laure Rondeau.



à savoir
Salon du dessin
Du mercredi 22 au lundi 27 mars
Palais Brongniart, place de la Bourse, Paris II
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