Un bouffon, certes, mais pas seulement : ce drôle d’individu personnifie un proverbe néerlandais bien utile au quotidien… Sous le pinceau du mystérieux Maître de 1537, l’art de Jérôme Bosch reprend vie.
Un caractère bien affirmé, la maîtrise du cadre, le goût du dépassement des conventions… Malgré la singularité de cette œuvre, l’absence de signature ne permet pas d’assurer sa paternité. On l’a rattachée au corpus du Maître de 1537, peintre actif à Malines entre 1520 et 1570 qui doit son surnom à la datation d’une Sainte Famille attribuée à son talent. Jaco Rutgers, le spécialiste actuel de l’œuvre gravé de Rembrandt, croit reconnaître, à travers la main du Maître de 1537, celle de Frans Verbeeck (vers 1510-1570). Lui aussi actif à Malines, il s’est fait une renommée des « diableries » exécutées dans la veine de Jérôme Bosch, des noces villageoises, et plus généralement des allégories moralisatrices ou satiriques, incitant les spectateurs issus de la noblesse et de la bourgeoisie marchande, alors en pleine expansion, à méditer leurs comportements. Bien que la maison Koller rapproche stylistiquement le Maître de 1537 de Jan Sanders Van Hemessen (1500-1566) et Pieter Coeck Van Aelst (1502-1550), le premier s’en distingue et développe un style très personnel, caractérisé par des traits du visage exagérés, des poses extravagantes, des compositions originales et une dimension satirique. Des qualités qui se dévoilent également dans les deux autres versions connues du portrait de Bouffon : l’une en mains privées, l’autre conservée au Davis Museum du Wellesley College (EU). L’université de Leyde possède, en outre, une gravure à laquelle la version figurant au catalogue de Koller aurait servi de modèle. L’iconographie du bouffon, ou fou du roi, n’est pas rare dans la peinture flamande du XVIe siècle : on la retrouve par exemple chez Quentin Metsys et Lucas de Leyde. Ici, cependant, il impose une double originalité : d’une part, sa figure concentre toute la composition ; d’autre part, il met en image un proverbe néerlandais signifiant littéralement « regarder le monde à travers ses yeux ». Une expression encore en usage de nos jours qui invite à retirer ses lunettes, afin de prendre ses distances avec ce qui va mal ici-bas, dans le but de se protéger soi-même.