Ce 55e opus était des plus attendus car il sonne la fin d’une aventure débutée le 20 décembre 2017 à Drouot.
Une véritable épopée qui se conclut sur un bouquet final de près de 7 M€ – 6 885 574 € exactement –, et Claude Aguttes reconnaissait une certaine émotion. Il faut dire que pour ce programme intitulé, «Deux mille ans d’écrits : du papyrus au livre imprimé» (voir l'article Collections Aristophil, derniers fleurons, page 63 de la Gazette n° 40), quelques fleurons avaient spécialement été réservés. Des trésors de papier, menés par cette première édition du plus célèbre texte scientifique de celui qui ne fit rien de moins que révolutionner la conception de l’univers : De revolutionibus orbium coelestium, de Nicolas Copernic. Illustré de lettrines et de 148 figures dans le texte, cet ouvrage, publié quelques jours avant la mort de l’astronome, ne suscita à l’époque que peu de débats – ce n’est qu’en 1616 que la théorie de l’héliocentrisme fut mise à l’index. Tout cela valait bien les 606 576 € déposés pour l’emporter.
Imprimés et antiques
Cette dispersion nous renvoyait aux premières heures de l’impression en Allemagne, qui elle aussi à sa manière représenta une grande révolution. Parmi les neuf lots à s’envoler au-dessus de 200 000 €, on trouvait à 429 658 € une première édition de la version augmentée des lettres et traités de saint Jérôme donnée par Peter Schöffer (1425?-1503?), le principal associé de Gutenberg. Cette impression sur vélin est luxueusement enluminée dans deux ateliers : le premier dépendant du Waldburg-Wolfegg Hausbuch et du pontifical de l’archevêque de Maxence Adolf de Nassau, le second lié à l’un des artistes du Virgile de Heidelberg. Cet exemplaire dit «Doheny» compte parmi les plus belles réalisations des débuts de l’imprimerie à Mayence. 353 836 € revenaient ensuite à un incunable, la Biblia latina d’un élève de Gutenberg, Heinrich Eggestein (vers 1415-1488), dont elle est le premier livre imprimé (reproduite page de droite). Cet Alsacien, après des études à l’université de Louvain, fut avec Johannes Mentelin l’un des premiers imprimeurs et typographes de Strasbourg, où sa présence est attestée dès 1438. Cette bible fait partie des monuments de l’histoire de l’imprimerie, publiée environ dix ans après celle de Gutenberg, qui lui servit de modèle. L’Épître de Paul aux Romains, rédigée entre la fin du Ve et le début du VIe siècle et provenant du monastère Sainte-Catherine du Sinaï, retenait 299 000 €. Il s’agit d’un fragment sur parchemin couché en syriaque provenant d’un important codex biblique, disparu depuis longtemps, nommé la Peshitta. Il n’a pas été produit dans le scriptorium du célèbre monastère fondé par l’empereur Justinien entre 527 et 565, mais y fut probablement apporté – comme nombre d’autres – au cours du VIIe siècle par des chrétiens fuyant les invasions arabes.
Dix préemptions
Les préemptions saluant l’ultime chapitre, au nombre de dix, portent le total d’acquisitions par ce biais à 335 ! La BnF n’a pas été la moins présente lors de ces salves. Cette fois, elle agissait pour le compte de son département Cartes et plans sur un atlas nautique manuscrit, un document classé trésor national. Compilé par un Marseillais nommé Honoré Boyer en 1648, ce portulan (reproduit page 186) gagnait l’institution parisienne pour 266 500 €. Son auteur est inconnu et absent de tous les répertoires spécialisés : il s’agissait peut-être d’un amateur qui, en puisant ses sources dans des atlas espagnols, portugais et italiens, a commis ce petit chef-d’œuvre, un unicum dont la place à la Bibliothèque nationale n’est que justice. Il rappelle aussi que la cité phocéenne était au XVIIe siècle l’un des centres les plus importants pour la production de cartes marines, ces documents indispensables à tout navigateur de l’époque. Le ministère des Armées emportait à 58 500 € un manuscrit autographe des trois nouvelles d’Alfred de Vigny (1796-1863) formant le titre Servitude et grandeur militaires (1833-1835), la bibliothèque de l’Institut de France s’offrant Pierrette. Scène de la vie de province d’Honoré de Balzac (1799-1850) pour 42 965 €. La bibliothèque municipale d’Évreux acquérait à 14 300 € un livre d’heures à l’usage de sa ville et les Archives départementales de la Haute-Marne, un manuscrit de Robert de Bourgogne pour 8 060 €. Pour conclure cette dernière salve, Les Conquêtes ou Batailles de l’empereur de la Chine gravées sous la direction de Charles-Nicolas Cochin entre 1769-1774 sont tout indiquées. Cet in-folio comprenant la suite complète – en premier tirage – des seize estampes commandées à la France par Qianlong pour célébrer ses victoires militaires, emportait 214 829 €.