Plus discret que d’autres techniques, le procédé du calotype a pourtant ouvert la voie à la photographie moderne. Mise au point nécessaire de sa beauté intrinsèque, révélée par les négatifs sur papier ciré.
En grec ancien, kalos signifie «beau» et typos, «impression». C’est en partant de ces mots que William Henry Fox Talbot (1800-1877) nomme son invention du procédé négatif/positif. Les épreuves qui en découlent sont des photographies sur papier salé. Pour les réaliser, il a fallu l’emploi du négatif papier. Méconnu du grand public et peu prisé car considéré comme épreuve intermédiaire aux tirages , il sera pendant plus d’un siècle relégué dans les tiroirs de l’histoire de l’art. Le calotype en est sorti pour une exposition à la Bibliothèque nationale de France, à l’hiver 2010-2011, assortie d’une publication de référence et richement illustrée, sous la direction de Sylvie Aubenas et Paul-Louis Roubert. Plus récemment, deux ventes aux enchères viennent de remettre en lumière la beauté du négatif papier, floue et éclatante à la fois, chez Millon le 8 novembre 2016 et chez Ader, le 12 du même mois. La seconde comprenait un ensemble de treize négatifs de Julien Vallou de Villeneuve (1795-1866) provenant de l’ancienne collection du baron Louis Adolphe Humbert de Molard (1800-1874), lui-même calotypiste ; ils étaient raisonnablement estimés entre 1 500 et 3 000 €. Pour les plus beaux, des nus féminins mis en scène telles des odalisques, les collectionneurs se sont battus jusqu’à plus de 30 000 €. La vacation menée par la maison Millon comportait pour sa part cent quatorze négatifs sur papier ciré et tirages albuminés de François Joseph Édouard de Campigneulles (1826-1879), rapportés pour soixante-quatre d’entre eux de son «grand tour» au Moyen-Orient, en 1858. De par la modernité de leur prise de vue et leur qualité incontestable, ils attachent leur auteur à la liste des grands «Primitifs» de l’histoire de la photographie française du XIXe siècle, ainsi que Nadar les qualifiait dans ses Mémoires. La spécialiste Sylvie Aubenas souligne «l’extrême qualité de ses compositions, la remarquable finesse de détails de ses négatifs sur papiers cirés» et voit dans son travail la grande influence de Gustave Le Gray.
Un grand pas pour la photographie
En matière de clichés, il convient d’être précis. Le calotype est le premier procédé photographique associant le couple négatif/positif. Par la possibilité de multiplier les tirages à partir d’un négatif nommé plus justement à l’époque « cliché négatif » , il porte en lui rien de moins que l’avenir de la photographie. L’Anglais Talbot l’ayant mis au point en 1841, il apparaît en France presque en même temps que le daguerréotype positif direct sur plaque argentée. Coïncidence fâcheuse pour lui, puisqu’il ne sortira pas vainqueur de cette comparaison et ne connaîtra aucune exploitation commerciale. Le calotype se fabrique en baignant le papier dans une solution saline, avant de le sensibiliser à l’aide de sels d’argent. Après exposition et traitement, il suffit de mettre en contact le négatif avec un papier sensibilisé, dans un châssis-presse, et d’exposer l’ensemble à la lumière pour obtenir un positif. Grâce à Hippolyte Bayard, Louis Désiré Blanquart-Évrard ou encore Gustave Le Gray, tous conscients de son extraordinaire singularité, il se répand néanmoins. Le Gray travaille dès le début des années 1850 à aller plus loin, grâce à la mise au point de l’invention du négatif sur papier ciré. Il le décrit ainsi, en 1852 : «Le procédé que je mets en tête de cet ouvrage, sous le titre de procédé sec, est celui à l’aide duquel j’opère quotidiennement. Je le recommande tout spécialement à l’attention des amateurs de photographie, comme donnant les résultats les plus complets, tant pour la facilité des manipulations que pour la beauté des épreuves.» En effet, il détient le pouvoir de conserver le papier sensible pendant plus de quinze jours avant de le passer à la chambre noire. Cette idée géniale est venue à Le Gray par le plus grand des hasards. Dans son atelier, un pain de cire blanche est posé par mégarde sur la boîte à brome ; le pain se couvre de vapeur de brome et, oh stupeur !, imprime la silhouette de la pièce dans laquelle il se trouve. Aussitôt, le photographe frotte de cire une feuille de papier et obtient un semblant d’image… L’invention va révolutionner la photographie de voyage, puisqu’elle permet de préparer à l’avance des négatifs faciles à transporter. Au printemps de 1851, Le Gray la présente à la Société héliographique et, le 8 décembre, il dépose un brevet «pour un genre de papier préparé pour la photographie». L’année suivante, accompagné de son élève l’égyptologue-photographe John Beasley Greene (1832-1856), il part en forêt de Fontainebleau. Deux clichés passés en vente chez Binoche et Giquello en novembre 2016 racontent cet épisode. Un exercice de photographie prenant pour sujet des arbres, planté à 10 160 €, et les tentes des deux magiciens sur le second, pour 14 605 €. L’élève partira pour l’Égypte l’année suivante. Il laissera en à peine trois années des œuvres énigmatiques, qui connaîtront un grand succès 48 750 € pour la photo d’un tombeau exhumé et 32 950 € pour des moucharabiehs au Caire, chez Sotheby’s à Paris, en novembre 2008. À son décès, ses négatifs échoient à son ami archéologue et comme lui adepte du calotype, Théodule Devéria (1831-1871).
Une lente mise en lumière
En mai 2011, la maison Leclere découvrait un ensemble de cent quatorze négatifs papier montrant des vues de Rome, prises par un photographe anonyme, et le proposait à la vente. L’auteur s’identifiait par ces deux seules initiales inscrites à l’encre : «C.l». Ainsi que le mentionnait l’expert, Paul Benarroche, cette trouvaille constituait un moment important pour les historiens, spécialistes et collectionneurs du médium. Tous étaient au rendez-vous, puisque l’ensemble était adjugé à 218 200 € et le capitaine Louvel retrouvait son identité parmi les grands primitifs de la photographie. Le marché a évolué. Il y a dix ans encore, les amateurs étaient peu nombreux à s’intéresser à ce support. Christophe Goeury a vu les lignes bouger lors d’une vente chez Millon, en mai 2005, comprenant un ensemble de vues captées par Louis-Alphonse Davanne (1824-1912) lors de son voyage à Rome. Elles partaient entre 2 000 et 3 000 €. Un tout premier frémissement, qui a pris de l’ampleur et enfle régulièrement. Le négatif sur papier ciré est comme une œuvre originale, c’est lui qui au contact du sujet l’imprime et en conserve le souvenir, lui encore qui le restitue dans sa vérité presque vraie, mais avec ce flou caractéristique lui conférant un petit supplément de charme et d’âme, auquel le goût d’aujourd’hui est très sensible. La lecture se fait plus intime. Explorée par des artistes dont le trait commun était de partager la même croyance dans la dimension artistique de ce nouveau médium, la photographie connaît un véritable âge d’or autour des années 1850, avant de prendre son essor commercial dans les décennies suivantes. C’est cette histoire courte, mais ô combien passionnante que le calotype révèle.