La première rétrospective consacrée en France à ce peintre méconnu permet de réévaluer son œuvre et de faire d’étonnantes découvertes.
Au musée de Flandre, à Cassel (Hauts-de-France), le Portrait de Philippe IV d’Espagne avec un nain et un écuyer (Madrid, ministère des Affaires étrangères et de la Coopération) et le Portrait de Philippe IV d’Espagne en armure de parade (New York, The Metropolitan Museum of Art) sont exposés côte à côte. Si le premier est mentionné dans les inventaires du XVIIe siècle sous le nom de Gaspar de Crayer, le second a été légué en 1944 au musée new-yorkais comme le «portrait d’un roi, dans la manière de Zuchero». Il y a tout lieu de croire que l’œuvre et son pendant avec lequel elle est entrée au Metropolitan, et aujourd’hui considéré comme le Portrait de Doña Marianna Stampa Parravicina, condesa di Segrate par un anonyme espagnol se confondent avec le Portrait de Philippe IV et le Portrait d’une infante précisément décrits, à quelques centimètres près, dans le catalogue de la vente après décès de la princesse Mathilde Bonaparte, en 1904 (nos 78 et 79). Cette nouvelle proposition viendrait corroborer l’analyse des commissaires de l’exposition de Cassel dans le catalogue : «En usant d’un raccourci pour décrire la situation au début du XIXe siècle, et sans méconnaître la hiérarchie intangible entre les intéressés, il en était des maîtres majeurs de la peinture flamande comme des Trois Mousquetaires, ils étaient quatre !»… à savoir Rubens, Van Dyck, Jordaens et Gaspar de Crayer. Or, très rapidement, la fortune critique du dernier pâtit du profond remaniement des anciens paradigmes de l’excellence artistique. «Le maniérisme pondéré du premier Crayer dans les années 1610, le fait qu’il soit ensuite, dans les années 1620, un épigone de Rubens et enfin, dans les années 1630, si sensible à la leçon de Van Dyck se retournèrent contre lui, puisque la critique du XIXe siècle préférait valoriser les artistes en rupture avec les modèles dominants». Les œuvres de Crayer, en particulier ses portraits et ses esquisses, furent ainsi systématiquement données à Rubens, à Van Dyck ou à Simon de Vos. «On dépouille les pauvres pour lotir les riches !», s’exclame Alexis Merle du Bourg, l’un des commissaires de l’exposition. La redécouverte du peintre est relativement récente. Il faut attendre en effet les années 1960 pour qu’un Belge et un Espagnol s’y attellent. L’attribution, chez la princesse Mathilde, du Portrait de Philippe IV à un peintre de l’école espagnole du XVIIe siècle n’est guère surprenante. Après tout, Gaspar de Crayer était non seulement doué d’une grande faculté d’adaptation aux attentes de ses commanditaires l’exposition le montre bien mais, puisqu’il ne quitta jamais les Flandres, il s’inspira nécessairement d’une effigie du «Roi-Planète». La clé de l’énigme est, comme le rappelle Alexis Merle du Bourg, une miniature sur argent donnée tantôt à Vélasquez, tantôt à Juan Bautista Maíno, et conservée à Munich. Titien n’avait-il pas réalisé le portrait de François Ier à partir d’une médaille de Cellini ? Ironie de l’Histoire, il est plutôt amusant d’imaginer que le plus grand portrait de souverain de la princesse Mathilde ait été justement cette effigie grandeur nature d’un roi étranger, et non un portrait en pied de son oncle Napoléon Ier ou de son cher cousin Napoléon III. La présence chez elle de ce Habsbourg si imposant a quelque chose de cocasse, mais la princesse avait un vrai goût pour l’Espagne : celle mise en scène par ses contemporains, qu’elle affectionnait, mais aussi celle du Grand Siècle. Elle légua d’ailleurs au Louvre un Vélasquez qui n’en était pas un, et le musée n’a toujours pas d’œuvre du peintre des Ménines. L’exposition de Cassel répare tout de même une bouderie de l’histoire du goût en «donnant à voir» c’est l’expression des commissaires le Flamand qui était dans les petits papiers de Rubens et de son épouse, Hélène Fourment.