Convoitées, les œuvres de Fernand Léger s’arrachent à prix d’or. Les rouages d’une mécanique bien huilée.
Voici une belle Plante qui a chatouillé un collectionneur français à 421 328 € le 9 avril dernier chez Artcurial. Ce résultat est notable, car des œuvres d’une telle qualité se font rares sur le marché français. Cependant, en début d’année à Drouot-Richelieu, l’étude Chayette & Cheval avait ouvert le bal avec trois toiles remarquables dont l’une, La Carte postale, peinte en 1932, atteignait 308 374 €. De Cézanne à la génération pop, Fernand Léger est à l’image de son siècle : il porte la marque de transformations profondes. Il est le Charlie Chaplin des Temps modernes et célèbre avec plaisir l’époque industrielle et l’ère de la machine. En 1919, il écrit d’ailleurs à son marchand Léonce Rosenberg : «J’aime les formes imposées par l’industrie moderne. Je m’en sers – les aciers aux mille reflets plus subtils et plus fermes que les sujets dits classiques. Je soutiens qu’une mitrailleuse ou la culasse d’un 75 sont plus sujets à peinture que quatre pommes sur une table ou un paysage de Saint-Cloud...» L’exposition «Fernand Léger, Paris - New York» nous emporte en Suisse, à la fondation Beyeler. Elle présente ainsi les différentes périodes artistiques du XXe siècle qu’a traversées notre peintre, en mettant l’accent sur sa carrière américaine et son apport au pop art. À dix-neuf ans, notre Normand monte à Paris pour finir des études d’architecte. Mais, en 1907, la découverte des œuvres de Cézanne marque un tournant définitif dans la carrière du jeune peintre. Du père de la peinture moderne il dit avoir appris «l’amour des formes et des volumes».
Dès lors, fini de tirer des plans, il saisit ses pinceaux pour ne plus les lâcher jusqu’à sa mort. À partir du cubisme et s’inspirant des mouvements dynamiques de la ville, Léger détruit, transforme et reconstruit ses propres volumes. D’ailleurs, lorsque le critique d’art Louis Vauxcelles avance, ironiquement, le mot «tubisme» pour décrire sa peinture, Picasso aura ce commentaire : «Voilà un garçon qui apporte quelque chose de nouveau, puisqu’on ne lui donne pas le même nom qu’à nous.» Entre 1913 et 1914, il peint environ quarante-cinq toiles d’une série appelée «Les contrastes de formes», dans laquelle il utilise les couleurs vives et impulse mouvement et dynamisme. Quelques aplats plus tard, il entreprend un ensemble de natures mortes où l’objet manufacturé est mis en scène, le plus souvent en gros plan. C’est une période de mutation où ses recherches artistiques le mènent tout droit au cinéma. Il réalise Ballet mécanique en 1924. Sur la toile du grand écran notre «tubiste» donne vie aux objets et aux formes géométriques. Puis, dans les années 1930, Léger oriente sa peinture sur les thèmes des nus, sur les éléments naturels et, surtout, aborde un nouveau cycle, celui du cirque, du spectacle. Les œuvres de cette période sont très en vogue. À Paris, le 9 décembre 2002, lors de la vente de l’ancienne collection Louis Carré, Marie l’acrobate, toile de 1933, faisait voltiger un amateur pour 2 515 744 € (Piasa SVV – Artcurial SVV). Ce résultat est l’un des meilleurs enregistrés en France. Plus récemment, Les Danseuses au triangle de 1930 étaient adjugées 166 496 € lors de la vente Chayette & Cheval du 30 janvier dernier.
Un vaste panel d’enchères
Léger fait partie des poids lourds du marché de l’art. Déjà repéré de son vivant par des marchands, tel Daniel-Henri Kahnweiler, son ascension est exponentielle. Ainsi, en 2008 il reprend sa place parmi le top ten des artistes les mieux vendus, s’inscrivant en huitième position, place à laquelle il était déjà abonné en 2005. Son œuvre est abondante et variée. Les salles des ventes, de Paris à New York, offrent de nombreux chefs-d’œuvre, de supports et formats très différents, pour un vaste panel d’enchères. En France, les amateurs trouvent en nombre des dessins, à l’instar d’Objets, travail à la plume, encre de Chine et rehauts de gouache sur papier, enlevé pour un peu plus de 36 800 €. Les lithographies occupent une bonne place : ainsi pour un peu plus de 480 € chacune, la société de ventes Chochon-Barré & Allardi adjugeait le 27 mars dernier deux épreuves d’un tirage à 395 exemplaires coloriés au pochoir, illustrant Les Illuminations de Rimbaud. Autres médias, autres prix. Les sculptures sont dispersées avec parcimonie en salles. La Fleur qui marche, de 1952, est ainsi vendue 350 448 € le 7 juin 2004 par Artcurial. Les céramiques le sont également, telle cette plaque de 49 x 36 cm, Les Algues, bleu et jaune, adjugée 42 116 € le 10 octobre 2002 par l’étude Baron - Ribeyre & Associés. Plus exceptionnelles sur le marché, les tapisseries, comme celle passée en vente le 16 novembre 2007, Jaune n° 9, vers 1965, en laine au point noué, de 230 x 115 cm, a fait 10 313 € (Christophe Joron-Derem SVV). Si le marché français réalise de bons scores, certaines enchères significatives sont enregistrées sur les places étrangères, comme en témoigne L’Étude pour la femme en bleu, huile sur toile de 1912-1913, se hissant à la première place avec 39 241 000 $ (New York, le 7 mai 2008). Qu’importe ! Notre grenier regorge encore de quelques petites merveilles. En 2004, l’étude Tajan livrait pour 520 564 € l’imposante gouache Les Oiseaux blancs, fond bleu. Cette peinture de la maturité appartient à la série des oeuvres monumentales, lancée dès 1921. En 2006, l’étude Nice Enchères entre en scène, qui propose Chaise, chapeau et vache dans un paysage, œuvre issue de la collection d’André Verdet, emportée pour 228 700 €. Cette toile de 1952 traduit l’envie de l’artiste : rendre sa peinture universelle. Ainsi, en juin 1950, il déclarait dans la revue Esprit : «J’ai voulu marquer un retour à la simplicité par un art direct, compréhensible par tous, sans subtilité. Je crois que c’est l’avenir, et j’aimerais voir les jeunes s’engager dans cette voie.» Pari gagné.