Sars-Poteries possède, à ce jour, le seul musée en Europe capable de livrer, grâce à son atelier et son équipement pointu, tous les secrets sur les techniques du verre.
Véritable défi architectural et vitrine internationale de la création contemporaine du verre, le MusVerre possède avant tout sa propre histoire. L’épopée verrière de Sars-Poteries, commune au cœur du parc régional de l’Avesnois, qui fut en des temps très lointains un village de potiers comme son nom l’indique, commence en 1801. Plus de 900 ouvriers contribuèrent à l’essor de ses deux verreries, fleurons économiques dont la production industrielle s’arrêtera brutalement en 1937. Vingt et un ans plus tard, le prêtre Louis Mériaux se prend de passion pour ce passé verrier, dont le principal témoignage réside à travers les «bousillés», une série de figurines ou objets que les ouvriers réalisaient durant leur temps de pause et offraient à leur famille ou à leurs amis. Près de 800 de ces «bousillés» sont exposés actuellement à la manière d’un cabinet de curiosités dans la collection permanente du MusVerre. Le musée d’origine ouvre en 1969. Sept ans plus tard, un nouvel atelier consacré au verre voit le jour, suivi, dans les années 1980, de deux symposiums internationaux réunissant des artistes du monde entier. De quoi redorer le blason verrier de Sars-Poteries et convaincre le conseil général du Nord, la Caisse d’épargne et la fondation Bettencourt d’offrir un vrai budget d’acquisition et d’exposition à ce musée-atelier. Dès 1995 naissent les premières résidences d’artistes, permettant à chacun d’entre eux de s’initier ou de se perfectionner aux techniques de ce matériau complexe et fascinant.
Artistes de renommée internationale
Les différentes approches à travailler le verre nécessitent un savoir-faire ancestral. Des stages d’initiation et de perfectionnement (au nombre d’une dizaine par an), animés par des artistes de renommée internationale, permettent d’acquérir toutes ces techniques dans un vaste atelier de 1 200 m2 jouxtant le musée. Jean-Michel Othoniel, connu pour faire participer des artisans aux savoir-faire d’excellence, est venu en 2004 proposer son petit théâtre en verre, inspiré d’une œuvre d’enfance de Pierre Loti : Le Petit Théâtre de Peau d’Âne. Aujourd’hui, nous sommes avec l’artiste catalan Joan Crous, auquel a été confiée la tâche d’animer un stage de fritte de verre. «Je viens tous les deux ans donner des cours dans cet atelier. Tous les stagiaires avec qui j’ai pu partager mes connaissances possèdent déjà une pratique du verre. Néanmoins, le monde du verre est déjà en soi un paradoxe. C’est un matériau que vous utilisez tous les jours de votre vie de manière fonctionnelle, alors qu’il est quasi ignoré en matière de création contemporaine. La céramique est beaucoup mieux considérée. Je pense qu’il y a une réelle méconnaissance du verre dans le monde artistique. Il y a bien sûr des usines spécialisées dans son soufflage ou des endroits comme Murano, réputé pour son travail au chalumeau sur des pièces délicates et sophistiquées. Mais Sars-Poteries reste le seul endroit en Europe capable de concentrer et de pratiquer toutes les techniques du verre.» Au regard de l’attention et de la rigueur portées sur ce savoir-faire quelque peu méconnu par la plupart des stagiaires, on se dit très vite que tout est une question de dosage et de ventilation. Un d’entre eux, tout fier, présente dans la paume de sa main une clef en fritte de verre : «Le processus peut paraître complexe mais, en faisant simple, j’ai installé une première couche de sable dans un creuset adapté pour de très hautes températures. Ensuite, j’ai choisi une clef afin de créer une empreinte assez profonde dans le sable, de façon à pouvoir la remplir de fritte de verre (mélange de verre pilé, voire moulu, ndlr) pour finir par la recouvrir d’une autre couche de sable afin de mettre le tout dans un four que je porte progressivement à 900 degrés.» Le temps de cuisson varie, selon Joan Crous, «entre un jour pour les petites pièces et quinze pour les grosses. Et le temps de refroidissement, à la sortie du four, va du simple au double suivant la taille des pièces. Il faut éviter les courants d’air, qui pourraient causer des écarts de température trop brusques et ainsi fragiliser l’objet. Une fois la durée de refroidissement respectée, on l’extirpe de sa gangue de sable». L’aspect glacé ou sablé, selon l’appréciation de chacun, peut donner l’impression de tenir, entre les mains, une pièce rare qu’on dirait exhumée des cendres de Pompéi. C’est sans doute la technique la plus connue et la plus spectaculaire en matière de verre. Croire cependant qu’il suffit simplement de posséder une bonne paire de poumons pour souffler dans une canne de verrier est un leurre. Fabrice Bon, directeur technique de l’atelier de Sars-Poteries, parle avant tout de patience et de dextérité. «C’est un peu comme le piano, il faut faire ses gammes avant d’arriver à souffler le verre. Pour être un bon verrier, les anciens disent qu’il faut au minimum dix ans.» Outre de la persévérance, l’apprenti-verrier est aussi tenu de respecter scrupuleusement les étapes.
« Cueillir le verre fondu »
«La première chose qu’on apprend, souligne Fabrice Bon, c’est de cueillir le verre fondu, c’est-à-dire d’aller le chercher dans un four chauffé à 1 150 degrés pour l’enrouler au bout d’une canne en inox préchauffé. Une fois cueilli, on roule cette masse de verre sur une table métallique, qu’on appelle le marbre, jusqu’à lui donner une première forme nommée “paraison”. C’est à partir de ce moment-là que vous soufflez dans la canne et que vous bouchez ensuite le trou avec votre pouce. L’air bloqué dans le tube va se dilater sous l’effet de la chaleur et créer une bulle d’air dans le verre fondu. Il s’agit de la première étape. Plus la pièce que vous confectionnez sera grande, plus il faudra ajouter du verre fondu et souffler à nouveau dans la canne afin d’obtenir la forme finale. Transférer cette forme finale sur un pontil (tige pleine, ndlr), de manière à ouvrir et à travailler le haut de la pièce, constitue la deuxième étape. La troisième consiste à détacher la pièce du pontil pour la mettre dans une arche de “recuisson” (four porté à 500 degrés, ndlr) toute une journée, de manière à stabiliser les molécules en fusion jusqu’à redescendre progressivement le four à la température ambiante. C’est cela la recuisson. Enfin, il peut y avoir un travail à froid pour faire ressortir certaines couleurs ou nuances. Dans ce cas, on se sert de meules diamantées.» Quand on arrive à Sars-Poteries, on constate que la plupart des maisons sont équipées d’épis de faîtage en verre. Ces traces d’un passé verrier, Fabrice Bon a souhaité les conserver et les réactiver. «Sept d’entre eux, qui datent d’avant 1937, l’année de fermeture des usines, ont pu réchapper aux dégâts causés par la Seconde Guerre mondiale. Louis Mériaux, avec qui j’ai travaillé de nombreuses années, m’en parlait souvent avec beaucoup d’émotion. J’ai décidé, en 1999, de préserver cette tradition en créant une vingtaine d’épis que j’ai soufflés moi-même pour les vendre à des prix très modestes lors des portes ouvertes de l’atelier. Nous avions touché une corde sensible, parce que chacun des acheteurs avait eu un oncle, un grand-père ou un cousin verrier dans la famille. Suite à cet engouement, nous avons eu une commande de 200 pièces que j’ai soufflées sur l’année. Le problème, c’est que beaucoup s’en servaient comme bibelots sur leurs commodes ou pour offrir à des amis. Vu le succès et la portée symbolique de cet objet, le service juridique du département s’est penché sur la question et a mis en place une convention. Aujourd’hui, les gens s’inscrivent pour avoir un épi de faîtage, offert par le département, et, en contrepartie, ils s’engagent dans les six mois à l’installer sur le toit de leur maison. J’ai donc limité ma production à 25 épis par an. C’est une manière de perpétuer la tradition et aussi de signer ma production par une petite boule au bout de l’épi, contrairement aux anciens modèles qui étaient pointus. J’espère que mon successeur aura également sa propre signature.»