Monument historique, musée d’histoire et centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine, le musée d’histoire de Lyon dévoile progressivement sa nouvelle identité depuis 2019. Celle d’un musée de ville et de société où le récit est roi.
Qui vient chercher une accumulation d’objets d’antan dans un décor suranné au musée d’histoire de Lyon, inauguré par Édouard Herriot en 1921, sera déçu et déstabilisé. Car c’est une tout autre expérience qui l’attend. Guignol, Gnafron, Arlequin et Polichinelle assurent l’accueil depuis la rue, à l’intérieur de l’Horloge Charvet construite dans les années 1860. Le porche franchi, on est saisi par la beauté harmonieuse de la cour de l’hôtel de Gadagne. Classé Monument historique en 1920, l’élégant édifice tient son nom de la famille d’origine florentine, dont les membres firent fortune dans le commerce de la soie et s’y installèrent en 1538. Sis au cœur du Vieux Lyon, ce qui s’avère être le plus vaste ensemble Renaissance de la ville a fait l’objet d’un chantier de fouilles archéologiques, de rénovation et d’agrandissement entre 1998 et 2008. Simone Blazy, sa directrice d’alors, y déploie dès 2009 un parcours chrono-thématique en 1 500 objets, choisis parmi les quelque 90 000 lots que compte la collection. Le nouveau directeur, Xavier de La Selle, et son équipe lui ont depuis substitué une proposition en quatre expositions permanentes, à la fois indépendantes et complémentaires. Au rez-de-chaussée, « Portraits de Lyon », répond aux questions « Peut-on définir Lyon ? », « Comment Lyon est devenu Lyon ? » et « Lyon aujourd’hui ? ». À l’étage, « Les pieds dans l’eau » s’apparente à « un grand récit poétique et écologique, ouvert aux enjeux sociétaux, pour comprendre notre rapport aux fleuves », comme le précise Xavier de La Selle. Imaginé pour les enfants à partir de 5 ans, ce portrait géomorphologique de la ville prend pour point de départ la longue pirogue-viguier du XVIe siècle retrouvée en 2004, lors de fouilles archéologiques près de l’église Saint-Georges. Entre autres propositions interactives, Bords du Rhône à Lyon et Vue perspective des bords de la Saône, les deux grands tableaux peints par Charles-François Nivard en 1804, sont le support d’un jeu d’observation sur les ressources et les métiers du XIXe siècle. Au deuxième niveau, « Qu’est-ce que tu fabriques ? » décrypte l’histoire lyonnaise par le prisme industriel. Une large place est faite à la « Fabrique de la soie » à partir d’un rare et monumental métier à la grande tire, instrument à tisser la soie manuel du début du XVIIe siècle. Dédiée à la problématique de la citoyenneté, l’ultime exposition, « Pouvoirs et engagements dans la cité », sera dévoilée fin 2023. Le musée d’histoire de Lyon est avant tout « un musée de ville », comme son directeur aime à le qualifier. À savoir un musée de société, à la fois héritier des écomusées des années 1970 et du renouveau des musées d’histoire, advenu dans la dernière décennie. « Des musées plus humains et beaucoup plus proches de la société, tels que les définit Bénédicte Auriault, responsable de la médiation et des publics, comme Carnavalet à Paris et les musées d’histoire de Nantes, Marseille ou Strasbourg, qui permettent aux visiteurs de comprendre la ville en les situant dans l’espace et le temps, en reliant l’histoire urbaine collective avec leur propre parcours personnel. »
Formé à l’École des Chartes, le directeur du musée lyonnais, qui a un temps dirigé le Rize (un centre dédié à la mémoire ouvrière des villes du XXe siècle), revendique la primauté du récit sur les collections. « Inégales, incomplètes et issues des élites » selon lui, celles du musée lyonnais comptent deux types d’objets : « les témoignages involontaires de la ville, les archives, les objets quotidiens, des traces d’une activité, d’un bâtiment… et les témoignages volontaires, subjectifs, qui sont des représentations de la cité. » Diverses, les collections ont des origines variées, notamment un fonds de marionnettes, considérablement augmenté par le dépôt, en 1946, de celles du musée national des Arts et Traditions populaires, à l’instigation de Georges Henri Rivière (voir l'article Georges Henri Rivière, inventeur du musée moderne de la Gazette n° 45 du 21 décembre 2018, page 158), présentées au sein du Musée international de la marionnette, ouvert en 1950. Plurielles, les collections historiques proviennent de fonds différents et disparates, à commencer par les objets liés à l’histoire locale jusque-là conservés à l’hôtel de ville. S’y ajouteront, entre autres, les dix mille pièces réunies par Sébastien Rosaz sur le thème de la Révolution française, données en 1846, ainsi que les éléments de décor et de mobilier prélevés sur les chantiers de démolition et de fouilles menés au cours des grands travaux du préfet Vaïsse, entre 1854 et 1864. Créée en 1928, la Société des amis de Gadagne sera une source régulière d’enrichissement des collections, notamment en matière d’arts graphiques et d’art décoratif. D’autres fonds encore traitent de la franc-maçonnerie et du compagnonnage, sans oublier les collections de personnalités politiques telles que Justin Godard et Édouard Herriot ainsi que les dévolutions régulières d’objets archéologiques issus de fouilles réalisées à Lyon. Jusqu’aux années 1990, le musée n’a jamais eu de politique d’acquisition à proprement parler, ni même de ligne directrice en la matière. Minoritaires parmi les objets mis en scène dans les expositions permanentes, les artefacts historiques sont actuellement 200 environ, sur les 500 expôts présentés, et devraient avoisiner les 250 pour 650 expôts, une fois la quatrième exposition finalisée, fin 2023. Au-delà des objets, le récit urbain porté par le musée repose sur son parti pris scénographique. Une mise en scène théâtrale, ludique et interactive, qui présente des constantes –des personnages témoins fictifs, choisis parmi les oubliés de la grande histoire, un ton humoristique et décalé ainsi que des dispositifs à manipuler et multimédias –, mais également des spécificités propres à la thématique traitée et au public visé – touristes, enfants, adolescents et jeunes adultes.
Une triple identité
Xavier de La Selle attend impatiemment 2024, « année de finalisation et de consécration de Gadagne comme lieu de vie. Un lieu hospitalier qui parle de la ville sous toutes ses facettes, dans un monument qui raconte aussi une partie de cette histoire citadine. Une vraie expérience de visite grâce à une offre de médiation pleinement développée et toute une programmation culturelle ». Monument historique, « le musée d’histoire de Lyon a vocation également à être un centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine, rappelle la responsable des expositions, Claire Déglise. La ville nous le demande en lien avec le plan de gestion de ce site qui a été classé patrimoine mondial par l’Unesco en 1998 ». À l’aube du XXe siècle, l’hôtel de Gadagne était déjà considéré comme le lieu le plus à même d’accueillir les collections historiques de la ville, en raison de la qualité de son architecture et de son intérêt historique. Sur le papier, le projet est magnifique dans l’ambition comme dans les méthodes de travail mises en œuvre. Des Lyonnais de tous âges, de tous horizons et de toutes professions y ont collaboré, mettant quantité de données à disposition. Si l’intention est louable, le risque de décourager ou d’effrayer certains visiteurs est pourtant bien réel, et le fait d’avoir conféré un traitement muséographique similaire aux objets originaux et aux reproductions pose problème. La dimension esthétisante et théâtrale de la scénographie imaginée par l’atelier Scenorama est trop prégnante et déjà presque datée, tout comme le ton décalé et les touches humoristiques, un peu trop systématiques. Mais à chacun ses attentes et son histoire (de Lyon). L’expérience est à vivre, quoi qu’il en soit.