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Le musée des Arts Précieux Paul-Dupuy à Toulouse

Publié le , par Sarah Hugounenq

Alors que les Augustins et la Fondation Bemberg sont fermés pour rénovation, l’inauguration du musée des Arts précieux Paul-Dupuy rend de nouveau accessible l’un des fonds artistiques les plus riches de la Ville rose.

Laurent Ridel et Joseph Coteau, pendule squelette, vers 1795, laiton, bronze, émail,... Le musée des Arts Précieux Paul-Dupuy à Toulouse
Laurent Ridel et Joseph Coteau, pendule squelette, vers 1795, laiton, bronze, émail, marbre, 56 34 cm.
© Mairie de Toulouse, musée des Arts précieux Paul-Dupuy, photo François Pons

L’établissement était confidentiel. Dans une ruelle du quartier des Carmes, à Toulouse, l’hôtel particulier Besson, reconnaissable à sa tour capitulaire, cette excroissance architecturale symbole de la réussite sociale des capitouls, abrite depuis un legs de 1944 la collection hétéroclite de Paul Dupuy. Ce riche négociant a fait fortune à la fin du XIXe siècle dans le commerce du cornichon et des cerises avec le Royaume-Uni et la Russie. Parallèlement à son épicerie fine sise à quelques pas de sa demeure, il consacra sa vie à l’étude de sa collection d’arts décoratifs rassemblant quelque six mille ivoires, pièces d’orfèvrerie, armes, objets ethnographiques et autres faïences, du Moyen Âge au XIXe siècle. À la création du musée, ce cabinet de curiosités des temps modernes fut complété par l’important fonds d’arts graphiques de la Ville, puis dès 1954, par la collection d’horlogerie d’Édouard Gellis, alors le plus important collectionneur privé d’horlogerie ancienne. « Au fur et à mesure des années, le musée s’est enrichi de fonds divers, plus ou moins exposés, qui avaient fini par faire perdre la cohérence et la lisibilité des collections », explique Francis Saint-Genez, directeur du musée. Et Pierre Esplugas-Labatut, adjoint chargé de la culture à la mairie de Toulouse, d’enfoncer le clou : « Malgré ses 20 000 objets, 30 000 estampes, 6 000 dessins, les 40 000 cartes postales et le fonds photographique, le musée Paul-Dupuy, qui conserve plus de la moitié du patrimoine de Toulouse, était déclinant, la fréquentation très faible. Il fallait le faire revivre. » Dont acte.
 

Pierre Bergier, montre memento mori, fin XVIIe siècle-début XVIIIe siècle, argent, Paris. © Mairie de Toulouse, musée des Arts précieux Pa
Pierre Bergier, montre memento mori, fin XVIIe siècle-début XVIIIe siècle, argent, Paris.
© Mairie de Toulouse, musée des Arts précieux Paul-Dupuy, photo François Pons


Rénovation impromptue
Trois ans de chantier plus tard, l’institution, qui n’avait pas vu l’ombre d’un rafraîchissement depuis près de quarante ans, renaît. L’objectif n’était pourtant pas des plus ambitieux au lancement des travaux, en 2018. « Nous sommes partis de la remise aux normes nécessaire du bâti : sécurité incendie et accessibilité. L’arrivée du Covid a fait prendre beaucoup de retard, ce qui a été, contre-intuitivement, tout à fait bénéfique, se souvient le directeur. J’ai pu reprendre des budgets de-ci, de-là pour aller plus loin. J’ai obtenu quelques subsides pour la scénographie, puis la réfection de la signalétique, puis le chantier de restauration. Des centaines d’objets étaient en réserve depuis trente ou cinquante ans… » Résultat, la persévérance du conservateur lui permet de réunir la coquette somme d’1,4 M€. La prouesse est d’autant plus salutaire que la Ville est par ailleurs engagée sur la rénovation de la quasi-totalité de son parc muséal. Les travaux de la Fondation Bemberg, fermée jusqu’au premier semestre 2023, pèsent 500 000 € sur le budget de la municipalité. Tandis que le musée des Augustins absorbe une enveloppe de 3 M€ pour une réouverture prévue fin 2025.

Changement d’identité
Dans une scénographie élégante composée d’or et de rouille (clin d’œil prophylactique à l’institution vedette de la région, le musée Soulages de Rodez), le nouveau musée a refondu jusqu’à son identité. Après concertation, le traditionnel « musée des Arts décoratifs Paul-Dupuy », devient, par un étonnant souci d’intelligibilité, « musée des Arts précieux ». Tout en apprenant que certains arts ne seraient donc pas précieux, ce nouvel intitulé étend ce raffinement à la publicité. Cette dernière est entrée dans le giron de l’institution l’an passé, à la suite de la fusion avec l’ex-musée des affiches de la ville, le MATOU. Ses 400 000 entrées seront valorisées au travers d’expositions temporaires thématiques, comme actuellement celle sur l’animal, au second étage. « Le mot “précieux” était très récurrent dans les archives du musée, défend le conservateur. Outre le prestige de la dénomination, cela pouvait redonner la vision d’un conservatoire de savoir-faire anciens et disparus. » Les métiers d’art sont ainsi devenus le fil rouge d’un parcours au défi de taille : mettre en récit un ensemble profondément hétérogène, au gré d’espaces contraints qui ne souffrent pas de démultiplier les approches par techniques. Si le recours à une logique transdisciplinaire et souvent trans-temporelle permet le plus souvent de pallier la difficulté, la disparition du très riche fonds d’arts graphiques de la Ville et ses six mille dessins signés Ingres, Delacroix, Bourdelle ou du languedocien Gamelin est plus que surprenante. En attendant une future exposition sur le plumassier Maxime Leroy au printemps, une matériauthèque tactile ouvre le parcours pour embrasser en un tournemain les diverses natures d’objets : cuivre, or, marbre, argile, etc. Suit une première salle où foisonnent, du sol au plafond, sans autre mot d’ordre que l’esthétisme, des faïences et porcelaines. Une section réunissant coffres, reliquaires et autres châsses s’évertue à enfermer la préciosité. A ainsi été redécouvert un coffret précolombien en « vernis de Pasto », technique indigène précoloniale issue d’une résine de la forêt amazonienne, et dont les vestiges parvenus jusqu’à nous sont rares. Après la reconstitution d’une pharmacie jésuite du XVIIe siècle, faisant face à un ensemble d’écrans à main, tabatières, poires à poudre, chaussures et instruments de musique, quelques marches conduisent au sous-sol. Dans la pénombre, le magnifique parement d’autel brodé du couvent des Cordeliers (XIVe siècle) ordonne la section sur les arts sacrés, mis non sans audace en dialogue avec les arts de la guerre. Pistolets et autres armes de poing se retrouvent pointés sur les crucifix. L’image est forte : illustrer les tensions récurrentes et historiques entre pouvoirs temporel et spirituel.
 

Amérique du Sud, coffret au décor en vernis de Pasto, XVIIe siècle. © Mairie de Toulouse, musée des Arts précieux Paul-Dupuy, photo Franço
Amérique du Sud, coffret au décor en vernis de Pasto, XVIIe siècle.
© Mairie de Toulouse, musée des Arts précieux Paul-Dupuy, photo François Pons


Musées dans le musée
Le reste du sous-sol est consacré au matériel précurseur et historique du cinéma, relégué en réserve faute de volonté depuis leur acquisition en 1985, après la vente de la collection de Jean Rouzaud. Ici aussi, le geste est à l’honneur, depuis les fac-similés du « mutoscope », ancêtre du « flip book » à manipuler, à la projection d’une sélection parmi 700 bobines comprenant des reportages sur les métiers anciens. Agencée autour de la table d’optique de 1760, créée à Lyon pour Jean-Louis Bérot et acquise en 2019, la salle intitulée « Peep-show » assume un ton léger et humoristique. « Vous avez dit peep-show ? Laissons un instant le sourire malicieux que le titre de la section a sans doute fait naître au coin de vos lèvres pour poser une question sérieuse », affiche le texte d’introduction. On y apprend qu’avant d’entrer dans le vocabulaire des bas-fonds, le terme ne désigne rien d’autre que la technologie de l’image mouvante. « L’humour n’est pas interdit même quand on est un musée sérieux », glisse le conservateur. Le sérieux est d’ailleurs de mise dans l’ultime chapitre du parcours. Musée dans le musée, le premier étage est entièrement consacré au fond d’horlogerie du XVIe au XXe siècle. S’y déroule un discours sur les liens entre la maîtrise du temps et le pouvoir. Chronologique, le parcours démarrant par l’évocation d’un atelier d’horloger s’enrichit d’éléments mobiliers contextuels. Un tabernacle et la porte du grand consistoire de Toulouse garnissent la salle consacrée au XVIIe siècle, quand la reconstitution du salon du château de Reynerie, aux lustres, consoles et canapés acquis en vente publique en 2008, vient donner vie aux pièces d’horlogerie contemporaines. Entre techniques et merveilles, la diversité des collections oscille tel un pendule.

à voir
« Hiboux, toutous, matous »,
musée des Arts précieux Paul-Dupuy,
13, rue de la Pleau, Toulouse (31), tél. : 05 31 22 95 40,
Jusqu’au 12 février 2023.
museepauldupuy.toulouse.fr
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