C’est à Montparnasse, dans le quartier Plaisance, que nous attend ce lieu singulier, un rien confidentiel : un espace d’art international qui inspire et accueille des artistes des cinq continents…
Le musée-atelier de Roy Adzak fait partie de ces bonnes adresses dont Paris a le secret. Situé au sud de Montparnasse, à une dizaine de mètres à peine de l’atelier de Zao Wou-ki, ce lieu un peu à part doit sa survie à Margaret Crowther, une fidèle parmi les fidèles, amie et proche collaboratrice d’Adzak qui accueille aujourd’hui hôtes et visiteurs avec une énergie et un dévouement sans failles… Bien connu des habitants du quartier, le musée-atelier de Roy Adzak, c’est un peu l’esprit bohème à Paris. On y vient pour découvrir les expos des amis des amis. On y séjourne parfois. On y discute. On s’y attarde volontiers et l’on y découvre dans un désordre poétique un lieu charmant et insolite qui a su rester fidèle à lui-même. Une atmosphère très british, un rien intemporel et tout à l’image de l’ancien propriétaire des lieux : le peintre, graveur, photographe et sculpteur anglais Roy Adzak (né Royston Stanley Wright) qui, au début des années 1970, posa ici son baluchon d’artiste globe-trotter. «En 1970, nous dit Margaret Crowther, Roy Adzak a acheté ce lieu en viager à monsieur Baudoin. C’était à l’origine une crémerie. Dans la cour, il y avait une maisonnette où l’ancien propriétaire logea jusqu’à la fin de sa vie. Peu à peu Adzak transforma ce qui n’était qu’une simple remise en atelier, puis, en 1980, à la mort de M. Baudoin, il installa un labo-photo dans le petit pavillon, suréleva et agrandit considérablement l’atelier. Comme il faisait tout lui-même, ce chantier n’était pas sans risques. Un jour, il se blessa et faillit perdre la vie sous la chute d’une porte en fonte. C’est sur son lit d’hôpital qu’il songea à faire de cet endroit un musée-atelier, un lieu de rencontre et d’échange international qu’il léguerait à la France, le pays qu’il avait choisi après un long voyage autour du monde.» Voilà pour la petite histoire. La grande histoire, elle, n’est pas près d’oublier la trajectoire de cet électron libre qui fut d’abord diplômé en génie civil avant d’étudier la sculpture et la photographie à la Sydney Art School. Artiste surdoué et génie pluridisciplinaire, Adzak est surtout connu pour ses célèbres «Déshydratations végétales et animales» et pour sa série «L’Homme anthropométrique» représentant le corps humain sous toutes ses dimensions. En 1980, il fut aussi à l’origine d’une centaine de portraits thermographiques, avec et pour les Rolling Stones, pour le disque Emotional Rescue. Plasticien tout terrain et écologiste avant l’heure, Adzak fut toujours très soucieux du dialogue entre art et nature. Au fil des ans, son enracinement sous le ciel de Paris porte ses fruits et l’incite à réfléchir sur la notion de survie en milieu urbain. Aussi rêve-t-il d’un «container museum» qui, comme son nom l’indique, serait le lieu-témoin de son art expérimental. Le 27 avril 1984, le musée Adzak voit enfin le jour. Le Néerlandais Lou Meulenberg inaugure les lieux avec une exposition de photos. Roy Adzak n’a plus que trois ans à vivre. Sans le savoir, il vient de signer l’une des plus belles œuvres de sa vie : une maison d’artiste faite pour les artistes et résolument tournée vers l’avenir…
Intelligence de l’œil et la main
Ce sens de l’hospitalité, Adzak la doit à ses nombreux voyages, notamment à de fréquents séjours chez l’habitant, en particulier aux îles Fidji, en Nouvelle-Zélande, où il construit une maison de style «Bauhaus» en Australie, en Inde et surtout en Afghanistan, où il découvre, lors d’une fouille archéologique, l’étonnante présence de certains vestiges à fleur de terre. C’est d’ailleurs en souvenir d’une famille afghane qui l’avait accueilli et soigné que celui qui se prénomme alors Royston Wright se choisit le pseudonyme d’Adzak. De retour à Paris, il n’oublie pas cette première leçon de convivialité et fait de son atelier une terre d’accueil et de rencontres. Rencontres entre gravure, photographie, sculpture, collage, musique et peinture. Rencontres entre hier et aujourd’hui avec la pratique du moulage et de l’empreinte anthropomorphiques. Mais aussi et surtout rencontres entre des talents du monde entier puisque cet atelier est conçu dès le départ comme un lieu d’échange et de création unique en son genre. Pour ce faire, Roy Adzak ne ménage pas sa peine et, pendant dix-huit mois, consacre près de quinze heures par jour à son «container museum». Un travail de titan qu’il signe de ses mains comme le révèle l’empreinte apposée au seuil de son atelier. «Adzak, précise Margaret Crowther, avait pour père un prestidigitateur. Il a toujours été fasciné par la gestuelle des tours de magie. Cette empreinte est sans doute un clin d’œil à cette enfance si particulière. C’était également un excellent artisan qui avait été, dans sa jeunesse, apprenti-menuisier. Sans l’aide de personne, il a donc reconfiguré le rez-de-chaussée en atelier et le premier étage en salles d’exposition.»
L’art comme point d’ancrage
Puis ce sera au tour de la maisonnette, située à deux pas de là, de se transformer en résidence d’artistes. Le tout, dans un joyeux désordre poétique, qui, trente ans après, est resté dans son jus. «Adzak a souffert de l’exil. Il a connu des moments de grande solitude lorsqu’il s’est installé à Paris. C’est pourquoi il a voulu donner un coup de pouce aux talents émergents. Au premier étage, il exposait souvent ses amis artistes. Dès 1987, l’année de sa mort, j’ai veillé à respecter sa volonté. J’organise des expositions et reçois toujours des artistes en résidence.» Parmi les artistes exposés, notons les noms de Maryam Fraser, MarySol Rangel, Brenda Wu, Miron Agafitei, John Stratford, Manana de Georgie, Arnaud Prinstet, Robert Rey, Colin Wild, Françoise Lafont, David Bruce, Herminie Nougaret, Yvon Taillandier, Susan Rassmussen, Nacer Izza, Franck Lundangi, Elsa Dax et Mokhtar Djaafer sans oublier Nicholas Wright, le neveu de Roy Adzak, qui expose, in situ et en permanence, son bestiaire en terre cuite. «Zao Wou-ki venait à toutes nos journées portes ouvertes. Il adorait l’atelier de Roy Adzak. Il s’y sentait bien comme beaucoup d’habitués du quartier. Tout récemment, le peintre Philip Absolon nous a donné toute une série d’œuvres pour venir en aide à notre association. C’est un bien bel encouragement pour nous permettre de poursuivre la route», nous dit encore Margaret Crowther. Cette Irlandaise est arrivée en France en 1964 afin de terminer ses études de lettres à la Sorbonne. Depuis, elle n’a quasiment plus quitté Montparnasse. Figure incontournable du quartier Plaisance, Margaret Crowther consacre tout son temps à créer du lien culturel avec beaucoup d’énergie et très peu de moyens. Car, ce n’est un secret pour personne : le musée Adzak a besoin de soutien pour entreprendre d’autres travaux de restauration. Moyennant une modeste cotisation, les nouveaux adhérents sont abonnés à la «newsletter». Il est aussi possible de passer à la vitesse supérieure en devenant membre bienfaiteur… Un petit geste qui peut faire beaucoup pour préserver ce patrimoine culturel vivant !