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Le mobilier de Rei Kawakubo redécouvert

Publié le , par Mikael Zikos

La fondatrice de Comme des Garçons a imaginé des meubles pour ses boutiques dans les années 1980. Une œuvre clé, radicale et hors-mode, à l’image de ses vêtements, et aujourd’hui exposée dans une galerie à Paris.

 

Chaise n° 1, 1983, modèle à «cornières» en acier zingué, assise en maillage, 52 x 53 x 65 cm.... Le mobilier de Rei Kawakubo redécouvert
Chaise n° 1, 1983, modèle à «cornières» en acier zingué, assise en maillage, 52 x 53 x 65 cm.

Rei Kawakubo (née en 1942) transcende le vêtement, sa confection, sa commercialisation et son port depuis 1969, date à laquelle elle fonde la marque Comme des Garçons. Le label présente sa première collection à Tokyo en 1975 et défile à Paris dès 1981. À l’encontre des tendances et à l’écoute du monde, marqué à cette époque par des dégradations économiques et environnementales majeures, la «mode» de la styliste japonaise va rejoindre les principes du mouvement anti-fashion dans l’histoire vestimentaire. Comme Yohji Yamamoto, la noirceur de ses pièces, volontairement inachevées voire conceptuelles, tient lieu de raffinement et de poésie. Un sens intrinsèquement nippon de l’harmonie émanant, de manière simultanée, de la beauté de la nature et du chaos de la condition humaine. Alors qu’elle rencontre un important succès critique et public, la créatrice, qui signe une gamme inspirée du «look» des mendiants pour sa saison printemps-été 1983, commence à concevoir du mobilier pour ses magasins. La marque, qui multiplie à partir de 1979 et sans nulle autre pareille jusqu’à ce jour les lignes bis et les projets spéciaux, à l’exemple d’un magazine d’inspirations allant des arts visuels à la littérature, ouvre un magasin dédié à ces meubles place Saint-Honoré à Paris. Il sera ensuite investi par la division Parfums de la maison et ses essences unisexes numérotées.
Un design expressément non-fonctionnel
Rei Kawakubo dessine une quarantaine de meubles, aventure qui se clôt officiellement en 1993. La Chaise n° 1 (1983) et son assise grillagée, impraticable, donne le ton des premières créations : les métaux sont bruts voire sablés puis zingués. Chaises hybrides, au dossier anormalement haut ou avec chaînes, mélange de barres tubulaires et de cuir, ou à la silhouette proche du bidon d’essence, elles semblent imaginées pour un univers carcéral (Chaise n° 32, 1991), un usage sadomasochiste (Chaise n° 24, 1989) ou un décor post-nucléaire (Tabouret n° XX, 1991). Un design mental qui évoque l’aspect narratif des tenues de la ligne mère : des objets dont la fonction est secondaire et qui doivent être utilisés pour en saisir toutes les libertés qu’ils offrent, à l’écart des conventions. À mesure que Rei Kawakubo expérimente le vêtement, son mobilier se pare de bois, de manière toutefois brutale : nu et poncé, sans vernis ou collé directement à de l’aluminium. Si ses premiers meubles, déstabilisants, préfigurent la naissance d’importantes collections telles les robes à excroissances de sa saison printemps-été 1997 , les formes incurvées des dernières réalisations en contreplaqué renvoient à l’aménagement déconstructiviste de ses boutiques principales, comme celle du quartier d’Aoyama à Tokyo, où des cloisons curvilignes imposent au client un système de circulation et d’interaction peu commun… De la découverte du produit à l’achat, en passant par l’essayage, la discrétion y est de mise.

 

Chaise n° 24, 1989, modèle «spirale» à perche, acier tubulaire chromé et cuir, 44 x 48 x 15,6 cm.
Chaise n° 24, 1989, modèle «spirale» à perche, acier tubulaire chromé et cuir, 44 x 48 x 15,6 cm.

Dix ans de créations rares
«Rei Kawakubo considérait ces réalisations comme du mobilier temporaire, dessiné pour occuper des espaces de transit», explique Didier Courbot. Collectionneur, cet artiste, architecte et paysagiste français a récemment ouvert sa galerie à Paris, «A1403». Ce lieu dédié au «luminaire et aux objets choisis» est le reflet de la passion qu’il partage avec sa femme, également paysagiste. Aujourd’hui, il expose une sélection de ce «mobilier-image», comme il le nomme, dans une scénographie pensée pour l’occasion. Au rez-de-chaussée, quinze assises de Kawakubo sont suspendues sur une grande étagère en zinc. Le Paravent n° 12 et la Table n° 18 (1987) sont à découvrir au sous-sol. «Bien qu’ayant été largement documenté dans les publications spécialisées, cet ensemble mobilier dépouillé et de haute facture, produit au Japon, n’a rencontré que deux clients en France. Une poignée de ces meubles a cependant été éditée à Rome par l’architecte Paolo Pallucco», explique Didier Courbot. «L’approche de Rei Kawakubo en matière de design vise à produire des objets autonomes et diffère du genre du meuble-sculpture, en vogue dans les années 1980, précise-t-il. Le meuble est pour elle un outil qui lui permet d’introduire des matériaux industriels dans sa mode. C’est une porte d’entrée pour comprendre son travail.» Au-delà de cette parenthèse mobilière, la réussite de la créatrice, dont l’œuvre vient de faire l’objet d’une rétrospective au MET de New York et dont la dernière note d’intention pour le défilé homme printemps-été 2018 de sa griffe, explicitement joyeux, prône la modestie («C’est ce qui est à l’intérieur qui compte»), demeure exceptionnelle tant ses productions allient les contraires, de l’ombre à la lumière. 

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