Instruments pédagogiques largement diffusés, les globes sont également des objets de collection aussi précieux que le savoir dont ils sont les dépositaires.
Le temps, la justice, la fortune, la philosophie et, bien entendu, le pouvoir, pas une allégorie ne manque d’être associée au globe. Son universalisme en fait un présent de roi. Le cardinal d’Estrée l’a bien compris. Il commande pour Louis XIV les plus prestigieux globes terrestre et céleste de son temps. Réalisés dans des dimensions jamais égalées par Vincenzo Coronelli entre 1681 et 1683, présentant avec une iconographie somptueuse les informations scientifiques les plus pointues, ils rendent hommage à un savoir patiemment élaboré depuis l’Antiquité. Si l’Europe médiévale a naturellement représenté la voûte céleste sous la forme d’une sphère dès le Xe siècle, elle s’est contentée des cartes pour figurer une terre jusqu’alors cantonnée à l’Europe et centrée sur la Méditerranée. Ouvrant les horizons et transformant notre vision du monde, les explorations maritimes ont constitué le point de départ de la fabrication des globes. À la fin du XVe siècle, les premières sphères terrestres manuscrites sont réalisées en bois recouvert d’une toile de lin peinte, ou en métal gravé – du cuivre, du bronze ou de l’argent pour les plus précieuses.
Dans un contexte d’effervescence intellectuelle accentuée par le courant humaniste, les globes manuscrits ornent les cabinets des princes et les bibliothèques des cardinaux. Précieux entre tous, ils continueront à être produits au XVIe siècle pour les élites férues de science ou simplement désireuses d’acquérir un bel objet. Fidèle à son goût du faste, l’Italie fabriquera, jusqu’au début du XVIIIe siècle, ces sphères réalisées à l’unité, propices à toutes les fantaisies décoratives. Parallèlement à cette production de luxe et grâce à l’invention de Gutenberg, les globes fabriqués à partir de fuseaux imprimés et collés sur une âme de carton dominent rapidement le marché. Ils intègrent les connaissances de Ptolémée –largement diffusées en Europe depuis la traduction latine de sa Géographie – et les découvertes des navigateurs. Réalisé à Nuremberg en 1515, le globe imprimé de Johann Schöner est le premier d’une longue dynastie. Moins onéreuse, la technique nouvelle permet de toucher une clientèle diversifiée et européenne. Désormais produits en nombre, les globes deviennent l’instrument de prédilection pour enseigner l’astronomie, la géographie et la navigation. Ils le resteront jusqu’au XIXe siècle. Avec le mathématicien et géographe Gérard Mercator, commence la période faste des globes hollandais. La paire qu’il réalise pour Charles Quint en 1541 connaît un tel succès, que les sphères seront désormais produites en tandem terrestre et céleste. Présentée en vente le 11 juin 2008, une paire de globes signés de Mercator et datés de 1541 était emportée 35 244 € (Libert SVV). Les données collectées par les expéditions hollandaises sont transcrites par Plancius et Hondius, tandis que les observations astronomiques de Tycho Brahe sont reproduites sur les globes de Blaeu. Plus de vingt nouvelles éditions de globes sont produites dans le premier quart du XVIIe siècle. Leur actualisation, gourmande en plaques de cuivre nécessaires à la gravure, a raison de nombreux éditeurs. Blaeu acquiert ainsi un quasi-monopole. Il fabrique aussi bien des sphères destinées à l’éducation des marins et diffusées avec un traité d’utilisation, que des éditions de luxe de 68 cm pour une clientèle de marchands et de bourgeois lettrés. Il n’est pas une salle d’étude ou un palais européen qui ne s’enorgueillisse d’une de ses grandes sphères... ou de son imitation française ou italienne. Les globes sont entrés dans les mœurs. Sur les bancs des collèges, lors des cours publics dispensés par les jésuites, des élèves de toutes origines s’initient aux globes. Louis XIV se devait de reprendre le flambeau. C’est chose faite avec la création, en 1666, de l’Académie royale des sciences. Grâce à elle, Paris deviendra le principal centre cartographique du XVIIIe siècle. Le long des routes maritimes tracées sur les globes, les lacunes géographiques – auparavant astucieusement masquées par de remarquables décors de cartouches, de vaisseaux ou d’allégories – sont comblées par des détails de plus en plus précis. Enchâssés dans de riches supports telles des œuvres d’art, les plus beaux globes trouvent leur place dans les cabinets scientifiques des collectionneurs. Ils sont aujourd’hui encore très prisés, comme en témoigne une sphère terrestre, dont le piètement sculpté attribué à Verberckt poussait les enchères jusqu’à 83 026 € le 20 décembre 2006 (Piasa SVV). À côté de ces pièces de collection, les catalogues des libraires proposent une offre élargie pour toutes les bourses. Robert de Vaugondy édite une gamme allant du grand globe de dix-huit pouces, réalisé dans des matériaux nobles, à la petite sphère de trois pouces présentée dans un étui en chagrin. Son fonds est racheté par la maison Delamarche, qui perpétue ses modèles en les actualisant jusqu’au milieu du XIXe siècle. Il fallait débourser 72 200 € le 2 février dernier, pour acquérir un exemple représentatif de la production de Vaugondy éditée par Delamarche : une paire de globes et deux sphères de type ptoléméen et copernicien (Néret-Minet SVV). Nous avons beau connaître aujourd’hui l’intégralité des continents et le nombre définitif des constellations, la magie des globes anciens reste intacte. Image de notre monde à un instant T, ils représentent un émouvant témoignage des progrès de la connaissance humaine et demeurent l’ornement nécessaire de toute bibliothèque. Comme en témoigne l’expert Bruno Petitcollot, «tous sont collectionnés : les globes de poche, de table, de parquet, du XVIIe siècle ou du XXe siècle... selon son budget.»