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Le marché de l'art refait ses comptes

Publié le , par Vincent Noce

À Art Basel Hong Kong, Clare McAndrew a délivré son rapport sur l’état du marché mondial, qui s’impose comme la référence. La France tient son rang, mais doit se préparer à de nouveaux défis.

Clare McAndrew (deuxième à partir de la droite) présente son rapport à Art Basel... Le marché de l'art refait ses comptes
Clare McAndrew (deuxième à partir de la droite) présente son rapport à Art Basel Hong Kong.

Le commerce planétaire des biens culturels poursuit sa récession. À 57 milliards de dollars, il a reculé l’année dernière de 11 %, selon la synthèse très complète rendue publique par Art Basel Hong Kong. Sur deux ans, la perte dépasse les 11 Mrds $ (- 16,5%). Ce tableau doit cependant être remis en perspective, puisque le marché est loin d’avoir effacé la reprise consécutive à la crise de 2009, quand il était tombé à moins de 40 Mrds $. Signé Clare McAndrew, qui enseigne à l’université de Dublin, ce rapport était d’autant plus attendu qu’il était jusqu’alors l’apanage de la Tefaf (voir Gazette n° 12, page 24 Rapport TEFAF : la fin d'un monopole). La foire de Maastricht a fait appel à une autre chercheuse, Rachel Pownall, dont les extrapolations contrastent avec ces nouvelles analyses. Citons deux exemples. Le rapport de la Tefaf calcule les ventes privées à 4,65 Mrds $, montant déduit d’une hausse qui serait très exactement de 20 %, à la décimale près. Mais en page 30, il parle d’une «hausse de 20-25 %», rajoutant une marge de 1,2 Mrd $. Il annonce aussi un «vent de tempête soufflant sur le monde de l’art», imputé à un «changement radical de stratégie» des grandes compagnies qui se réorienteraient «vers la vente privée au détriment des enchères», sans chiffre. Or, cette affirmation non étayée est démentie par les intéressés. En 2016, ces cessions ont représenté 17,3 % de l’activité de Christie’s, un peu plus qu’en 2012 (16,1 %), mais moins qu’en 2014 (17,9%). Chez Sotheby’s, elles sont au même niveau qu’en 2012 (12 %). Comme l’a fait observer Javier Pes, rédacteur en chef du Art Newspaper, rendant compte de la conférence de Clare McAndrew à Hongkong le 22 mars, ce choix géographique se justifie d’autant mieux que le marché asiatique a permis de ralentir le mouvement à la baisse. Pour la première fois, le nombre de grandes fortunes en Asie a dépassé celui de l’Amérique. Tous les trois jours, un milliardaire fait surface en Chine, une nation qui compte désormais 1 700 000 millionnaires, selon l’étude UBS/PwC. L’économiste voit dans la formation d’une classe moyenne aisée dans ce pays l’annonce d’une mutation d’ampleur pour l’ensemble du marché.

Le marché français résiste
Même en fléchissement, les États-Unis conservent leur prééminence, avec 40 % de l’activité, le double du Royaume-Uni ou de la Chine, tous deux pratiquement au coude à coude. Mais les ventes publiques au Royaume-Uni ont décru de 18 % en valeur, une baisse qui aurait été plus importante encore si elles n’avaient pas bénéficié de l’affaiblissement de la livre, consécutif à la victoire du vote pour le Brexit (la devise a perdu 20 % de sa valeur par rapport au dollar au cours de l’année). Clare McAndrew souligne l’incertitude pesant sur cette plate-forme de libre-échange, désormais menacée de voir les flux de tableaux l’alimentant à travers la Manche ralentis par de nouvelles taxes. Même s’il n’en prend pas le chemin, le gouvernement britannique pourrait néanmoins profiter de la sortie de l’Europe pour alléger, voire supprimer, les entraves aux mouvements avec le reste du monde, telle la taxe à l’importation des œuvres d’art, que la France a eu la stupidité d’imposer à l’Union. «Alors, la place de Londres pourrait améliorer sa position par rapport aux concurrents fondamentaux que sont les États-Unis et la Chine», précise la spécialiste. Le prochain gouvernement français et l’Union européenne sauront-ils en prendre la mesure pour offrir aux acteurs les moyens de se relancer ? Le mystère reste insondable. La France ne manque pas d’atouts. Elle occupe un cinquième du marché européen. Reposant sur un marché local, elle résiste mieux que les autres nations, progressant d’un point dans sa part du négoce mondial (7 %). Son réseau de galeries compte davantage de clients que celles d’outre-Manche. Derrière les Américains, les Français sont ainsi les deuxièmes acheteurs d’œuvres d’art en nombre, représentant 10 % de la clientèle mondiale. Les galeries tiennent autant d’expositions dans notre pays qu’en Grande-Bretagne, le double de toute l’Amérique latine, le triple de la Chine et six fois plus qu’en Russie. En revanche, le nombre de salons de prestige (FIAC, Biennale, Paris Photo…) y a presque diminué de moitié en quatre ans, tandis qu’il doublait pratiquement à Bâle, permettant à la ville helvète de faire jeu égal avec la place parisienne grâce à sept événements. Un peu partout dans le monde pourtant, le nombre de grandes foires ne cesse d’augmenter, de New York (qui en dénombre quatorze) à Londres (douze), en passant par Hongkong, Bruxelles et même Mexico (trois chacune).


Récession et manque de densité
Avec la montée des collectionneurs en Asie, ce n’est pas la baisse de la demande, mais celle de l’offre qui explique le recul sensible des enchères, de 26 % en valeur (à 22 Mrds $). Celui-ci est plus accusé encore pour les œuvres les plus chères, atteignant 34 % pour celles valant plus de 1 M$ et même 50 % pour celles supérieures à 50 M$. Autrement dit, s’ils ont le choix, les propriétaires les plus fortunés préfèrent attendre ou s’orienter vers des ventes plus discrètes – un mouvement contracyclique classique. La bipolarisation et la concentration de la richesse sont marquées pour les ventes aux enchères, dont 94 % portent sur des montants inférieurs à 50 000 $. Les 6 % restants s’arrogent 87 % de la valeur d’activité du secteur. Si le montant des transactions privées se maintient et même progresse légèrement, cette statistique masque une réalité contrastée. La plupart des marchands souffrent de la récession. C’est, d’après Clare McAndrew, «le segment qui ne s’est pas remis de la rétraction de 2009, s’installant même de manière préoccupante dans une baisse continue». Elle a ainsi décompté 296 000 sociétés, dont 5 000 accaparent 80 % de l’activité du secteur. Ces 2 % d’entreprises ont vu leur chiffre d’affaires, qui dépasse les 50 M$, progresser de 19 %. Mais les 52 % au chiffre d’affaires inférieur au million voient leur courbe régresser d’année en année. Trois cessions sur quatre portent sur des œuvres de moins de 50 000 $, le revenu médian de la profession tournant autour de 875 000 $. Ces marchands vivent avec une trésorerie en flux tendu, d’autant que les délais d’écoulement de leur stock ont augmenté. Une œuvre sur cinq met plus de deux ans à se revendre, alors que ce n’était le cas que d’une œuvre sur dix l’année précédente. Les expositions tenues dans les galeries (le rapport en a pointé plus de 45 000) et leur participation aux foires ne cessent de croître en importance, impliquant des frais en conséquence. Sur 32 Mrds $ de ventes privées, plus de 13 Mrds seraient réalisés à l’occasion des salons, 57 % de plus qu’en 2010. Si les ventes en ligne continuent leur progression régulière (+ 4 %), à moins de 9 % du marché global, elles sont loin d’exploser. Ces analyses ne sont pas que des exercices intellectuels. Les mêmes projections économiques fondent la réorientation du leader mondial, Christie’s, qui a choisi de se concentrer sur l’Asie et les États-Unis. Outre les défis lancés à notre continent, Clare McAndrew souligne qu’un marché trop fortement polarisé peut «manquer de densité», euphémisme pour noter que les milliardaires se bousculent pour acheter les valeurs sûres d’une poignée de superstars comme Picasso ou Warhol, au détriment d’un savoir et d’une reconnaissance de la masse des artistes.

À LIRE
The Art Market 2017, par Clare McAndrew,
disponible gratuitement en ligne sur le site Artbasel.com.
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