Un «tissu juridique mité». C’est ainsi qu’a été qualifée la législation française à l’encontre du faux en art, lors d’un colloque qui s’est tenu le 17 novembre au Palais de justice. Cette initiative de la Cour de cassation témoigne en elle-même de la prise de conscience, hélas graduelle, de la gravité d’un fléau, décrit comme «ravageur» par Sébastien Allard, chef du département des peintures au Louvre, pour le marché de l’art comme pour les institutions publiques qu’il représente. L’impressionnant décor de la haute cour ne voit pas tous les jours pareille affluence : trois cent cinquante magistrats, avocats, professeurs, experts et autres professionnels, réunis pour l’autopsie d’un grand malade. Celui-ci a pour nom «loi Bardoux». Les intervenants sont tombés d’accord sur «la nécessité absolue de revoir» celle-ci, qui «ne permet pas de poursuivre la plupart des faussaires», pour citer les professeurs Tristan Azzi et Laurent Pfister. Défendue à l’époque par le sénateur Agénor Bardoux, elle va bientôt fêter son 123e anniversaire. Et pourtant, ce texte vénérable reste le seul permettant de s’attaquer spécifiquement à «la fraude en matière artistique». Tous, au Palais de justice, magistrats et juristes, ou encore le chef de la «police de l’art», le colonel Ludovic Ehrhart, en ont souligné les limites, exposant les moyens divers et variés qu’il leur fallait trouver pour contourner la difficulté. Nous y reviendrons plus en détail dans ces colonnes. La France a bien renforcé, en 2014, la législation contre la contrefaçon, mais elle s’est cantonnée à la protection des marques, accompagnée d’une campagne efficace de prévention. Tous les passagers aux aéroports ont vu les affiches avertissant des risques pris en ramenant des faux Lacoste. La télévision diffuse des images de rouleaux compresseurs écrasant des copies de montres Cartier. Il faut croire que les gouvernements prêtent une oreille bien plus attentive à l’industrie du luxe qu’au marché de l’art, démuni de relais ministériel.
L’initiative de ce débat est donc une heureuse surprise, tant les autorités nous ont habitués à un laisser-faire à l’égard des faussaires, des voleurs d’art et des trafiquants. Il suffit de se référer aux instructions judiciaires enlisées depuis des années, le dossier changeant de mains trois ou quatre fois avant d’arriver devant le tribunal, lequel au final prononce des peines d’autant plus amoindries que les faits lui paraissent bien lointains. Les plus endurcis passent rarement une journée en détention. Pour ne prendre qu’un exemple, cela fait six ans qu’a éclaté le scandale des faux incunables de la photographie mis aux enchères à Deauville, dont les suspects étaient repérés dès le lendemain, sans que le procès n’apparaisse encore sur la ligne d’horizon. Confrontés à une pénurie de moyens, les fonctionnaires débordés trouvent toujours plus grave que l’atteinte à l’art, que certains considèrent même comme un aimable amusement. «Le public ressent toujours quelque sympathie pour le faussaire, en admirant son habileté», a fait observer le procureur général près la Cour de cassation, Jean-Claude Marin. Reconnaissant que «la justice fait parfois preuve de retard», il a souhaité que la loi Bardoux soit étendue, pour prendre en compte la diversité des objets et des cas auxquels les juges peuvent être confrontés. Qui, au Parlement, sinon au gouvernement, aura le cœur d’entendre les magistrats ?