Sur le fond multicolore de cette Représentation allégorique d’un bestiaire indien s’enchevêtrent trois animaux de la jungle : un éléphant, un tigre et un singe. Considérés comme sacrés dans leur pays, les joyeux compères sont des symboles caractérisant l’Inde éternelle… et souvent utilisés par l’auteur de la toile : Maqbool Fida Husain, l’un des plus célèbres peintres contemporains du sous-continent. Ainsi le tigre, l'une des montures de Durga, déesse de la guerre dans la religion hindouiste, illustre la puissance. Le singe, synonyme de connaissance, fait référence au dieu Hanuman, qui lui emprunte d’ailleurs ses traits. Quant au plus imposant – l’éléphant –, il représente la force ; c’est aussi l’un des quatre piliers du monde qu’il porte sur son dos. Sur sa trompe, on découvre, assis à califourchon, Ganesh, le fils de Shiva et dieu de la sagesse, à tête de pachyderme et jouant avec une balle… Des mythes et des figures vénérées qu’Husain n’hésite pourtant pas à mêler dans la plus grande fantaisie, ce qui constitue tant soit peu sa marque de fabrique. Passant d’un registre grave au drolatique, son œuvre parfois iconoclaste met en scène des personnages aussi différents que l’homme de la rue, le Mahatma Gandhi, mère Teresa ou encore les divinités du Mahabharata. Une même inventivité préside côté technique, où l’artiste peut manier le style classique indien comme un post-cubisme aux lignes anguleuses, qui sous-tendent ici la composition allégorique. La palette elle-même participe de cette diversité pour traduire la tonalité de l’œuvre, qui affiche tour à tour couleurs vives ou sombres.
Une œuvre audacieuse… et controversée
Né en 1915 à Pandharpur, Maqbool Fida Husain – qu’on nomme plus souvent M. F. Husain – doit peut-être sa conception très libre de la peinture à un parcours particulier, qui l’a également amené sur les plateaux de cinéma. En 1935, il s’installe à Bombay et réalise des affiches pour les premières productions de Bollywood. Après l’indépendance de son pays, en 1947 et avec cinq autres jeunes artistes, il fonde le collectif avant-gardiste Bombay Progressive Artists’ Group. Célèbre en Europe dès les années 1960 pour ses peintures, Husain se révèle aussi un réalisateur talentueux, récompensé par l’Ours d’or du Festival international du film de Berlin en 1967 pour son court-métrage Through the Eyes of a Painter. Décoré en 1973 de la Padma Bhushan, l’une des plus hautes distinctions indiennes, le plasticien livre alors des œuvres phares, dont Vishwamitra et Bharat Mata, dite aussi Mother India. C’est cette dernière toile qui va créer le scandale, des années plus tard… Elle présente la divinité symbolisant la nation sous les traits d’une femme nue rouge vif, dont la posture épouse les contours de la carte de l’Inde. Reproduite dans un magazine en 1996, l’œuvre indigne les Hindous radicaux ; poursuivi en justice et menacé de mort par les fondamentalistes, Husain est obligé de s’exiler en 2006, se partageant désormais entre Dubaï et Londres, où il décède en 2011… Quant à notre Représentation allégorique de 1982, elle provient directement de l’artiste, qui l’offrit à sa propriétaire actuelle lors d’un séjour et d’une exposition à New York.