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Le degré extrême de l’écriture

Publié le , par Christophe Dorny

Qu’est-ce qu’un manuscrit de l’extrême ? La notion est inédite. Les domaines où il se rencontre  le péril, la prison, la passion ou bien la possession  sont rarement étudiés et, moins encore, appréhendés dans leur ensemble. Qu’ont en commun les derniers mots de Marie-Antoinette avant de se rendre à l’échafaud et les cinq...

Auguste Blanqui (1805-1881), L’Éternité par les astres, 1871, département des Manuscrits,... Le degré extrême de l’écriture
Auguste Blanqui (1805-1881), L’Éternité par les astres, 1871, département des Manuscrits, BnF.

Qu’est-ce qu’un manuscrit de l’extrême ? La notion est inédite. Les domaines où il se rencontre  le péril, la prison, la passion ou bien la possession  sont rarement étudiés et, moins encore, appréhendés dans leur ensemble. Qu’ont en commun les derniers mots de Marie-Antoinette avant de se rendre à l’échafaud et les cinq lettres d’amour écrites en une journée, le 23 avril 1966, par l’écrivain Paul Celan à sa femme, alors qu’il est interné à l’hôpital pour avoir voulu l’égorger ? Les conditions hors normes, souvent dramatiques, ont vu leurs auteurs coucher des mots sur le papier. Chaque pièce présentée dans l’exposition révèle un fragment d’une histoire individuelle au moment même où il se déroule. Loin du manuscrit enchanteur de l’écrivain, nous voilà plongés dans des expériences troublantes, fascinantes, voire inimaginables. Le contexte  primant sur l’auteur  permet de se souvenir de ces terribles testaments que les soldats de la Guerre de 14 envoient à leur famille, ou de ces bouts de papier informes lancés des trains de déportés en route pour l’Allemagne, ramassés par des mains solidaires, puis envoyés à des proches pour les rassurer. Les procédés d’écriture sont sans limite. Écrire avec son sang par manque d’encre, sur du bois ou du tissu par manque de papier, de mémoire, comme le fit Jean Cassou pour ses trente-trois sonnets, un an après avoir été arrêté par la police de Vichy. Ailleurs, l’écriture se fait microscopique pour économiser du papier avec le révolutionnaire Auguste Blanqui qui rédige son essai L’Éternité par les astres (1871) dans sa cellule, ou avec le poète emprisonné André Chénier, adressant à son père ses derniers vers avant son exécution, le 25 juillet 1794, qu’il glisse dans du linge sale. Sans une attention particulière, le sens de ces écrits pourrait nous échapper. Le jour du décès de son mari, la romancière Nathalie Sarraute note laconiquement et uniquement l’heure de sa mort sur une page de son agenda. À l’inverse, dans son besoin vital d’écrire pour ne rien oublier de l’être aimé, Marie Curie laisse des traces de larmes sur un de ses feuillets. Entre les lignes, des points de taille différente illustrent l’intensité et la fréquence des éclats d’obus dans une lettre qu’écrit, du front de la Première Guerre mondiale, Victor Tardieu à son fils Jean, le futur poète. On croise dans les vitrines et sur les cimaises de l’exposition quantité de noms illustres tels Napoléon et le brouillon de son abdication, ou Victor Hugo consignant ses séances de spiritisme. Hommes et femmes, tous nous rappellent la nécessité de partager une parole. Pour éviter la folie, semble nous dire le capitaine Dreyfus, et «parce qu’on n’arrêtera jamais la vie», martèle Antonin Artaud dans une lettre. L’exposition se révèle vite comme une magnifique porte d’entrée dans le monde discret des autographes, qui participe pleinement à la construction de notre mémoire collective. Pour trouver dans les collections ces pièces, non classifiées comme «extrêmes», de nombreux conservateurs d’archives et de musées des quatre coins de l’Hexagone, ainsi que des collectionneurs privés, ont collaboré à ce projet hors norme.

«Manuscrits de l’extrême. Péril, passion, prison, possession»,
Bibliothèque nationale de France - François-Mitterrand, 
quai François-Mauriac, Paris XIIIe, tél. : 01 53 79 53 79.
Jusqu’au 7 juillet 2019.
www.bnf.fr
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