Désormais installé à Pantin, ce lieu historiquement décentré et novateur déploie ses ambitions avec une nouvelle plate-forme d’expositions et un système de résidences en coworking. Explications avec Sylvie Boulanger, sa directrice.
Imaginé en 1997 à Chatou, sur l’île des Impressionnistes, le Cneai Centre national édition art image «invite depuis vingt ans des artistes émergents et reconnus en lien avec des questions de société, qui revendiquent l’expérience du sensible dans tous les domaines de l’activité humaine.» Sylvie Boulanger, sa directrice, se souvient aujourd’hui des premières heures du centre «On est arrivés à Chatou sans ordinateur… » et des interrogations quant à la validité de créer une nouvelle institution pour l’art : «Les réponses conduisaient à développer un programme expérimental, pour remettre en cause tant la frontière entre l’artiste et le public que la production des œuvres elles-mêmes.» La première phase du projet fut menée à bien avec des expositions personnelles de François Morellet, Peter Downsbrough, Gérard Collin-Thiébaut ou encore Claude Closky. «Nous souhaitions offrir aux artistes un espace où la production était libre et poussée, et les artistes voulaient y inviter des gens à penser ou à écrire sur leur travail, dans la veine des pratiques conceptuelles des années soixante. Ce qui a généré des groupes de recherche et des programmes de performances. Ces formes de création sont évidentes, mais étaient rares à l’époque en France.» Avec un site internet créé dans la foulée l’un des premiers sites web pour un lieu artistique français , le Cneai se spécialise dans des invitations lancées à des multi-activistes de l’art, tour à tour artistes, critiques, commissaires ou éditeurs. Son histoire, et l’une de ses raisons d’être, repose en effet sur l’exploration du statut de l’«œuvre-média» : un objet illimité et non signé dérivé du concept de la gravure originale, dans la lignée de celles sur bois du Moyen Âge jusqu’aux premières gravures fauves, justement nées à la maison Levanneur de Chatou l’ancien atelier de Maurice de Vlaminck et d’André Derain.
L’édition d’artistes comme outil de recherche
Si le centre s’est fait connaître par sa collection FMRA – un fonds d’œuvres éphémères, regroupant aujourd’hui près de 12 000 références de livres d’artistes, de vinyles ou de posters –, sa collection de multiples – plus de 650 éditions d’artistes – est tout aussi remarquable. Elle comprend des œuvres du plasticien Yann Sérandour ou des graphistes M/M (Paris). Sous l’impulsion des éditeurs Michael Woolworth et Michèle Didier, «pour faire un salon consacré aux œuvres originales qui échappent au système artistique», Sylvie Boulanger crée le Salon Light au début des années 2000. L’événement s’est depuis mué en Multiple Art Days : une foire originale, à l’image du multiple. «Les standards académiques de l’œuvre artistique, portés par le marché de l’art, sont heureusement remis en cause par les collectionneurs eux-mêmes», analyse-t-elle. «Ils veulent plus de relations avec les artistes et sont aussi attachés à la notion de transmission, qu’ils achètent pour eux ou pour leurs amis. Le positionnement du Cneai n’est pas pour autant rebelle… Le marché de l’art n’est tout simplement pas un critère pour nos activités. On produit comme un producteur de cinéma ! À partir du projet, on trouve les financements : fondations d’entreprise, subventions publiques, collectionneurs… »
Désenclaver l'objet centre d'art
Six années furent nécessaires pour financer la Maison flottante, par le biais de la commande publique. Cette «résidence sur péniche», accueillant les artistes, mais aussi les écrivains et les commissaires d’exposition, fut dessinée en 2007 par Erwan et Ronan Bouroullec. «L’idée est venue de Hans-Peter Feldmann, qu’intéressait de rencontrer des gens à Paris dans un cadre suffisamment vaste et propre au développement des idées», précise Sylvie Boulanger. «Son système de cooptation permet à l’invité de convier à son tour un artiste de son choix, et ainsi de suite… »» Dix ans plus tard, et par un surprenant effet de ricochet, c’est l’agence de publicité BETC qui a proposé au Cneai d’emménager à ses côtés, aux nouveaux Magasins généraux de Pantin. Dans les 20 000 mètres carrés de ce bâtiment repensé en un biotope urbain du XXIe siècle, avec ses «rues», ses nombreux restaurants et ses espaces de travail modulables, le centre occupe 400 mètres carrés de bureaux, ouverts sur rendez-vous. Son aménagement intérieur, conçu par Bona-Lemercier avec des installations de l’architecte Yona Friedman, qui a fait don de ses archives au Cneai , est propice au coworking, si bien que le Cneai reçoit plusieurs demandes par semaine. Le centre dispose aussi de 800 mètres carrés de surface d’exposition au bord du canal de l’Ourcq la Maison flottante doit arriver à quai à l’automne. Cet espace a été laissé brut pour accueillir tous les possibles en matière de scénographie : hier une ingénieuse cimaise mobile, fruit de l’exploration des collections de la fondation Lab’Bel le laboratoire artistique du groupe Bel par des étudiants («Never Eat the Same Cracker Twice»), aujourd’hui un group-show poétique d’Alison Knowles une artiste américaine liée au mouvement Fluxus , où des dispositifs vont être habités ou définis en tant qu’habitation par des artistes. L’exposition dévoile également une scène issue d’un workshop entre l’artiste Stéphane Magnin et des jeunes de Pantin, visant à réinterpréter des projets d’architectes : une suite logique aux initiatives pédagogiques du Cneai, à l’instar d’un atelier pour le jeune public (Do It Together), d’une plate-forme numérique d’édition en ligne ouverte à tous (Iconotexte) et d’un programme d’art chez l’habitant (le Collectionneur). «Je n’arrive pas à faire de séparation entre le programme de recherche, le programme artistique et le programme culturel», s’amuse Sylvie Boulanger. «Le partage de l’autorité artistique n’est pas une utopie, c’est une réalité.»