Récemment nommée présidente des musées d’Orsay et de l’Orangerie, elle dévoile les grandes lignes de son programme, tout en exigence et convictions.
Vous voici à la tête d’une institution que vous connaissez bien, pour y avoir fait vos armes pendant treize ans en tant que conservatrice. Vous revenez donc par la grande porte, mais dans une période troublée, après les attentats qui ont frappé la capitale. Où en est la fréquentation du musée d’Orsay ?
Les visiteurs continuent de venir du monde entier. L’année 2016 avait enregistré une baisse de 14 %, un retard rattrapé depuis le début 2017. Les touristes étrangers, qui constituent plus de 60 % du public, sont revenus, européens, asiatiques ou américains. Si la fréquentation n’a pas regagné le niveau d’avant les attentats, elle franchira la barre des trois millions. Et le rayonnement international du musée est intact. On nous demande d’imaginer des projets, on réclame notre expertise. Pour autant, il faut garder un œil critique. Lorsqu’on examine la situation d’un peu plus près, on s’aperçoit des lacunes, des défauts : on voit que le musée touche moins tel type de population, qu’il a pris du retard dans le domaine du numérique… Mon projet consiste à remettre le public au cœur de l’établissement. Je me souviens de l’ouverture d’Orsay, il y a trente ans. L’histoire qui se déployait entre ses murs celle de nos grands-parents nous était encore assez familière. Pour un adolescent d’aujourd’hui, la modernité de La Gare Saint-Lazare ne va vraiment plus de soi. La principale question est donc de savoir comment accompagner les visiteurs, pour transformer la rencontre avec l’œuvre. Et ceci quel que soit le public, en portant une attention au champ social, et quelles que soient les générations, en pensant particulièrement à la jeunesse. Parce que transmettre fait partie de nos vocations. Entendons-nous, il ne s’agit pas seulement de conserver matériellement un patrimoine mais de donner des clés de lecture, compatibles avec les nouvelles pratiques culturelles. Mes sept années passées à la direction scientifique de l’agence France-Muséums, opérateur du projet Louvre Abou Dhabi, dont l’ouverture est prévue le 11 novembre, ont aiguillé ma réflexion. Car je m’étais alors retrouvée confrontée à toutes ces questions, de médiation, d’altérité de cultures, de transmission. Si je n’avais pas eu cette expérience, je n’occuperais sans doute pas ce poste à présent.
Comment comptez-vous procéder, concrètement ?
Il n’existe pas de solution miracle. Je crois plutôt au croisement d’initiatives. Le renouvellement du rapport à l’œuvre ne s’opérera pas sans un renouvellement du rapport au public, essentiel à mes yeux, comme je l’ai souligné. Je tiens au confort de la visite, qui commence dès l’accueil. Nous réfléchissons aux travaux que nous allons entreprendre pour le fluidifier. Au début de l’année 2018, déjà, une amélioration sera apportée grâce à une meilleure gestion du contrôle des billets. Nous anticipons en prévision du succès prévisible de l’exposition «Picasso. Bleu et rose», qui démarrera en septembre 2018. Et puis, nous nous attellerons au problème du repérage. Le bâtiment est compliqué, il n’est pas évident de comprendre son parcours. Dans les salles, nous devons faire un sérieux effort d’information. Nous sommes l’un des rares musées à ne proposer aucun commentaire d’œuvres. Nous allons également procéder à un réaccrochage. Ce ne sera pas un chambardement, disons plutôt une actualisation, qui permettra d’intégrer les acquisitions récentes et d’introduire de la pluridisciplinarité, en mêlant photo, cinéma, sculpture et arts décoratifs, lorsque cela s’y prête. L’époque est au décloisonnement.
Quelle tonalité prendront vos expositions ?
Mon métier n’a rien d’un refuge dans une tour d’ivoire scientifique. De la même façon, je pense qu’un musée ne doit pas être coupé de la cité. L’exposition que nous consacrerons au «modèle noir», de Géricault à Matisse, nous amènera ainsi à débattre de questions sociétales. Si je souhaite également ouvrir davantage la programmation à l’art international, et notamment européen, sous des horizons neufs nous le ferons avec le «Symbolisme dans l’art des pays baltes» , j’entends parallèlement développer les échanges avec nos confrères en région, pour construire des projets en partenariat. Ce sera le cas de l’exposition autour du Talisman de Sérusier, montée avec le musée de Pont-Aven.
Plusieurs chantiers ont été menés par votre prédécesseur, Guy Cogeval, dans les galeries impressionnistes ou dans les quatre étages du pavillon Amont. De nouveaux travaux sont-ils programmés ?
Il y en a toujours, c’est inévitable. Le musée est logé dans une gare plus que centenaire, dont l’architecture de fer, de verre et de pierre vieillit. Des travaux liés au clos et au couvert doivent être envisagés, pour lesquels des arbitrages seront prochainement réalisés. Et puis se profile le vaste chantier de l’Hôtel Mailly-Nesle, situé quai Voltaire. L’édifice, occupé jusque-là par la Documentation française, a été attribué à l’Établissement public du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie, qui lui est rattaché. Nous récupérons les locaux en 2018, pour y transférer la bibliothèque et la documentation et aménager un centre de recherche commun aux deux musées. Les mètres carrés libérés, au quatrième étage du musée, accueilleront l’exceptionnelle donation de Spencer et Marlene Hays, qui souhaitaient voir leurs œuvres présentées dans des salles à part. L’opération prendra du temps, quatre ou cinq ans. De toute manière, leur collection n’est pas appelée à entrer tout de suite dans nos murs car la donation a été faite sous réserve d’usufruit.
Des frais importants en perspective. Comment seront-ils financés ?
Par le musée. L’État prend en charge les salaires et verse une subvention de fonctionnement mais, depuis plusieurs années, les investissements doivent être financés sur nos ressources propres. Ces dernières proviennent à plus de 60 % de la billetterie, auxquelles s’ajoutent le mécénat, la location d’espaces, le tournage de films ou encore le produit de ce que j’appelle la «politique de valorisation des collections». Orsay conçoit en effet, contre rémunération, des expositions pour des partenaires internationaux prestigieux qui eux, généralement, ne possèdent pas de collection.
Guy Cogeval avait été fortement critiqué pour sa politique d’expositions «clé en main». Vous entendez donc la poursuivre ?
Nous ne l’arrêterons pas, parce que nous avons besoin de ressources propres. En revanche, nous privilégierons les opérations qui ont un véritable sens et font événement là où elles ont lieu, et non pas les expositions qui circulent d’une ville à l’autre. Une chose est sûre : nous ferons en sorte que les prêts n’affaiblissent pas la présentation du musée à Paris. Lorsque nous en accordons, nous devons être en mesure de compenser, ou alors nous décalons les événements. D’autant que nous avons maintenant un grand partenaire : le Louvre Abou Dhabi. Selon l’accord signé entre la France et les Émirats arabes unis, le musée d’Orsay sera impliqué pendant quinze ans dans l’organisation des expositions qui se dérouleront là-bas, et s’engage pour une période de dix ans à prêter des œuvres pour alimenter les collections du musée. Seize pièces importantes sont d’ailleurs déjà parties pour une durée de douze mois, et il faudra les renouveler. Un délicat travail de programmation s’annonce.
Que souhaitez-vous pour le musée d’Orsay ?
Qu’il soit pleinement acteur dans son époque, qu’entre ses murs, les visiteurs se sentent pleinement chez eux. Et qu’ils prennent du plaisir.